Lors de sa promenade à l’île Saint-Pierre en juin 2003, Pascal Couchepin a lancé un pavé dans la mare : il a prétendu que nous ne pourrions bientôt plus payer l’AVS et que nous devrions tous travailler jusqu’à 66 et même 67 ans.
L’effet d’annonce a été particulièrement réussi. Il a dépassé toutes les espérances du Département. La question de l’âge de la retraite est devenue le thème principal de l’été. Il a plombé toute la campagne électorale pour les fédérales 2003. Je peux supposer que Pascal Couchepin lui-même n’en espérait pas autant. Il a dû beaucoup regretter, mais un peu tard, le fracas que cette annonce a causé.
En effet, nous avons pu voir tout au long de la campagne des fédérales, des candidats radicaux gênés, ne sachant comment répondre aux journalistes pour ne pas désavouer leur Conseiller fédéral tout en laissant entendre qu’ils n’étaient pas tout à fait du même avis. Pascal Couchepin a certainement causé un grand tort au parti radical, tort qui s’est manifesté par un fort recul lors des élections fédérales, mais qui continue aussi à se manifester par des reculs sensibles dans les élections cantonales de cette dernière année. L’AVS n’est certainement pas seule en cause, mais c’est sûrement un des éléments qui a joué un rôle.
Pascal Couchepin a annoncé cela pendant la session d’été 2003. Son but n’était pas de soulever la révolution. Il était surtout tactique.
D’une part, il voulait sonder la population et voir si la résistance à l’augmentation de l’âge de la retraite serait grande. C’est sa manière de faire. Là, il a été servi. Il a pu constater l’attachement des Suisses à cette institution qu’est l’AVS. La manifestation qui a eu lieu en septembre a réuni des dizaines de milliers de personnes.
D’autre part, et surtout, il voulait donner un os à ronger aux journalistes, pendant qu’il bouclait la 11ème révision de l’AVS, pour détourner leur attention des vrais enjeux et des décisions qui étaient en train de se prendre au détriment des personnes âgées et des femmes en particulier.
Quels sont les enjeux de la 11ème révision ?
Augmentation de l’âge de la retraite des femmes
L’augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 62 à 65 ans, devait être compensé par une vraie flexibilisation de l’âge de la retraite pour les plus bas salaires. On avait fait 800 millions d’économie sur le dos des femmes. On devait les utiliser pour introduire une retraite flexible accessible à tous. Le DFI avait d’abord proposé l’utilisation de ces 800 millions pour cela. Puis il y a eu une proposition à 400 millions, puis on est encore descendu à 250 millions. Finalement, on a bouclé avec un petit sucre pour les femmes nées au début des années 50, elles pourront prendre leur retraite à 64 ans en perdant moins que prévu. Un petit cadeau à 140 millions. Où est passé le reste de ces 800 millions ?
La droite n’a pas tenu ses promesses. Aujourd’hui que le Parlement a bouclé la 11ème révision sur une diminution des prestations de l’AVS, c’est une évidence. Pour la première fois depuis sa création, une révision de l’AVS tend à réduire les prestations en faveur des personnes âgées.
Ce seul fait serait suffisant pour que nous disions non à cette révision. Cependant, la diminution des rentes de veuves, la réadaptation au coût de la vie tous les trois ans au lieu de tous les deux ans, l’insuffisance des mesures en matière de retraite flexible pour les bas salaires nous convainquent qu’il faut dire non.
Pascal Couchepin a réussi à faire croire à tout le monde que notre population vieillit et nous coûte trop cher et que les prestations doivent diminuer, car nous ne pourrons bientôt plus payer. Tout le monde s’est engouffré dans cette porte ouverte sans se demander si c’était vrai. Or, ce n’est pas aussi vrai que cela paraît. Les évaluations en matière de développements démographique ou économique qu’il a utilisées pour faire sa démonstration sont quasi impossibles. Elles ne sont en tout cas pas probables.
L’art des prévisions
Quand on fait des prévisions pour l’avenir, on se fonde toujours sur des hypothèses et évidemment, les prévisions seront très différentes selon les hypothèses que l’on aura choisies.
Par exemple, pour l’AVS, les variables importantes sont les suivantes :
Vous pouvez choisir comment vous voulez faire évoluer ces différentes variables et vous aurez des résultats extrêmement différents.
La variable no 1 est stable depuis longtemps. Nous avons en Suisse 1,2 enfant par femme en moyenne.
En revanche, la variable no 2 est aléatoire. L’immigration dépend essentiellement de la quantité de travail disponible en Suisse. Si notre croissance est bonne, on crée des places de travail et si l’on n’a plus suffisamment d’autochtones pour les occuper, on recourt à des étrangers en nombre suffisant. On peut partir de l’idée que l’immigration étrangère correspond assez exactement aux besoins de notre économie. Si nous n’avons plus de jeunes Suisses qui travaillent, nous aurons d’avantage d’étrangers. C’est encore plus vrai maintenant que nous avons la libre circulation des personnes.
La durée moyenne de la vie a beaucoup augmenté dans le courant du 20ème siècle. Elle est actuellement d’un peu plus de 80 ans. Le résultat ne sera pas du tout le même si vous admettez que tous les Suisses vivront jusqu’à 85 ans ou jusqu’à 100 ans. Une des courbes de l’OFAS postulait même que tous les Suisses arriveraient à plus de 100 ans. Vous voyez que dans ce cas le nombre de personnes à la retraite serait évidemment beaucoup plus élevé que si on postule que l’on arrive en moyenne à 85 ans. Or si l’on poursuit la courbe d’augmentation de la durée de vie, comme elle était au 20ème siècle, on arrive à ce résultat. Cependant, on voit déjà depuis quelques années que cette courbe s’aplatit et que la durée moyenne de la vie n’augmentera vraisemblablement plus beaucoup, ces prochaines années. Cette erreur vient de ce que l’on confond souvent la durée moyenne de la vie et l’espérance de vie. L’espérance de vie est d’un peu plus de 100 ans. Si vous avez de la chance, vous pouvez espérer arriver à 100 ans. Cependant, beaucoup n’auront pas de chance et n’arriveront pas à 100 ans, c’est pourquoi la durée moyenne de la vie est inférieure à l’espérance de vie. Donc là, M. Couchepin a été très optimiste.
En revanche, en ce qui concerne la variante 4, il n’est plus optimiste du tout, car il prévoit que nous allons continuer dans le marasme économique dans lequel nous sommes depuis quelques années. Il prévoit une croissance économique de 1,5%, puis 0,7%, puis 0,5%. C’est très faible. Beaucoup plus faible que la moyenne européenne. C’est absolument extraordinaire qu’il arrive à prévoir la croissance ainsi, alors que nos meilleurs analystes n’arrivent pas à nous prédire la croissance de l’année prochaine ! Mais cela n’est pas innocent. En effet, la croissance a une grande importance dans le financement des assurances sociales, car l’AVS est prélevée sur les salaires. Quand il y a croissance, il y a augmentation de la masse salariale et donc augmentation des revenus de l’AVS. La croissance moyenne est d’environ 1,5 à 3% par année. Si on choisit une telle croissance, le problème de l’AVS disparaît pratiquement totalement.
Ensuite, M. Couchepin fait fi du taux de chômage et du fait que quand on allonge l’âge de la retraite, on augmente le nombre de chômeurs, car on ne permet pas aux jeunes d’arriver sur le marché du travail. Alors là, M. Couchepin prévoit de nouveau une situation optimiste, qui permettrait d’absorber toute cette main-d’œuvre jeune et âgée supplémentaire, mais pourtant tout à l’heure avec la croissance, il prévoyait une situation défavorable, avec faible taux de croissance et par conséquent chômage élevé….
Enfin, il ne tien pas compte de l’âge réel de départ à la retraite. Cet âge n’est déjà pas de 65 ans maintenant. Ce ne sont que 40% des travailleurs qui continuent jusqu’à 65 ans aujourd’hui, donc l’effet d’économie sur l’AVS ne sera certainement pas aussi important que voulu.
Finalement, il ne prévoit pas de gains de productivité. Or de 1975 à 2002, le nombre des rentiers a augmenté de 61%. Durant le même temps, les dépenses de l’AVS sont restées stables en regard du PIB, variant entre 6 et 7% de celui-ci. Pour l’USS c’est en premier lieu l’évolution économique et surtout l’évolution des salaires qui conditionne l’avenir des finances de l’AVS.
La diminution des revenus des rentiers aura d’ailleurs aussi un effet de frein à la croissance, en diminuant les revenus d’une grande partie de la population, on diminuera la consommation et donc la croissance.
Après avoir soigneusement choisi les chiffres pour arriver au résultat que l’on veut, on démontre que notre population vieillit, que notre économie stagne et donc qu’on ne peut plus payer l’AVS….
Où en sommes-nous en réalité ?
D’abord, il faut faire une remarque : la Suisse à moins de problème de vieillissement que les autres pays industrialisés. Même si les naissances sont peu nombreuses, l’immigration maintient la population jeune. Nos prévisions sont donc bien meilleures que dans les autres pays de l’OCDE.
A l’heure actuelle, il y a un retraité pour 4 actifs. Il y en aura peut-être un pour 3 en 2020. C’est difficile à prévoir, cependant, les courbes du vieillissement montrent déjà un fléchissement. La durée moyenne de la vie plafonne aujourd’hui à un peu plus de 80 ans. On ne peut en tout cas pas prévoir une augmentation continue et que tout le monde arrive à 100 ans en 2020. Il est donc raisonnable de postuler ce rapport de 1 à 3 et non de 1 à 2, comme le disent certains.
Le point suivant, c’est les prévisions quant à la croissance. Pascal Couchepin a choisi des chiffres très probablement trop faibles. Prenons des chiffres moyens et prévoyons une petite augmentation de la productivité. L’OFAS reconnaît que si la croissance demeure telle qu’elle a été ces dernières années à l’étranger, le financement de l’AVS ne pose pas de problème jusqu’en 2015. A ce moment-là, un point de TVA suffira.
L’augmentation de l’âge de la retraite n’a que peu d’effet, car il n’y a pas la moitié des gens qui travaillent jusqu’à 65 ans actuellement, or même avec le scénario Couchepin, cela ne permettrait d’économiser que 0,5 point de TVA en 2015.
Il n’y a donc pas lieu d’augmenter l’âge de la retraite, ni de faire des économies supplémentaires au détriment des personnes âgées ou des veuves.
Cependant, il faut prévoir le relèvement de la TVA d’un point quand ce sera nécessaire, c’est-à-dire probablement en 2015. La TVA est le seul moyen vraiment capable d’assurer le financement de l’AVS à long terme, sans diminution des prestations. La TVA n’est pas un impôt apprécié de la gauche, cependant, il a l’avantage de répartir l’effort sur l’ensemble de la population et non plus seulement sur le travail. Dans cette période de concurrence exacerbée et de chômage, ce ne serait pas une bonne chose que d’augmenter la charge sur le travail. En outre, quand les cotisations ne sont prises que sur le travail, elles dépendent très fortement de la conjoncture. Avec la TVA, cette dépendance est moins directe. En outre, l’effort financier en faveur des personnes âgées sera aussi partagé par les personnes âgées qui sont à l’aise. Il y aura donc une répartition des charges entre plus de personnes.
Pascal Couchepin lui-même propose cette solution. Lors de la campagne où il s’est donné tellement de peine pour faire échouer l’initiative socialiste pour la santé à un prix abordable, l’un des arguments qu’il a répété souvent, c’était qu’il ne fallait pas utiliser la TVA pour financer la LAMal, car on devait la garder pour l’AVS et l’AI.
Prélever un point de TVA supplémentaire ne nécessite pas de grandes discussions. Il sera donc assez tôt pour s’en préoccuper quand les transferts de l’AVS ne pourront plus se faire correctement. Car contrairement à ce que l’on dit en général, la caisse AVS se vide à la même vitesse qu’elle se remplit, puisqu’il s’agit d’une assurance fondée non sur la capitalisation, mais sur la redistribution.
Un point reste encore à discuter, celui de l’or de la BNS. Nous avions quelques tonnes d’or qui dormaient dans les caves de la banque nationale et qui servaient à garantir le franc suisse. Or il y a longtemps que la stabilité des monnaies n’est plus garantie par leur convertibilité en or. Il faut donc trouver une utilisation à cet or. La vente de l’or devrait rapporter environ 20 milliards de francs et les intérêts de cette somme, si on la place, environ 500 à 600 millions par an.
Il y a déjà eu beaucoup de projets, dont celui que nous avons voté il y a deux ans qui attribuait un tiers des intérêts à la Fondation Suisse solidaire, un tiers à l’AVS et un tiers aux cantons. En 2003, Villiger est venu avec un nouveau projet, un tiers des intérêts à la Confédération et deux tiers aux cantons. Le Grand Conseil neuchâtelois, dans sa grande sagesse s’est dit un tien vaut mieux que deux tu l’auras et a aussitôt voté qu’on transfère à Neuchâtel le capital et non seulement les intérêts qui lui reviennent. La foire d’empoigne n’est pas terminée autour de cet or.
Mais de toute façon, même si on attribuait tout ce revenu, soit 500 millions par année, à l’AVS, ce ne serait qu’une paille, puisque l’AVS dépense environ 30 milliards par an. En revanche, cela permettrait de financer la retraite flexible pour les bas revenus. Ce pourrait être une voie de sortie.
Le PS a encore une initiative pendante qui voudrait attribuer les bénéfices de la BNS à l’AVS, et non pas les intérêts de l’or. La Commission de l’économie et des redevances du Conseil national a fait un pas vers un compromis fructueux, qui apporterait à l’AVS un financement supplémentaire approchant les 1250 millions de francs par an jusqu’en 2013, en lui attribuant une partie des bénéfices de la Banque nationale. Le PSS y est favorable.
Et puis, il y a la dernière proposition du PSS, de réduire les cotisations de l’assurance obligatoire LPP des personnes âgées de plus de 55 ans de 18 à 15%. Les moyens ainsi dégagés pourront alors être utilisés pour renforcer l’AVS. La crise de la bourse à montré les faiblesses du deuxième pilier fondé sur la capitalisation, c’est-à-dire sur le placement à long terme de sommes d’argent considérables. En baissant la part des employés et des employeurs au deuxième pilier, on remettrait l’accent sur le premier pilier, qui est plus équitable et plus important pour le PS.
L’actuelle rente de 2110.- ne permet pas à une personne seule de vivre décemment avec l’AVS seulement, ce qui est contraire au mandat constitutionnel, qui prévoit que l’AVS doit permettre de vivre. Le montant mensuel minimal devrait approcher les 3000.- à moyen terme.
Nous devons donc aujourd’hui nous battre pour renforcer l’AVS et pour éviter toute diminution des prestations. C’est la raison pour laquelle, il faut refuser la 11ème révision et accepter la hausse de la TVA pour l’AVS.
GO 13.04.04