Foi et politique

Foi et politique

 

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

 

C’est un grand plaisir pour moi de me trouver aujourd’hui parmi vous. Tout d’abord j’ai le plaisir de faire votre connaissance, en tant que personnnes, et puis j’ai le plaisir de découvrir vos objectifs et les motivations de votre action.

 

J’apprécie aussi cette occasion que vous me donnez aujourd’hui de réfléchir ensemble et de manière plus approfondie aux relations qui existent entre la foi et la politique. Nous autres hommes et femmes politiques, nous sommes souvent enfermés dans l’action, nous pédalons « le nez sur le guidon », et nous n’avons pas toujours suffisamment de temps pour lever la tête, regarder autour de nous, nous consacrer à la réflexion. Vous m’en donnez l’occasion et je vous en remercie.

 

Le sujet que vous me proposez est très vaste et peut être étudié à plusieurs niveaux. Nous pouvons parler des rivalités entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, qui ont dominé de nombreuses périodes de notre histoire et qui existent encore dans certaines parties du monde.  Nous pouvons parler de notre organisation sociale, de la présence du religieux dans la politique et de son influence, de l’utilisation, par exemple, du sentiment religieux des citoyens pour les pousser à choisir certaines options politiques. Nous pouvons parler de sujets très débattus actuellement comme notre compréhension de la laïcité et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est un sujet particulièrement délicat dans nos sociétés, qui deviennent de plus en plus pluri-religieuses. Les relations entre la religion et la politique sont multiples, riches, mais aussi pas toujours faciles.

 

Eh bien, j’ai choisi un chemin très différent. J’ai choisi de faire avec vous une sorte de promenade entre foi et politique. C’est une promenade avec des amis. Chemin faisant, j’évoquerai mes sentiments, mes convictions, les passages de la Bible qui marquent le plus mon action politique et quelques modestes réflexions sur notre rôle de citoyens et de citoyennes.

Je voudrais partager avec vous des réflexions, des points d’interrogations qui resteront peut-être sans réponse ou qui appelleront vos propres réponses.

 

 

Qu’il ait ou non la foi, chaque être humain est à la fois un observateur du monde. Il regarde le monde et en tire des constats, des images. Mais il est aussi, en même temps, un acteur dans ce monde, c’est-à-dire un être, impliqué dans la vie familiale, sociale, économique, politique, et dont les actes ont une influence sur le monde et peuvent faire changer les choses.

 

Et cet être humain, qu’observe-t-il ? Il voit autour de lui des pays industrialisés, où rien ne manque, ou presque. Il voit des pays abandonnés, où tout manque, ou presque. Il voit des peuples puissants, qui protègent leurs intérêts économiques, même au prix de la guerre s’il le faut, et il voit des peuples obligés d’accepter des termes d’échanges défavorables, car ils ne peuvent imposer à leurs partenaires un commerce équitable. Il voit des êtres humains qui gaspillent leurs richesses sans comprendre le prix et la sueur qu’elles ont coûtés. Il voit des gens qui doivent faire des kilomètres de marche pour accéder à un point d’eau.  Il voit à l’intérieur même de chaque nation, des personnes qui ont bien plus que le nécessaire et d’autres qui n’ont pas de quoi offrir un petit cadeau à ceux qu’elles aiment.

 

Celui ou celle qui a la foi et celui ou celle qui ne l’a pas peuvent observer les mêmes choses, mais ce qui change, c’est ce qu’ils en font et comment ils réagissent devant ces faits, parce que la foi, le christianisme, mais aussi d’autres religions, nous donne une vision du monde qui nous change profondément, une vision du monde qui fait de nous des acteurs conscients du mouvement dans lequel nous nous inscrivons, des acteurs qui ne se plient pas forcément aux « lois de la nature », appelons-les comme ça, mais qui suivent des lois autres que celles de la nature, des lois qui nous sont proposées par notre foi.

 

En constatant les inégalités de traitement dont je viens de parler, la pauvreté, les malheurs de l’humanité en général, la maladie, la faim, l’homme d’avant le christianisme aurait pu dire : «C’est normal, dans la nature, il y a des forts et des faibles. Les forts mangent les faibles » et M. Darwin aurait ajouté : « et c’est ce qui permet aux espèces de perdurer et de se renforcer. C’est à ça que sert la sélection naturelle ».

 

Dans cette nature sans problème de conscience, le christianisme a apporté un changement complet de paradigme. Je suis fascinée par l’importance de cette révolution culturelle.

 

Avant, il y avait eu la loi de la jungle (le plus fort mange le plus faible), puis il y avait eu une sorte de justice, un embryon de justice, appelée loi du Thalion, exprimée par le dicton : « œil pour œil, dent pour dent » et puis il y a eu le christianisme. Le christianisme et ses lois incroyables…

 

Si vous recevez une gifle sur une joue, tendez l’autre joue

Si quelqu’un vous prend votre veste, donnez-lui aussi votre manteau

Aimez ceux qui vous haïssent

Faites du bien à ceux qui vous font du mal…

 

Le christianisme introduit un changement complet de références, de lois, une vision du monde totalement différente, non plus fondée sur le droit du plus fort, mais sur la solidarité, sur l’amour, sur la justice. Il n’y a plus de forts qui mangent des faibles. Tous les êtres humains sont égaux devant Dieu. Tous  sont des enfants de Dieu, au même titre. Dieu les aiment tous de la même manière. Il veut le salut de tous.

 

« Le commandement nouveau que je vous donne, c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés ».

 

C’est-à-dire pas juste un peu, ou juste si vous m’êtes sympathiques, mais totalement, généreusement, inconditionnellement.

 

Dans le christianisme, à la base de tout, il y a l’Amour, l’amour non pas des choses (nous ne parlons pas ici d’aimer un tableau ou un paysage), mais l’amour des autres, des êtres humains, tels qu’ils sont, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs imperfections ; mais aussi avec leurs expériences de vie, leurs bonheurs et leurs malheurs, leurs rêves et leurs objectifs. C’est tout ce qui fait de quelqu’un un être pensant, ressentant que nous aimons.

 

Or les personnes sont toutes prises dans des événements et des situations qu’elles dominent ou qu’elles subissent. Ce sont des personnes bien réelles, en chaire et en os, avec parfois  des soucis de chômage, la joie d’une naissance, la perte d’un être cher, une promotion professionnelle, une maladie, un échec scolaire, le portemonnaie vide à la fin du mois, ou tout autre événement qui peut modifier le cours de la vie.

 

Mais de toute façon, les personnes que nous sommes appelés à aimer, sont toutes prises dans un contexte bien concret. Ce contexte, nous pouvons l’observer et nous pouvons évaluer dans quelle mesure il influence l’existence de ces personnes. Et si nous les aimons, nous voulons que le contexte dans lequel elles vivent soit propice à leur épanouissement personnel et spirituel. A partir de là, il est difficile de faire abstraction des conditions d’existence des êtres que nous côtoyons.

 

A ce point de notre réflexion nous pouvons nous demander où est Dieu. Et nous savons bien qu’il n’est pas assis sur les nuages, comme on nous le montrait quand nous étions petits. Non, nous le savons, car la Bible nous le dit clairement, Dieu est en chacun de nous. « Mais Seigneur, quand t’avons-nous visité quand tu étais malade, quand t’avons-nous donné à manger quand tu avais faim ? » est-il écrit dans la Bible. « Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez ». En d’autres termes, le chrétien a la responsabilité d’agir, a la responsabilité de montrer sa solidarité et son amour à ses semblables. Pour être chrétien, il ne suffit pas de prier et de se conformer aux lois morales. Bien sûr, on peut chercher Dieu dans la méditation, on peut s’émerveiller de l’œuvre de Dieu en regardant un coucher de soleil sur le lac, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi se comporter avec amour envers les autres.

 

Dieu est aussi dans nos actes, dans nos décisions et c’est aussi à travers nos actes et nos décisions que nous pouvons le faire vivre. Nous comportons-nous toujours avec amour ? Sommes-nous toujours capables de rendre le bien pour le mal ? Sommes-nous toujours attentifs aux autres, ou les oublions-nous parfois dans leur solitude ? Suis-je allée voir ma tante à l’hôpital cette semaine ? Ai-je été à la rencontre de cette personne, ai-je cherché à la comprendre ?

 

Je peux me poser tous les jours à tous les instants ces questions dans ma vie privée, mais je peux aussi m’en poser de semblables dans ma vie politique. Mes décisions politiques peuvent aussi être imprégnées de cette réflexion. Tous les jours, dans le monde politique, nous avons à prendre des décisions. Certaines décisions n’ont que des conséquences mineures, mais d’autres sont cruciales, supposent que l’on s’engage, que l’on coure des risques. Quelquefois, elles nous obligent à réévaluer notre sens de la justice. Ce qui est compliqué, c’est que les intérêts des uns et des autres ne sont pas toujours les mêmes. Cela veut dire que quoi que l’on prenne comme décision, on avantagera toujours les uns et on désavantagera toujours les autres…  Comment trancher ? Je risque une réponse simple : la Bible nous propose d’aimer plus particulièrement les pauvres et les malheureux. Le royaume des cieux leur est ouvert.

 

Jésus raconte une histoire très exemplaire : la parabole du bon Samaritain. C’est celle que je préfère. Qu’est-ce qu’elle nous dit ?

 

Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Des brigands l’attaquèrent, lui arrachèrent ses vêtements pour le voler. Ils le battirent et s’en allèrent en le laissant à demi-mort. Un prêtre passa sans s’arrêter. Un Lévite fit de même. Mais un Samaritain, qui voyageait par ce même chemin arriva près de lui. Quand il le vit, il en eut profondément pitié. Il s’approcha de lui. Il versa de l’huile et du vin sur ses blessures et les recouvrit de pansements. Puis il le mit sur son âne et l’amena à l’hôtel. Il le soigna, paya l’hôtelier et promit de revenir pour couvrir tous les frais que l’hôtelier aurait eu.

 

 

Revenons à l’actualité et à la politique. Qu’est-ce que cela nous dit ?

 

Tout d’abord, la chose la plus évidente, c’est que dans notre société, personne ne doit rester au bord de la route. Nous avons à nous préoccuper, nous sommes responsables, de tous les habitants de ce pays, on peut même dire de notre planète, et en particulier, des plus pauvres, des malades ou des blessés de la vie.

 

Cependant, si je me contente de m’apitoyer sur le sort d’un homme misérable ou blessé, si je ne cherche pas la cause de son malheur, si je ne cherche pas à y remédier de manière générale, pour éviter que ce malheur ne touche d’autres personnes, ai-je véritablement accompli mon devoir ?

 

Que ferait le Christ aujourd’hui ? On peut imaginer qu’il dirait à peu près ceci : « Vous ne pouvez laisser sur le pavé des gens qui souffrent, qui ont faim, qui sont maltraités, qui sont victimes de l’injustice. Vous avez un devoir de justice et d’amour. Il faut aller jusqu’au bout » !

 

Nous avons le devoir de chercher des solutions efficaces. Tout seuls, nous ne pouvons pas y arriver.  On n’est jamais efficace quand on est tout seul ! Il faut donc s’unir. S’unir, c’est rechercher des gens qui ont la même préoccupation et qui sont prêts à réfléchir avec moi à des solutions. Il faut donc compter sur les forces de notre société qui cherchent des solutions, partis, syndicats, associations… Il faut donc passer au niveau politique. Il faut s’engager. Mais attention, le niveau politique ne suffit pas et tout le monde ne peut pas s’engager au niveau politique.

 

Le niveau politique ne suffit pas, car le politique ne bouge que quand la société bouge. Il faut que les électeurs soient convaincus du bien fondé d’une décision pour qu’elle soit portée au niveau politique, qu’elle ait une chance devant un Parlement ou plus tard, devant le peuple. Nous avons donc non seulement un devoir politique, mais aussi un devoir d’information et d’action beaucoup plus large. Nous devons faire bouger la société ! Cela veut dire que chacun, chacune de nous à une importance dans ce processus, peut avoir une influence sur sa sphère personnelle, peut s’engager à son niveau. Au fond, chacun, chacune fait de la politique !

 

Quand on ne veut pas voir la misère ou qu’on ne veut pas agir, qu’on ne se sent pas en mesure d’agir, on fait de la politique. On prend la décision ou on accepte de laisser perdurer un état de fait injuste. On passe à côté du blessé sans le voir…

 

Chère Madame, Cher Monsieur, votre silence, votre abstention font partie du rapport de force de ce pays ! La politique n’est que rapports de force. Et la force la plus puissante, c’est trop souvent la force d’inertie ! C’est elle qui permet de faire perdurer les plus grandes injustices, les violences évidentes ou sournoises faites aux êtres humains. J’entends pleurer ma voisine, mais je ne lui demande pas comment je peux l’aider. Je crains sa réponse. Dans mon pays, des milliers de clandestins n’ont aucun droit, aucun soin, mais qu’est-ce que je peux faire pour eux ?

 

Le bon Samaritain  ne se contente pas de dire au blessé : « Mon pauvre ami, comme vous êtes mal arrangé. Vous n’avez vraiment pas de chance. Je vous comprends et je suis de tout coeur avec vous…  Alors au revoir et bonne chance ! »

 

Non. Il agit.

 

Que penseriez-vous des chrétiens qui iraient visiter une famille pauvre dans un taudis et diraient : « C’est tout de même triste qu’il existe des logements aussi misérables. Je suis vraiment malheureux pour vous, mais voyez-vous, c’est comme ça. Vous n’avez pas de chance. Soyez certains que je vous aime beaucoup. Alors au revoir et bonne journée ! »

 

Les chrétiens ont quelquefois l’impression qu’en se mêlant de politique, ils risquent de se salir les mains. Oui, peut-être, on peut toujours se tromper. Seul celui qui ne fait rien ne peut pas se tromper. Quoiqu’en l’occurrence, je dirais plutôt que seul celui qui ne fait rien, est sûr de se tromper, car il n’aura pas tenté d’accomplir son devoir et en outre il aura fait apparaître l’Eglise  comme la plus grande force d’inertie de la société… Est-ce cela que nous voulons ?

 

Maintenant, si je traduis cette fameuse parabole en termes de programme politique, cela veut dire, pour moi, que je veux travailler à mettre en place un système de solidarité sociale efficace, qui permette la prise en charge de toutes les personnes, quel que soit leur situation ou leur état de fortune. Cela signifie une assurance maladie qui permette à tout un chacun d’être bien soigné jusqu’à sa guérison. Cela signifie un système de prise en charge des personnes âgées, de manière à ce qu’elles ne manquent de rien. Cela signifie un système d’assistance sociale, qui évite que des hommes et des femmes aient faim ou froid. C’est ainsi que le geste d’amour que fait le bon Samaritain, peut être étendu à l’ensemble de la société.

 

La parabole va assez loin dans la générosité à l’égard du blessé. Le bon Samaritain donne l’argent nécessaire. Et c’est bien là que se pose le problème de nos jours. Nous sommes d’accord que tout le monde soit bien soigné. Mais combien sommes-nous d’accord de payer pour les soins que l’on offre aux autres ? Un peu, un peu plus, beaucoup, n’importe combien ? La Bible ne donne pas de réponse. Elle dit seulement qu’il donne « ce qui est nécessaire » « Quand je repasserai par ici, je te paierai moi-même ce que tu auras dépensé en plus pour lui »… Il ne ménage pas sa bourse et lui remet ce qu’il faut jusqu’à la guérison du blessé. Chacun peut en faire son interprétation.

 

Cette parabole est aussi importante sur un autre point : quel que soit l’homme qui est au bord de la route, quelle que soit sa nationalité ou son appartenance, il mérite notre attention. Le bon Samaritain ne dit pas : « Ah, tiens, voilà un Juif. Je vais le mettre sur mon âne et le ramener à la frontière ». Non. Il se sent responsable de lui. Il ne se pose pas de question sur l’origine du blessé. Pour lui, c’est un être humain qui souffre et qui a besoin d’aide.

 

Comment, si l’on a ces éléments à l’esprit, peut-on voter des lois aussi sévères contre les requérants d’asile ? Comment peut-on refuser d’entrer en matière sur une demande, sans examen du fond, seulement parce que le requérant n’a pas de papiers, comment peut-on le reconduire à la frontière manu militari, alors qu’il n’est coupable que de tenter d’échapper à la misère ou à la violence ? Comment peut-on utiliser contre ces personnes des pistolets à électrochocs ou d’autres moyens coercitifs brutaux ? Comment peut-on refuser de diminuer les charges des familles pauvres, qui vivent au-dessous du minimum vital ? Voilà, me semble-t-il des questions qu’un chrétien devrait se poser. Voilà les questions que nous devons nous poser tous les jours et les réponses que nous devons chercher à la lumière de notre foi.

 

Ce n’est pas toujours facile, mais c’est un fil rouge que nous pouvons suivre.

 

 

 

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