Journée mondiale du livre

Mesdames, Messieurs,

Depuis que l’on a vu sur les écrans du monde entier Georges Bush tenant un livre à l’envers et le regard perdu dans le vague, l’image des politiciens en a pris un sacré coup, en ce qui concerne leur aptitude à la lecture…. Dans l’Impartial du 15 avril, Alexandre Caldara rebondit même sur ce cliché et en rajoute une couche. Il écrit : « Un politicien qui lit ou qui parle de littérature, ce n’est pas si fréquent que cela ». Eh bien non ! J’aimerais rétablir la vérité. Les politiciens et les politiciennes lisent ! Certains passent même leurs journées à lire et à écrire, des SMS, des courriels, des lettres, des discours, des rapports, voire même… des livres ! Mais évidemment, les journalistes ne nous demandent jamais ce que nous lisons ! Ils nous demandent seulement :

–       quelquefois ce que nous pensons,

–       ou si nous avons payé nos impôts

–       ou si nous avons déjà roulé en état d’ébriété…

 

Donc, j’aime lire et j’ai toujours lu beaucoup, …bien que je sois active en politique ! Je suis membre du conseil de fondation de Bibliomedia, une fondation qui a pour but de favoriser la connaissance de la littérature suisse et de traduire de nombreuses œuvres dans les langues nationales.

 

Ces temps, je lis surtout de la poésie, tous les styles de poésies, de Sapphô aux auteurs contemporains, en passant par la littérature française classique. J’aime la poésie parce que chaque texte est comme une perle, délicatement polie, courte, mais précise, et parce qu’elle parle directement au cœur. J’aime la musique des mots, l’élégance des phrases, la beauté qui naît du rythme et des rimes. J’ai donc toujours quelques volumes de poésies qui traînent sur ma table de nuit.

 

Pour aujourd’hui, j’ai eu envie d’apporter une petite touche féminine à cette manifestation. Je voulais vous parler d’auteures ou d’autrices et vous en lire quelques poèmes,….. mais je me suis heurtée à un véritable défi… Je possède de multiples anthologies de la poésie française, grecque, etc. mais il n’y a pratiquement pas de femmes poètes et celles qui le sont, sont parfaitement inconnues, exception faite peut-être de Sapphô, mais les vers de Sapphô sont assez directs et ne sont peut-être pas le mieux adaptés à une journée comme aujourd’hui.

 

En introduction, je vais vous lire quelques mots de Jeanne Bourrin, qui elle, est auteure de romans, que j’ai lu également d’ailleurs, et j’ai trouvé qu’elle parlait de la poésie bien mieux que je ne saurais le faire et qu’elle exprime, ce que je ressens.

 

« Pendant longtemps, il n’y eut de poèmes que musicaux. Jusqu’au 16ème siècle, on n’imaginait pas de réciter des vers sans accompagnement musical. La poésie et la musique allaient de pair. Elles se séparèrent alors pour suivre chacune sa voie propre, sans pour autant renoncer à renouer, au passage et au gré des inspirations, certains liens intimes. Longtemps, chacune dans leur domaine, elles évoluèrent du même pas.

 

Soudain, à notre époque, en ce 20ème siècle où tout change, où la rupture avec le passé s’accentue au point de devenir angoissante, la poésie semble perdre du terrain. Devenue plus difficile, voire hermétique, beaucoup moins familière, et moins populaire aussi, elle cède la place à la musique, qui déferle sur nous comme marée d’équinoxe. Grâce aux disques, aux cassettes, aux radios de toutes sortes, la musique triomphe enfin de sa sœur, devenue sa rivale.

 

Elle règne à présent sans partage sur nos existences, nos pensées et nos livres. Le rythme l’a emporté sur la rime.

 

Les livres de poésie se vendent mal, les émissions et les journaux littéraires ne laissent plus qu’une place modeste aux poèmes, et les poètes eux-mêmes, devenus des chercheurs de laboratoire ou des donneurs de messages, semblent avoir renoncé à plaire, à Margot !

 

Et pourtant…. Qui ne garde, au fond de sa mémoire, quelques bribes de poèmes à demi oubliés, quelques vers perdus, quelques complainte, fable, rondeau, madrigal, sonnet, élégie ou stance, qui reviennent à l’esprit au moindre prétexte ?

 

En dépit des apparences, rares sont ceux qui ne se sont jamais réveillés poursuivis par l’écho de rimes tournant obstinément dans leur tête, ou endormis en se berçant de vers confusément ressurgis de la nuit et du souvenir.

 

Au fond, la poésie tient une place beaucoup plus importante dans nos vies que nous ne le croyons.

 

Combien d’amants ont soupiré :

 

 

« O temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices !

Suspendez votre cours :

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours ! »

 

Mes parents répétaient à chaque occasion :

« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris »

 

En croisant une personne affligée d’un nez agressif, la tirade de Cyrano s’impose d’elle-même ; et la nostalgie souffle souvent en nous :

« Mais où sont les neiges d’antan ? »

 

Certains vers sont devenus proverbes : La Fontaine n’a pas cessé de faire rimer bon sens avec harmonie poétique. Des centaines d’alexandrins ont porté nos émois et nos découvertes théâtrales :

 

« Rome, l’unique objet de mon ressentiment. »

« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée. »

« Le monde, chère Agnès, est une étrange chose. »

« Bon appétit, messieurs ! – O ministres intègres ! »

« Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ? »

« Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre. »

 

Des pièces qui nous ont enthousiasmés, les passages dont nous nous souvenons le mieux sont ceux dont les assonances heureuses continuent de chanter en nous bien longtemps après la chute du rideau.

 

La poésie, c’est beaucoup plus qu’une forme littéraire, c’est la traduction ennoblie de nos émotions, de nos rêves, de nos peines, de nos désirs.

 

A travers le langage soudain magnifié, nous atteignons à la source même de ce qui nous fait agir, penser ou croire.

 

Il est de grands thèmes lyriques qu’on retrouve dans toutes les poésies du monde, mais on peut également y découvrir d’humbles vérités quotidiennes. Dieu, l’amour, la mort, le lait de la tendresse humaine,  ou l’horreur, la peur, la misère et la douleur s’y rencontrent sans cesse, mais aussi le pain , la lampe, un chien, l’aiguille, le puits, une larme sur une joue d’enfant, un pommier en fleur ou un crapaud.

 

Tout est matière à poésie. Le plus grave est de l’avoir oublié. Ou, tout au moins, de le croire. En réalité, nous le savons plus ou moins consciemment, car la mémoire collective des Français en est peuplée….

 

Contrairement à ce qu’on a pu croire, Poésie n’est pas morte. Elle n’est qu’endormie et demeure indispensable à la pensée humaine. Dont elle est une des formes d’expression les plus anciennes et les plus spontanées.

 

Nous redécouvrons que nous avons besoin d’elle pour rire et pour pleurer, pour maudire et pour aimer. Elle est notre amie et notre messagère. Un livre de poèmes n’est rien d’autre qu’un cœur ouvert, et il est grand temps qu’on redonne à un art qui a tenu une telle place dans l’histoire de la culture humaine le rôle qui lui revient dans la formation de nos sensibilités et de nos goûts : le premier.

 

Flaubert disait : « Lisez pour vivre ». En ce siècle matérialiste et technique où nous sommes, ne pourrait-on pas ajouter : Lisez des poèmes pour sauvegarder  vos capacités de rêve, d’enthousiasme, d’imagination, pour conserver les possibilités d’évasion dont vous éprouvez un tel besoin, enfin pour vous réfugier ailleurs, dans le monde enchanté de l’harmonie poétique. Là où il nous est donné d’enfourcher Pégase, le cheval ailé qui nous emporte, bien loin de la médiocrité de chaque jour, de nos soucis ou de  nos angoisses, dans le « champ des étoiles » dont parlait Hugo dans un de ces vers admirables que nous n’avons pas le droit d’oublier.

 

Je vais donc  vous lire des poèmes charmants d’une autrice parfaitement inconnue, France Ravenel, et je dirais très injustement inconnue.

 

J’ai eu envie de partager ces quelques moments d’émotion avec vous, sans aucune prétention. Je ne suis ni comédienne, ni critique littéraire.  Je ne suis même pas professeure de français… Mais doit-on l’être pour apprécier un poème ?

 

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