En 1992, la Suisse a signé la convention de Rio sur le développement durable. A cette époque, la population ne savait pas encore en quoi consistait le développement durable. Il a fallu faire un intense travail de communication pour que ce nouveau concept passe, mais ce travail a été fait et le développement durable est maintenant reconnu comme une des bases de la réflexion politique dans tous les pays du monde. En Suisse, il a été ajouté à la constitution fédérale et je crois aussi à la constitution neuchâteloise. Maintenant, il ne reste plus qu’à le concrétiser. Mais quand on dit « plus qu’à », c’est une façon de parler, parce que c’est là que les difficultés commencent.
Le développement durable est fondé sur trois piliers : l’économie, le social et l’environnement, trois piliers qui doivent être équilibrés de telle manière que les besoins fondamentaux de tous les habitants actuels et futurs de notre planète soient couverts, tout en préservant les ressources non renouvelables. On ne peut donc pas utiliser plus que la terre peut produire ou ne peut supporter en matière de pollution. Il faut remarquer que c’est la première fois qu’on a une vision globale et à long terme du développement. C’est sans doute parce que c’est la première fois que nous avons compris que la Terre est un espace fini.
Qu’est-ce que cela signifie ?
En matière d’économie, cela veut dire que nous devons produire suffisamment de biens et de service pour nourrir et couvrir tous les besoins de base de tous les habitants de la terre, mais dans le respect des travailleurs et travailleuses et en utilisant moins de ressources naturelles non renouvelables et en limitant la production de déchets et d’émissions de toutes sortes. Le principe est simple, l’application est très difficile. C’est un idéal à très long terme.
Dans un premier temps, on a beaucoup parlé de la croissance zéro, mais dans notre système économique actuel, la croissance zéro pose des problèmes, parce que sans croissance, nous ne pouvons plus assurer le financement des assurances sociales par exemple, ni le plein emploi. On a alors fait la différence entre une croissance quantitative, fabriquer toujours plus de stylos, et une croissance qualitative, améliorer la productivité, fabriquer les mêmes stylos, mais en améliorant les processus de production, de manière à employer moins de matières premières et à causer moins de pollution.
Le principal défi de l’économie mondiale, c’est de nourrir tous les habitants de la terre. Un des défis de l’économie européenne, c’est d’assurer des conditions de travail décentes à tous et à toutes. Dans notre pays, nous avons déjà un bon niveau dans ces deux domaines. Le développement durable, pour nous, est un défi plutôt écologique. Comment améliorer les processus économique, du point de vue écologique ? On pourrait encourager la certification écologique. La norme écologique n’est pas encore très répandue, mais elle est quelquefois exigée lors de rachats d’entreprises, en particulier par des sociétés américaines. Les Américains sont sensibles aux normes écologiques, parce que c’est une garantie de bonne gestion environnementale, or la responsabilité environnementale peut coûter très cher aux entreprises en cas d’accident.
Dans le domaine social, deuxième pilier du développement durable, la Suisse remplit déjà la plupart des conditions du développement durable, avec son concept de démocratie participative. On peut cependant encore améliorer la prise en charge des personnes les plus démunies ou dont la vie est la plus difficile. On peut améliorer aussi le dialogue direct entre autorités et population. Le développement durable est lié à une organisation dite « bottom up », soit une organisation où les propositions sont faites par des groupes de citoyens. Les idées doivent venir de la base et être portées par la base.
Mais ce qui est notre véritable défi en matière de développement durable en Suisse, c’est évidemment la question écologique. Même si de grands efforts ont été faits en matière de lutte contre la pollution avec les centrales d’incinération des ordures et les stations d’épuration, nous avons encore une empreinte écologique beaucoup trop grande. Ca veut dire que nous utilisons encore beaucoup trop de ressources par habitant et que nous polluons encore beaucoup trop.
On pourrait parler de la pollution de l’air et des multiples problèmes de santé qu’elle engendre. On doit bien sûr veiller à diminuer les émissions des ménages, du trafic et de l’industrie. Le contrôle des émissions doit être un souci constant des services cantonaux et des mesures peuvent être prises par les autorités pour interdire l’utilisation des processus les plus polluants ou pour inciter à utiliser des processus respectueux de l’environnement.
On pourrait aussi parler de la pollution de la terre et de la diminution des territoires naturels. Nous avons fait un gros effort dans notre canton en matière d’aménagement du territoire, avec la protection des crêtes, les paysages marécageux d’importance nationale, l’arrêté cantonal sur les biotopes protégés et tous les milieux qui sont protégés aussi au niveau communal par les plans d’aménagement. Il y a eu aussi de nombreuses mesures de revitalisation qui ont été entreprises en compensation d’amélioration foncière ou de routes nationales. Cela ne suffit pas à enrayer la diminution des milieux naturels. Nous devons bien sûr réexaminer les surfaces constructibles et les zones industrielles, en particulier dans le cadre de la fusion des communes.
Cependant, notre problème le plus urgent, c’est sans doute l’énergie. Nous avons un grand défi à relever : l’autonomie de notre canton en matière énergétique.
C’est un grand défi à trois niveaux :
Le premier, c’est l’amélioration de l’efficience énergétique, avec l’amélioration de l’isolation des bâtiments en particulier et la diminution de nos besoins énergétiques tant dans la construction, que dans les transports ou les ménages. Il faut continuer les campagnes de sensibilisation auprès de la population pour changer les habitudes, créer des clubs d’entreprises pour la gestion de l’énergie et exiger que l’Etat donne l’exemple dans ses bâtiments et ses diverses tâches en choisissant toujours les appareils et les véhicules les moins gourmands en énergie.
Le deuxième, c’est la reconversion vers les énergies renouvelables. Il faut investir massivement dans les énergies renouvelables tant au niveau de la recherche et de l’innovation. C’est ce que nous faisons déjà à l’université de Neuchâtel et à l’EPFL avec les chaires en photovoltaïque et en géothermie.
Il faut investir massivement dans l’installation de microcentrales à énergie renouvelable, en particulier le photovoltaïque. Tout d’abord parce que c’est la source d’énergie la moins difficile à installer : il suffit de toits bien orientés. On peut les construire en pleine ville sans problème, c’est-à-dire à proximité des conduites électriques et des consommateurs. Je suis en revanche très réservée concernant les centrales photovoltaïques en plein champ, même si ça peut paraître plus facile au premier abord. La première chose à faire, c’est un cadastre des toits utilisables. Ensuite il faut commencer par les bâtiments publics et prévoir une procédure de location des toits privés si nécessaire.
Il ne faut pas oublier bien sûr une énergie renouvelable qui a encore un grand potentiel dans notre canton, c’est le bois. Chaque village peut s’offrir une centrale de chauffage à distance au bois.
Il y a de nombreux projets éoliens, mais ce sera très difficile de les mettre en place vu les problèmes paysagers que cela représente. Cela risque de prendre beaucoup plus de temps que prévu et pour un résultat décevant. Je n’investirais donc pas tout dans ce domaine.
La crise qui s’annonce nous donne une opportunité supplémentaire d’investir dans le domaine énergétique. C’est la volonté de la Confédération qui va mettre de l’argent dans un programme énergétique. C’est aussi la volonté du canton qui va relayer ce programme fédéral dans le cadre de ses mesures de lutte contre la récession.
Si nous savons profiter de cette crise pour préparer l’avenir, nous en ressortirons prêts à affronter les nouveaux défis énergétiques. C’est le moment de se lancer dans ces défis.