L’élection du 10 décembre a été particulièrement difficile à supporter pour les socialistes. Et je dois dire que je le comprends aussi.
Je comprends donc bien aujourd’hui tous les socialistes qui se posent des questions à propos de notre présence au Conseil fédéral, qui estiment que Christof Blocher est infréquentable, que l’on n’a pas tenu compte du désir des femmes d’être mieux représentées au Conseil fédéral, que la politique suisse a changé le 10 décembre et que nous allons perdre notre crédibilité si nous devenons les « complices » d’un tel gouvernement ou que nous nous laissons emprisonner dans une collégialité qui va devenir plus un piège qu’un mode de fonctionnement consensuel.
Les socialistes ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir eu du mal à vivre ce 10 décembre. Le PDC a avalé une couleuvre bien plus indigeste que la nôtre. Il a perdu une conseillère fédérale. Il a perdu les élections. Il ne sait plus où se situer sur l’échiquier politique. Il ne sait plus s’il est au centre ou à droite. Chacun propose sa solution pour remettre le parti à flot.
Election du 10 décembre : elle a été problématique à plus d’un titre :
Quitter le gouvernement ?
1. La guerre des nerfs avant l’élection…
– M. Blocher a dit que l’UDC sortirait du Conseil fédéral s’il n’était pas élu….
– Le plus amusant, la déclaration de Simon Epiney, juste avant le 10 décembre, qui disait que le PDC se retirerait dans l’opposition si on ne réélisait pas leurs deux conseillers fédéraux. Un parti du centre qui va dans l’opposition, où va-t-il ? à droite ? à gauche ?
Tout cela pour dire que les prises de position préélectorales ont relevé beaucoup de la stratégie à court terme, un peu de la fantaisie, mais aussi de l’imprudence, car personne n’était prêt en réalité à ce moment-là à sortir du conseil fédéral et à mettre ses menaces à exécution. La crédibilité de telles paroles était plus que douteuse. Cela n’a donc trompé personne et n’a impressionné personne. L’UDC et le PDC tiennent bien trop à rester au Conseil fédéral pour risquer cela. Le PDC en outre ne peut pas être dans l’opposition puisqu’il est presque toujours d’accord avec le gouvernement, en particulier pour les coupes budgétaires et la politique d’austérité.
Le PS dans l’opposition
Le PS était le seul qui avait une certaine crédibilité en annonçant son retrait. L’UDC ne s’y est pas trompée, puisque Blocher a fortement insisté pour que les deux conseillers fédéraux socialistes restent au Conseil fédéral et que l’UDC a voté massivement pour eux le 10 décembre !….
Il y a en effet un peu plus de crédibilité quand le PS annonce qu’il va quitter le gouvernement. Il faut dire que cette question a été posée à plusieurs reprises et a été débattue, parfois avec beaucoup d’acuité au sein du PS.
Un peu d’histoire
Il faut dire aussi que le PS est né, en tant que parti d’opposition. Le PS se constitue en 1888 et en 1889, il lance son premier référendum, qui échoue faute de signatures. Il n’est pas toujours facile de s’opposer. Cela demande de l’organisation, un réseau de gens engagés. Mais en 1891, son initiative pour lutter contre le chômage, aboutit. On a déjà fait des progrès dans l’organisation, mais elle est écrasée en votations avec moins de 20% de OUI. En 1918, c’est le triomphe, avec l’acceptation par le peuple de l’initiative visant à introduire le suffrage à la proportionnelle pour le Conseil national. Le groupe socialiste double.
Le pays ne passe pas à gauche pour autant. Les idées socialistes, même celles qui aujourd’hui nous semblent aller de soi, ont de la peine à s’imposer. Je vous rappelle juste quelques revendications posée à cette époque-là et qui n’ont passé la rampe que bien plus tard: la semaine de 48 heures, la création de l’AVS (1947) et de l’AI (1960 ?) et finalement, le plus difficile à digérer pour nos compatriotes, semble-t-il, le droit de vote des femmes en 1971… Quant à l’assurance maternité, le PSS l’exige depuis …. 1927, mais rien n’est encore perdu !
D’un côté, il a fallu bien du temps pour que le PS convainque la population et s’impose comme un parti avec lequel il faut compter et avec lequel on peut travailler. Il a eu longtemps une image négative d’un parti revendicateur, d’opposition, prêt à la guerre sociale, qui recourt à la grève et aux manifestations, il est plutôt mal perçu par la population. Comment confier les rennes du pouvoir à des gens qui critiquent les institutions ?
De l’autre côté, certaines manifestations très violemment réprimées, comme la grève de 18, laissent des marques. Beaucoup de socialistes se méfient du pouvoir et de ceux qui l’appliquent. Ils considèrent la droite comme responsable de la répression antidémocratique et l’Etat comme le lieu de ce pouvoir et de cette répression. La polémique contre l’armée bat son plein. Comment pourrait-on donc participer au pouvoir ?
La paix du travail et la politique de consensus
Ce n’est qu’en 1929, que le congrès se prononce pour la participation des socialistes au Conseil fédéral, mais le candidat socialiste n’est pas élu. Même après les élections de 1931, où il devient le premier parti de Suisse, le PS reste au purgatoire. Ce n’est qu’en 1943, que le premier socialiste, Ernst Nobs, entre au Conseil fédéral.
Le PS signe ainsi son entrée dans la démocratie de consensus. Il accepte l’institution. Il devient partenaire, ce qui lui permet désormais de faire passer un certain nombre de revendications sociales, sans devoir passer par la grève et les manifestations. Malgré la très meurtrière manifestation de Genève, on est entré en 1932 dans la paix du travail et on apprend la conciliation en matière sociale, d’un côté comme de l’autre. C’est un tournant dans la politique suisse.
Ce qui ne veut pas dire que c’est facile pour les socialistes membres du Gouvernement. Ils sont très fortement minoritaires dans un Gouvernement très à droite. Ils ont de la peine à faire soutenir leurs projets. Cette situation a raison de la patience de Max Weber. Notre ministre quitte le Conseil fédéral en 1953, suite au rejet par le peuple du projet de réforme des finances fédérales, pour lequel il s’était engagé.
L’opposition dure jusqu’en 1959. Deux socialistes sont cette fois-ci envoyés au Conseil fédéral. C’est le début de la formule magique, telle que nous la connaissions jusqu’au 10 décembre.
Quand même, on peut en tout cas constater que notre présence au Conseil fédéral n’est pas toujours facile à gérer pour notre parti. C’est une chose très claire et c’est aussi la raison pour laquelle cette question se repose de manière récurrente.
La crise de 1983
La crise la plus aiguë, nous l’avons vécue en 1983, quant la candidate officielle du PSS, Lilian Uchtenhagen n’a pas été élue et que c’est Otto Stich, qui a été élu à sa place, contre la volonté du PS. Ca a déclenché une vague d’indignation sans précédent. Le Congrès de 1984 va en débattre de manière approfondie…. Et finalement décider qu’il ne faut pas se retirer. En pesant soigneusement le pour et le contre, il arrive à la conclusion que certes, l’opposition pourrait nous valoir quelques pourcents de plus aux prochaines élections, mais que cela nous laisserait de toutes façons bien loin des 51%, qui nous permettraient de faire une politique de majorité. Il faut donc bien accepter les conditions des autres et passer sous les fourches caudines. C’est pragmatiquement plus rentable.
Nouvelle crise en 1993, avec l’élection de Francis Matthey, à la place de Christiane Brunner et finalement le retrait de Francis Matthey et l’élection de Ruth Dreifuss.
Situation actuelle
Je relève que les élections au Conseil fédéral ont toujours été délicates pour le PS. Il est en effet très minoritaire au sein du Parlement et n’est pas en mesure d’imposer ni ses candidats, ni sa politique. Les Conseillers fédéraux socialistes ont de la peine à construire leur crédibilité, car ils ne peuvent faire admettre leurs idées au sein du Conseil fédéral et passent souvent pour des mous ou des social-traitres.
Il faut dire à notre décharge, qu’aucun parti n’est assez fort pour imposer ses candidats tout seul et que d’autres ont connu les mêmes déboires que nous. Repensons à l’élection de Samuel Schmid par exemple.
Chapitre suivant : notre congrès du 6 mars prochain.
C’est de la section genevoise du PS qu’est partie la fusée. Peu après les élections du 19 octobre, elle a demandé que le PSS programme un congrès extraordinaire portant sur la participation au Conseil fédéral. Le 11 décembre, elle a même demandé officiellement le retrait des deux conseillers fédéraux socialistes.
Nous voici donc revenus il y a 20 ans en arrière…
Sortir ou ne pas sortir, telle est la question. Les journalistes et les parlementaires y vont chacun de son appréciation :
– il aurait fallu partir le 10 décembre,
– il faut partir le 6 mars,
– il faut décider le 6 mars et choisir soigneusement le meilleur moment,
– il faut refaire un bilan dans deux ans et décider à ce moment-là,
– il ne faut pas sortir…
C’est l’occasion d’en discuter et c’est aussi une très bonne occasion de réétudier dans les sections le sens de notre participation au Gouvernement.
La politique suisse a-t-elle vraiment changé depuis le 10 décembre ?
Selon les contacts que j’ai avec Berne, peut-être pas autant qu’on pourrait le croire.
Tout d’abord, la Suisse a toujours été très à droite. Ensuite, le virage à droite du Conseil fédéral a été amorcé au début des années 90 déjà avec la nouvelle vague libérale qui a envahi l’Europe, à la chute du mur de Berlin.
Ces dernières années, les têtes dominantes (et non pas tout le parti) du PDC ont passé du centre à la droite. L’échec des dernières élections va les obliger à revoir leur position et probablement à se recentrer, s’ils veulent continuer à exister. Il est encore trop tôt pour savoir comment le PDC va se repositionner sur la scène politique fédérale.
Tout d’abord, les quelques semaines que nous venons de vivre nous confirment que les conseillers fédéraux actuellement en place, ne forment pas un bloc de droite monolithique. Il y a donc une marge de manœuvre pour nous.
A cela s’ajoute que Christof Blocher n’est pas forcément aussi à l’aise qu’il le voudrait. Soit il joue le jeu de la collégialité et perd sa crédibilité devant ses électeurs, car son discours devient fumeux, soit il ne le joue pas et perd sa crédibilité au sein du Conseil fédéral.
La première discussion des projets se fait au sein du Conseil fédéral. Elle est souvent très importante, d’abord, parce que le Conseil fédéral a un pouvoir de décision : plusieurs dizaines de décisions par semaine et ce serait une erreur de croire que toutes ces décisions se prennent à 5 contre 2.
Ensuite, parce que le Chef d’un département a aussi une marge de manœuvre décisionnelle non négligeable. Il décide seul de la révision d’une ordonnance par exemple.
Et puis le chef du département élabore les projets de loi à l’intérieur de l’administration. Il peut tiroiriser les projets qui ne lui plaisent pas ou mettre en avant ceux qui lui plaisent. Il peut proposer de nouveaux projets.
Notre marge de manœuvre provient aussi du fait qu’au Parlement, ni le PRD, ni l’UDC, seuls ou même ensemble, ne font une majorité.
Quelles seraient les conséquences de notre sortie ?
Pour être très pratiques, il y aurait de nouvelles personnes, plus à droite qui entreraient au Conseil fédéral et reprendraient les dossiers de nos deux conseillers fédéraux.
Cela signifierait l’enterrement de quelques dossiers auxquels nous tenons beaucoup, comme par exemple l’Europe. Actuellement, on peut faire des alliances sur la politique européenne.
Autre sujet très sensible : la mise en application des accords de Kyoto sur le CO2. La nouvelle loi serait tiroirisée, alors que ce projet devrait arriver en mars ou en avril.
Le même sort serait réservé à la nouvelle LME et on ne se fonderait plus que sur la liberté de concurrence dans le domaine de l’électricité, ce qui correspondrait plus ou moins à une libéralisation de fait pour les grandes entreprises et à des consommateurs individuels toujours captifs.
S’il n’y a pas un socialiste pour les défendre, il y aurait sans doute des coupes bien plus sévères dans les transports régionaux. Moritz s’évertue à trouver un équilibre entre transports publics et transports privés.
A quoi cela sert-il de sortir, si on perd toute influence sur les départements, sans pour autant se donner les moyens de gagner des votations. Or, actuellement, notre force est d’environ 25%. Admettons qu’elle passe à 30%. Nous perdrons quand même la plupart des votations, comme maintenant. Ce sont les gens, dans leur quotidien, qui le paieront et qui peut-être nous reprocheront de ne pas avoir évité ces problèmes et d’avoir fui au lieu de se battre.
En outre, avons-nous des raisons d’être fâchés ? Nos conseillers fédéraux actuels sont tous les deux nos candidats officiels et représentent vraiment nos intérêts, même si leur marge de manœuvre ne leur permet pas de faire toujours comme on voudrait.
Ils nous apportent la visibilité et la crédibilité sur lesquelles nous fondons aussi notre action.
Et si nous partons maintenant, nous ne pouvons pas savoir si nous reviendrons un jour, ni comment. Nous avons mis beaucoup de temps à entrer au Conseil fédéral. Nous en partirions sur un coup de mauvaise humeur, comment pourrions-nous ensuite revendiquer d’y revenir ?
Décider aujourd’hui
Finalement, je pense que quelle que soit la décision, il faut la prendre tout de suite et ne pas attendre deux ans.
En effet, si nous ne prenons pas de décision, nos conseillers fédéraux vont rester en suspens. Cela diminuera leur crédibilité au sein du conseil fédéral et du parlement et nous enlèvera de l’efficacité dans l’action.
En outre, cela continuera de passionner les journaux qui seront tentés de commenter les actes de nos conseillers fédéraux en se demandant chaque fois comment le PSS va les évaluer. Cette discussion ne sera pas saine et risque de voiler la discussion de fonds sur notre programme et de fausser les débats.
Ce que nous devons faire, c’est fixer des axes de programme solides et être fidèles à notre ligne et travailler. C’est comme cela que l’on gagne des élections. La tactique électorale a son importance, mais elle ne doit pas prendre le pas sur le fonds de notre programme.
J’ai confiance dans le PS, parce que c’est un parti fort, qui gagne et qu’il est composé aujourd’hui comme hier de personnes qui s’engagent chaque jour dans chaque ville, pour plus de justice sociale. C’est ça qui fait sa force.
Le fait de participer au Gouvernement ne signifie pas que l’on ne puisse pas avoir une politique revendicatrice, que l’on proteste, qu’on lance des initiatives et des référendums. Le travail de nos conseillers fédéraux doit être relayé dans la rue et complété aux autres échelons.
Que pourrions-nous faire si nous quittons le gouvernement que nous ne pourrions pas faire aujourd’hui ?
Je pense ensuite que nous n’avons pas à nous punir à cause des provocations de Blocher et à quitter le gouvernement, parce qu’il ne nous respecte pas. C’est à nous de nous imposer et pas de reculer et de lui laisser la place. Ce serait trop facile. S’il est incapable de respecter nos institutions, c’est à lui de quitter le Gouvernement, pas à nous.
J’ai une grande préoccupation quant à la représentation féminine dans nos exécutifs et pas seulement au Conseil fédéral.
Quant à l’idée de reprendre notre programme et à le rendre plus percutant, ça me paraît être une excellente occasion au moment où nous changeons de présidence.
Quant aux propositions qui ont été faites pour valoriser notre force, je les soutiens entièrement et j’estime qu’elles sont tout aussi valables si nous ne quittons pas le gouvernement : accroître le débat, mieux communiquer, améliorer nos relations avec les syndicats et cibler judicieusement nos interventions, initiatives, référendums, etc., de manière à économiser nos forces et à rendre notre discours plus clair, c’est toujours juste. Et bien sûr, continuer à réfléchir et à proposer, c’est ça notre force, c’est ça qui fait de notre parti, un parti, j’aimerais dire, d’avant-garde.
Merci de votre attention.