C’est vrai, il fallait moderniser la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers, suite à l’adoption des accords bilatéraux. Mais, l’esprit qui a présidé à cette révision, c’est un esprit de repli sur soi et de rejet de l’autre. Nous n’avons pas saisi l’opportunité de faire une loi moderne, adaptée au monde dans lequel nous vivons. Nous aurions dû faire une loi sur la migration et sur l’intégration, parce que c’est ça, le vrai problème aujourd’hui. Même si quelques éléments d’intégration sont évoqués, pour la première fois, dans la loi que nous allons voter, on est encore loin de ce que l’on pourrait faire pour améliorer la cohabitation des Suisses et des étrangers.
Nous n’avons pas à avoir honte du canton de Neuchâtel. Notre canton est un pionnier. Il a octroyé en 1848 déjà, le droit de vote sur le plan communal aux étrangers, pour les remercier d’avoir participé à la révolution neuchâteloise. Et avec la nouvelle constitution, nous avons passé au droit de votre au niveau cantonal. Manquent encore l’éligibilité. Nous avons aussi depuis longtemps un bureau de l’intégration.
La Suisse, d’une manière générale, n’a pas toujours été aussi frileuse. Au 19ème siècle, elle était ouverte au monde. Elle était alors un pays d’émigration, due à la pauvreté, mais aussi d’immigration, puisque la Suisse accueillait déjà 500’000 étrangers en 1914. Ces étrangers jouissaient d’une grande liberté d’établissement. En outre, jusqu’en 1920, ils pouvaient obtenir la naturalisation au bout de deux ans de séjour. Ce n’est que pendant la première guerre mondiale que les choses se sont gâtées : en 1917, on a créé l’Office central de police des étrangers, puis on a allongé à 6 ans la durée du séjour avant de pouvoir être naturalisé. En 1925, on a introduit un article constitutionnel, qui permettait l’expulsion des étrangers.
Cette nouvelle loi continue sur cette lancée. Si l’on fait le tour de ces 122 articles, on y trouve des mesures d’éloignement, renvoi ordinaire, interdiction d’entrée, révocation de l’autorisation, expulsion, perquisition, mesures de contrainte, assignation d’un lieu de résidence, sanctions administratives et discriminations selon l’origine, la qualification, le titre de séjour, limitation du regroupement familial, dispositions pénales et sanctions administratives.
Et j’ai quelques doutes que nous respections vraiment la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 8 de la constitution. Parce que, cet article est clair. A l’alinéa 1, il dit: « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi » et à l’alinéa 2: « Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale …. » Or notre loi fait des différences notables entre les étrangers selon leur provenance et leur qualification. Et en ce qui concerne le regroupement familial, je pense que cette loi ne respecte pas la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Alors que les ressortissants de l’UE peuvent faire venir leurs enfants de moins de 21 ans sans problème, le regroupement familial doit intervenir dans les cinq premières années pour les personnes non ressortissantes de l’UE. Les enfants de plus de 12 ans doivent même être amenés dans un délai de 12 mois. Il est bien sûr avantageux, du point de vue de l’intégration, de faire venir les enfants rapidement, mais ce n’est pas toujours possible et quelquefois justement à cause des contraintes administratives. Il faut avoir un bon revenu et un logement adéquat. Sur ce point, les gens sont totalement tributaires du bon vouloir de la police des étrangers.
Quand il s’agit de personnes hors UE, la LEtr introduit plusieurs cas de figure :
1. Si l’enfant étranger est membre de la famille d’un ressortissant suisse ou d’une personne étrangère titulaire d’une autorisation d’établissement, il a droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité s’il vit en ménage commun avec le ressortissant suisse ou l’étranger titulaire d’une autorisation d’établissement. S’il a moins de 12 ans, il a droit à une autorisation d’établissement.
2. Si l’enfant étranger est membre de la famille d’une personne étrangère titulaire d’une autorisation de séjour ou de courte durée, la LEtr ne lui reconnaît aucun droit à une autorisation. Le regroupement familial est laissé à la libre appréciation de l’autorité. En outre, la loi prévoit d’autres conditions à remplir, telles que faire ménage commun, ce qui n’était pas exigé par l’ancienne loi, avoir un logement approprié ou ne pas dépendre de l’aide sociale.
La LEtr prévoit à son article 47, un régime de délais pour le regroupement familial. Cette disposition est libellée comme suit:
Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de 12 mois (sauf pour les regroupements visés par l’art. 42, al. 2).
Passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures.
En cas de dissolution de la famille (art. 50 LEtr), le droit de l’enfant à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité en vertu des articles 42 (membre de la famille d’un ressortissant suisse) et 43 (membre de la famille d’une personne titulaire d’une autorisation d’établissement) subsiste dans deux situations:
a) l’union conjugale a duré au moins trois ans et l’intégration est réussie;
b) la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des raisons personnelles majeures, ce qui est le cas notamment lorsqu’il y a eu violence conjugale et que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise.
Exemple
Samir, originaire de Croatie, vit en Suisse depuis 10 ans. Il a un bon salaire et parle bien le français. Maintenant qu’il est stabilisé, il aimerait faire venir sa femme et ses trois enfants de 9, 11 et 13 ans. Il n’est autorisé à faire venir que son épouse et ses deux fils cadets.
Le mariage binational
Dans le cas d’un mariage binational, si les ressortissants de l’UE ne sont pas limités pour le regroupement familial, les Suisses doivent faire venir leurs enfants jusqu’à l’âge de 12 ans dans un délai de 5 ans et si les enfants ont plus de 12 ans, dans un délai d’un an. Les Suisses sont donc discriminés face aux ressortissants de l’UE.
Exemple
Anne est Suissesse. Elle est mariée depuis 6 ans avec David, qui est Sénégalais. Ils voudraient faire venir en Suisse Marie, la fille que David a eue d’un premier mariage et qui vit au Sénégal avec sa grand-mère. La grand-mère étant âgée, la jeune fille de 14 ans est un peu laissée à elle-même. Cela leur est refusé, car Marie et son père ne se sont plus vus beaucoup depuis 6 ans.
Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant
L’article 3, al. 1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant a la teneur suivante :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Cela veut dire que lorsque le Parlement légifère, il doit veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale. Est considéré comme enfant au sens de cette convention, tout être humain âgé de moins de 18 ans.
Si on estime que la famille est le lieu où l’enfant est le plus à même de grandir et de se développer harmonieusement, qu’elle est là pour lui fournir la protection et l’assistance dont il a besoin pour s’épanouir, alors on peut se demander si le fait d’empêcher le regroupement familial, de le restreindre ou de le limiter aux enfants de moins de 12 ans, peut réellement correspondre à «l’intérêt supérieur de l’enfant» et par conséquent à l’article 3 de la CDE.
Les enfants sans papiers
Quant aux enfants sans papier, leur situation est particulièrement préoccupante. Selon un rapport commandé par l’Office fédéral des migrations, sur les plus de 100’000 Sans-papiers qui vivent dans ce pays, on dénombre 10 à 30% d’enfants.
Selon l’article 64, al 1, let a, LEtr, «les autorités compétentes renvoient l’étranger de Suisse sans décision formelle s’il n’a pas d’autorisation alors qu’il y est tenu», et ceci, qu’il soit majeur ou mineur. Du point de vue légal, il n’existe aucune alternative au renvoi, hormis l’article 30, lettre b LEtr: qui introduit une dérogation possible pour des cas individuels d’une extrême gravité.
Dans le régime juridique actuel tout comme dans celui de la LEtr, les sans-papiers, en particulier les enfants, sont pris en tenaille entre le renvoi – dont l’exécution par les cantons est très problématique et la quasi impossibilité d’obtenir un statut légal. Ils se trouvent donc dans une situation de très grande précarité et de peur continuelle, une situation qui n’est évidemment pas compatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant.
La LEtr sépare les migrants entre Européens et autres ressortissants.
La LEtr produit des clandestins et des sans droits.
La LEtr déchire les familles en restreignant le droit au regroupement.
La LEtr permet d’enquêter sur les relations entre de futurs mariés.
La LEtr renforce les mesures de contraintes et permet la détention pour insoumission jusqu’à deux ans (art. 79). S’agissant de mineurs âgés de 15 à 18 ans, la détention pourra aller jusqu’à 12 mois au total (sans autre faute que le fait de ne pas vouloir quitter la Suisse).
Pour toutes ces raisons, elle doit être rejetée.
L’histoire des étrangers en Suisse, c’est l’histoire de notre essor économique et culturel, mais c’est aussi l’histoire de ces peurs, de ces discriminations, de cette xénophobie. Peur de la surpopulation étrangère, repli sur l’identité nationale. Cette loi en est une nouvelle illustration. Cependant, j’aimerais souligner, que si le peuple suisse a été souvent trop sensible à ces sirènes, il a aussi rejeté à six reprises des initiatives populaires xénophobes.
Notre pays a besoin d’une loi sur la migration et sur l’intégration, d’une loi pour une société qui a pris acte que les murs, même administratifs ne peuvent empêcher le déplacement des êtres humains, une loi qui apporte une solution au problème des sans-papiers et des sans-droits.