Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de m’avoir invitée à cette journée de réflexion, importante, qui touche des thèmes, dont certains sont trop peu connus, comme le vécu de ceux qui ont traversé la guerre, des violences diverses, des situations d’extrême pauvreté, qui ont perdu leur famille, leurs repères, qui ont dû fuir et qui sont aujourd’hui en Suisse, cherchant à se reconstruire, à exister, à comprendre notre culture, à s’insérer socialement avec quelquefois beaucoup de difficultés, toujours au prix de grands efforts. Vous avez aussi choisi d’aborder avec courage et transparence, des thèmes qui sont beaucoup plus débattus, mais aussi très délicats, comme la difficulté d’intégration, la délinquance juvénile, sur lesquels on dit beaucoup de choses, pas toujours à bon escient d’ailleurs et pas toujours de manière très fondée non plus. Il y a beaucoup d’a priori, beaucoup d’interprétations simplistes, beaucoup de politique à courte vue.
Vous avez centré votre journée sur les difficultés rencontrées par les jeunes. Ce sont certainement des problèmes très importants, parce que les jeunes sont notre avenir et que c’est avec eux que nous construisons aujourd’hui notre société de demain.
Je voudrais cependant qu’on n’oublie pas qu’il n’y a pas que les jeunes qui ont des problèmes. Une grande partie des immigrés, qui ont vécu des moments particulièrement douloureux dans leur passé et qui doivent aujourd’hui trouver leur place dans notre société, rencontrent des difficultés plus ou moins graves, quel que soit leur âge.
Peut-être les jeunes réagissent-ils plus souvent par des comportements socialement réprimés et les adultes retournent-ils plus souvent leur agressivité contre eux-mêmes et se retrouvent-ils face à des dépressions ou des dépressions larvées qui se traduisent par des douleurs chroniques.
En tant que directrice de Pro Infirmis, je vois régulièrement passer des personnes, immigrées, dont la santé est définitivement atteinte, beaucoup de femmes entre deux âges, dont la souffrance est évidente. Elles se sont battues de toutes leurs forces pour résister à l’adversité, pour fuir, pour s’adapter, pour se reconstruire. Elles ont dépassé leur forces, mais elles ne veulent pas s’avouer vaincues, alors c’est leur corps qui leur rappelle que l’être humain a des limites.
Les difficultés que rencontrent les jeunes étrangers en Suisse, et qui mènent au stress, quelquefois à la dépression ou à des débordements qui vont jusqu’à la criminalité, ne tombent pas du ciel. Elles ne sont pas inscrites dans les gènes non plus . Non, elles sont l’expression d’un malaise.
Un malaise qui est l’aboutissement d’une évolution. Les jeunes qui se laissent entraîner sur ce chemin ont souvent vécu au préalable des déceptions et des frustrations, qui les ont amenés à refuser les règles de la société ou à se situer en marge d’une société dont ils sentent confusément qu’elle ne leur a pas offert les moyens de s’épanouir ou dont ils n’ont pas compris les règles ou les opportunités.
La seule solution, si l’on veut prendre le mal à la racine, c’est d’améliorer les mesures d’accueil et d’intégration.
En raison de sa grande pauvreté, la Suisse a vu beaucoup de ses ressortissants émigrer au cours des siècles. Ses soldats se louent aux armées des pays voisins. Ses agriculteurs tentent leur chance en Argentine et ses chômeurs partent pour les Etats-Unis, attirés par le rêve américain. Elle ne devient une terre d’immigration qu’à la fin du 19ème siècle, avec le développement industriel, les grands chantiers ferroviaires sous les Alpes et la construction des barrages hydrauliques.
En 2000, 20% de la population suisse et 23% de la population de notre canton sont étrangères. 88% des étrangers sont Européens : Italiens, Portugais et Français en majorité. Les Africains ne représentent que 6% des étrangers.
Près de la moitié de la population étrangère a entre 20 et 40 ans. Nous avons donc essentiellement de jeunes étrangers.
La nouvelle loi fédérale sur les étrangers qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2008, et que j’ai combattue à cause de ses mesures discriminatoires, donne cependant aussi à la Confédération la responsabilité de mener une politique d’intégration. Dans son rapport, la Confédération fait les constatations suivantes :
– 30% des étrangers qui travaillent n’ont pas de formation professionnelle (en comparaison, il n’y en a que 10% chez les Suisses) et 7% d’entre eux ne parlent aucune des langues nationales. Ils sont donc cantonnés dans des activités répétitives et peu intéressantes.
– Le taux de chômage est trois fois plus élevé que chez les Suisses et l’insécurité professionnelle est donc constante.
– 25% des réfugiés de 16 à 65 ans travaillent, ce qui veut dire que 75% d’entre eux ne disposent donc pas de cet instrument important d’intégration sociale et de valorisation individuelle.
– La santé des étrangers est moins bonne que celle des Suisses et le risque d’invalidité est supérieur, peut-être parce qu’ils sont employés à des tâches plus pénibles et plus dangereuses que les Suisses, mais aussi probablement à cause de leur passé de guerre ou de pauvreté, ainsi qu’à cause de leur difficulté d’adaptation.
– 30% des victimes de violence sont étrangères.
Ce sont les communes et les cantons qui ont les compétences principales dans le domaine de l’intégration. La Confédération se limite donc à adopter une stratégie de gestion et de coordination et à veiller à son application. Elle y ajoute quelques mesures d’encouragement.
La Confédération concentre les tâches prioritaires en matière d’intégration sur l’apprentissage d’une langue nationale, l’amélioration de la formation professionnelle et de l’accès au marché du travail.
Elle recense 45 mesures et met à disposition quelques fonds, beaucoup trop modestes à mon goût, pour les réaliser. Le principal groupe cible, ce sont les jeunes destinés à rester en Suisse.
Par mi les mesures proposées, on peut citer ces quelques mesures :
L’Office de la formation professionnelle demande aux cantons de mettre en place un des réseaux, de typye « case management » pour suivre les jeunes à risques depuis la 7ème année.
Le Secrétariat à l’économie propose de sensibiliser les employeurs à la problématique de l’intégration et de développer le principe des allocations d’initiation au travail.
Plusieurs offices se sont réunis pour mener ensemble des projets destinés à encourager l’intégration dans des zones urbaines pilotes défavorisées. Leur analyse est globale. Ils veulent à la fois promouvoir l’apprentissage des langues, améliorer la situation du logement et éviter la formation de ghettos, améliorer le suivi scolaire et favoriser la pratique de sport d’équipe.
L’Office fédéral de la justice prévoit des mesures de lutte contre la criminalité et la violence des jeunes. Il se propose de réduire la durée de la procédure pénale des mineurs.
Ces mesures ne sont pas inutiles, bien sûr, mais elles sont bien trop timides, en regard de la situation de la Suisse au centre de l’Europe, de la libre circulation des personnes qui ne peut que multiplier les échanges internationaux et de l’attractivité économique de notre pays. Il faut aller plus loin.
En particulier en ce qui concerne le marché du travail : nous devons reconnaître autant que faire se peut les diplômes des autres pays, faire appliquer une charte de non discrimination à l’embauche, avoir une pratique plus libérale des autorisations de séjour pour les non Européens.
Il faut systématiquement encourager la mixité culturelle et créer des postes de médiateurs culturels pour favoriser l’entente dans les quartiers, et non pas seulement dans quelques quartiers pilotes.
Il faut que tous ceux et celles qui habitent depuis quelques années dans notre pays puissent participer à la vie publique et se sentir concernés par la société dans laquelle ils vivent. Ils doivent pouvoir influencer leur avenir pour se sentir bien. Il faut donc continuer l’élargissement des droits politiques et encourager les étrangers à en faire usage. Il faut simplifier les procédures de naturalisations.
Et il faut bien sûr accueillir bien tous ceux et celles qui arrivent chez nous et leur apporter tous les renseignements nécessaires sur notre société et nos habitudes. Il faut multiplier les occasions de se rencontrer et de se parler, comme vous le faites aujourd’hui.
Il faut scolariser tous les enfants, même ceux qui sont en situation illégale, les aider à acquérir les bases nécessaires à la poursuite de leur formation et de leur apprentissage du métier qu’ils auront choisi. Il faut former les enseignants à l’enseignement pluriculturel et éviter que l’école ne devienne pour les enfants récemment arrivés en Suisse un lieu d’incompréhension, d’humiliations et de frustrations.
Neuchâtel est un canton pionnier dans le domaine de l’intégration des étrangers. Il a été le premier à se préoccuper de ce sujet et à créer un Bureau du délégué aux étrangers. Ce bureau n’a jamais été remis en cause et a même montré une belle efficacité depuis sa création.
On peut dire aujourd’hui que dans notre canton, Suisses et étrangers des diverses provenance vivent en bonne harmonie. Il n’y a pas de ghetto, il y a peu d’événements malheureux, de bagarres, de violences entre jeunes, mais bien sûr, il est nécessaire de rester attentif, car aujourd’hui que nous vivons dans un système de libre circulation des personnes, les mélanges culturels vont certainement encore augmenter.
Dans notre canton se croisent les frontaliers qui viennent travailler tous les jours, les investisseurs américains, anglais, italiens, africains du Sud, les réfugiés de l’ex-Yougoslavie ou de l’Afrique et les travailleurs de toute l’Europe.
Ca veut dire que les sources d’incompréhension sont nombreuses et qu’une situation conflictuelle peut dégénérer rapidement. Nous sommes un canton industriel et toutes ces personnes doivent travailler ensemble, passer leurs loisirs ensemble. Les enfants doivent étudier ensemble dans les écoles. Ce sont des dizaines de langues et de cultures qu’il faut harmoniser.
Le canton de Neuchâtel a clairement pris l’option de l’intégration, et non pas de l’assimilation. Intégration, cela veut dire que chacun fait un pas en direction de l’autre. Assimilation, cela voudrait dire que l’on demande aux étrangers de faire tout le chemin et d’acquérir la totalité de notre culture. C’est une manière de nier l’autre, de nier la différence, qui ne peut pas nous convenir.
Nous voulons intégrer et donner ainsi une chance à chacun et chacune de s’épanouir, de participer à la vie commune et je suis certaine que c’est là le meilleur moyen de prévention du stress, du malaise, puis de la maladie ou de la criminalité que nous puissions mettre en place.
Je vous remercie de votre attention.