Droit de vote des femmes

50ème anniversaire du droit de vote des femmes dans le canton de Neuchâtel

Neuchâtel, le 25 novembre 2009

« Trois femmes à la barre de la Suisse ». Il y a 50 ans, quelle Neuchâteloise aurait imaginé un jour pouvoir lire ce titre dans le journal ? Et pourtant, c’est aujourd’hui une réalité et je m’en réjouis ! Oui, en 2010, les trois plus hautes fonctions politiques du pays seront occupées par des femmes. Avant-hier, Erika Forster a accédé à la présidence du Conseil des Etats et Pascale Bruderer à celle du Conseil national. Doris Leuthard devra, elle, être élue la semaine prochaine à la présidence de la Confédération.

C’est un beau symbole pour toutes les Neuchâteloises et les Neuchâtelois qui ont défendu, il y a 50 ans, le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes sur le plan cantonal et communal. C’est un beau symbole pour toutes les pionnières de ce canton qui se sont battues pour faire reconnaître ce droit aux femmes. Je pense ici à Jenny Humbert-Droz, militante socialiste et féministe, à Hélène Dubied-Chollet, première élue dans un parlement communal en 1960, à Raymonde Schweitzer, première femme siégeant dans un parlement cantonal en 1960, à Tilo Frey, première Conseillère nationale en 1971, à Jacqueline Bauermeister, première femme présidente du Grand Conseil en 1989, à Jeanne Philippin, première femme présidente d’un parti cantonal en 1989, à Monika Dusong et Josiane Nicolet en 1992, premières conseillères communales des villes de Neuchâtel et du Locle, puis première Conseillère d’Etat pour Monika Dusong en 1997 et finalement Michèle Berger, première Conseillère aux Etats en 1999.

Merci à elles pour leur ténacité et leur volonté. Merci à elles de nous avoir ouvert des portes, de nous avoir montré le chemin. Et quel chemin ! Je ne sais pas dans les détails quel a été celui des politiciennes dont j’ai énuméré les noms, mais j’imagine qu’il a dû ressembler à  un véritable marathon, avec peu d’instants de récupération. C’est en tout cas à cela que s’apparente mon parcours de femme en politique que je me permettrai de partager avec vous ce soi – puisque nous sommes entre nous.

J’ai commencé à être active en politique lorsque mes trois enfants ont été assez grands pour pouvoir rester seuls à la maison. Je n’avais en effet pas la possibilité de compter sur la présence de leur papa. Je connaissais donc des triples journées, avec mon activité de mère, mon activité professionnelle et mon activité politique – sans oublier les tâches domestiques. Oui, c’était un vrai marathon. Je jonglais entre ces quatre activités. J’ai heureusement pu compter sur le soutien très important de ma tante, aujourd’hui disparue, qui venait m’épauler en cas de besoin. Je lui dois beaucoup. J’ai donc appris, comme bien d’autres femmes, à gérer des tâches multiples dans des domaines fort éloignés, à fixer des priorité, à organiser ma vie, pour pouvoir faire tout ce que je devais faire, tout ce que je voulais faire et être présente pour mes enfants, ne pas oublier le plaisir, immense, de les voir grandir, de les voir rire, de rire avec eux, de partager avec eux un bout de chemin. Je ne sais pas si j’ai fait « tout juste », car tout est toujours perfectible, mais en tout cas, je suis heureuse d’avoir vécu tous ces instants-là. Je ne regrette rien.

Je suis heureuse aussi de tout ce que j’ai pu faire en politique, même s’il a fallu franchir des cols parfois sans apport d’oxygène extérieur, gravir des pentes recouvertes de préjugés tenaces, escalader des montagnes d’intolérance et d’ignorance et dévorer des kilomètres de dossiers…

Certes, mon parcours politique a été semé d’obstacles – et ce n’est certainement pas terminé, mais il a également été nourri par de magnifiques rencontres humaines, par de belles victoires dans de nombreux dossier, mais aussi, et surtout, avec le sentiment d’avoir su, d’avoir pu, jusqu’à maintenant du moins, rester moi-même, d’avoir su rester fidèle à mes convictions.

Oui, je suis restée moi-même, mais il est vrai qu’il se trouve que mon profil psychologique – selon les tests reconnus en la matière – est relativement masculin ! A savoir : j’ose m’affirmer, je n’ai pas peur de prendre des responsabilités, j’ai un esprit carré et structuré ! Peut-être est-ce dû à l’éducation plutôt masculine que j’ai reçue ? Un père et un grand-père mathématiciens, une mère et des sœurs scientifiques aussi… Mais est-ce que ce sont vraiment des caractéristiques masculines ???…

Outre l’éducation que j’ai reçue, l’autre moteur qui me guide dans la politique est la conviction, la conviction profonde, en tant que mère en particulier, que j’ai une responsabilité par rapport au monde que je veux transmettre à mes enfants, de l’héritage que je veux leur laisser. C’est pour cela que je m’engage dans des domaines comme le développement durable, le social ou l’écologie. Je pense que les femmes réfléchissent souvent à long terme et se sentent donc souvent concernées par ces thèmes.

Certes, la Suisse aura trois présidentes à sa tête, mais il reste encore du chemin à faire, je ne vous apprends rien Mesdames ! Permettez-moi d’illustrer mes propos par cette anecdote : je me suis amusée, lors des trois semaines d’une session parlementaire, alors que j’étais encore conseillère aux Etat, à compter les photos de femme publiées dans les journaux de toute la Suisse et qui sont à disposition dans la salle des pas perdus. Résultat : une photo de femme pour quatre photos d’hommes ! Curieusement – ou non – cela correspond à peu près au pourcentage de femmes au Parlement fédéral. La présence des femmes dans les médias s’apparente en fait à un miroir social, car il est vrai que notre société est encore organisée sur le modèle du mâle dominant et ne laisse que très peu de place aux femmes, y compris dans les autres domaines de la vie, tels que les arts ou les métiers. Beaucoup de citoyens (encore trop) acceptent ce modèle sans sourciller, le considèrent comme normal et ne le remettent pas en question. Je dirais même que la nouvelle génération ne se rend souvent pas compte de cette discrimination.

J’insiste sur le terme « beaucoup ». Je n’ai malheureusement pas dit « tout le monde ». Je suis consciente et très reconnaissante parce qu’il y a 50 ans, plus de la moitié des hommes de ce canton ont refusé que ce modèle soit un dogme incontestable et qu’ils ont accepté d’octroyer le droit de vote aux femmes.

C’est à nous toutes – et tous – réunies ce soir de faire rayonner nos convictions politiques au-delà de cet hémicycle pour convaincre nos filles, nos fils, nos (futurs) petites-filles et petits-fils, nos nièces et neveux de s’engager dans cette quête passionnante d’un monde meilleur. Comme l’ont fait, depuis 50 ans, toutes celles qui nous ont précédées et à qui je rends hommage ce soir. Je pense en particulier à ma mère, qui a beaucoup lutté pour le droit de vote et l’a toujours exercé jusqu’à ses derniers jours et à ma grand-mère, qui en rêvait, mais s’en est allée sans avoir jamais pu mettre son petit bulletin dans l’urne. Avec tous les héros et toutes les héroïnes de la lutte pour le droit de vote, elles ont ouvert le chemin pour que nous puissions aujourd’hui participer à la vie de la cité, exprimer notre avis ou exercer des fonctions politiques. Je les en remercie chaleureusement.

 

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