Pas de rente…et après?

 Dans son communiqué de presse du 14 septembre 2006, le Département fédéral de l’Intérieur se réjouit des données du premier semestre 2006 : le nombre de nouvelles rentes a baissé de 18% par rapport au premier semestre 2005.  Depuis janvier 2006, le nombre total des rentes en cours s’est stabilisé pour la première fois, alors que les recettes dues aux cotisations salariales ont augmenté.  Le déficit de l’AI, qui avait été évalué à 1,7 milliard, est ainsi resté bien en-deçà, soit à 1,2 milliard. Tout cela serait très réjouissant, si on pouvait l’attribuer à la détection précoce et à la réinsertion professionnelle des personnes menacées d’invalidité. En réalité, la 5ème révision et la détection précoce ne sont pas encore en vigueur et cette « heureuse » nouvelle est  essentiellement due à la plus grande sévérité des Offices AI.

 

Selon les informations fournies par le DFI, les OAI ont octroyé un total pondéré de 9800 rentes au cours du premier semestre 2006, contre 11900 pour la même période de 2005, soit une baisse de 18%. La baisse est même de 30% par rapport au premier semestre de 2003. L’autocensure fonctionne à merveille. Les ONG qui conseillent les personnes handicapées les découragent de déposer une demande, voire de recourir, sachant qu’elles n’ont aucune chance d’obtenir une rente. Si elles le font quand même, les OAI se chargent d’écrémer. Les taux de refus continuent de croître, passant de 41% à 45% entre les premiers semestres de 2005 et 2006, pour les premières demandes.

 

Très bien ! Mais que deviennent les personnes à qui l’on refuse une rente AI ? Dans l’idéal, elles retrouvent un travail rémunérateur et subviennent à leurs besoins. Le DFI soutient qu’il en est ainsi. La réalité est certainement plus nuancée.

 

 

L’étude

 

En l’absence de toute donnée sur ce sujet, il était impossible de confirmer ou d’infirmer ces dires. Il fallait combler cette lacune, afin d’entrer dans le débat sur la 5ème révision en pouvant s’appuyer sur des bases réelles et non pas seulement sur des impressions.

 

La diminution du nombre de rentes octroyées est-elle positive ? Comment savoir si les personnes menacées d’invalidité se réintègrent dans le circuit professionnel ?  Est-elle au contraire préoccupante ? Correspond-elle à un transfert de charges de l’AI vers d’autres assurances sociales, en particulier vers l’assurance chômage et vers l’aide sociale ? Dans ce cas, il ne s’agirait pas d’une amélioration, mais d’une péjoration de la situation sociale des personnes concernées. Il s’agitait également, non pas d’économies, mais d’un report de charges de la Confédération sur les cantons et les communes.

 

 

 

 

 

La méthode

 

Pour pouvoir répondre à ces questions, nous avons observé un échantillon de 69 personnes ayant toutes reçu une réponse négative à leur demande de rente AI. Les participants proviennent de toutes les régions de la Suisse. Leurs âges sont compris entre 28 et 65 ans.

 

Nous aurions préféré un échantillon plus important, mais l’accès aux informations a été difficile en raison de la protection des données. Il a fallu, dans chaque cas, prier des assistants sociaux de contacter les personnes concernées, de leurs demander si elles étaient d’accord qu’on transmette leurs coordonnées à l’équipe de recherche. En cas d’approbation, il a fallu contacter ces personnes, leur faire signer une déclaration de « consentement éclairé » et ensuite leur remettre le questionnaire avec quelques explications et une enveloppe de retour.

 

Les personnes devaient indiquer à quelle date et pour quel motif elles avaient fait une demande de rente AI, ainsi qu’à quelle date et pour quel motif cette rente leur avait été refusée. Elles devaient également préciser leurs sources de revenus actuelles.

 

 

Les résultats

 

79% des personnes interrogées disent avoir fait une demande de rente à la suite d’une maladie physique ou de douleurs chroniques les empêchant d’exercer une activité professionnelle. Une grande partie des participants cumule ces deux handicaps. Les autres souffrent de troubles psychiques ou des suites d’un accident.

 

35% des individus interrogés sont actuellement pris en charge par leur famille (salaire du conjoint, aide financière des parents ou des enfants).

 

39% vivent de l’aide sociale.

 

26% travaillent à temps partiel ou ont d’autres sources de revenus.

 

On peut donc observer que dans les faits, la réinsertion professionnelle, même partielle, est une solution minoritaire. En outre, les emplois décrochés sont souvent précaires et peu rémunérateurs. 74% des personnes interrogées sont entièrement à la charge de leur famille ou de l’aide sociale. Dans les remarques annexes à notre questionnaire, plusieurs personnes ajoutent qu’elles n’ont pas été écoutées par les experts de l’AI. Elles sont souvent désemparées par leur situation et culpabilisent à l’idée d’être un poids pour leur famille.

 

Les réponses de l’AI sont arrivées dans des délais allant de 3 à 54 mois. Cependant, la moyenne est d’un peu plus d’un an.

 

 

 

 

 

Conclusion

 

Notre échantillon a été récolté de manière totalement aléatoire. Il ne peut être extrapolé sans précaution. Il est cependant indicatif du problème que peut poser une politique d’octroi de rentes trop sévère.

 

Les personnes interrogées, à qui l’on a refusé une rente AI, ont  beaucoup de peine à trouver un emploi et à en vivre. Elles sont majoritairement à la charge de leur famille ou de l’aide sociale. La situation idéale que nous avons évoquée précédemment ne correspond pas vraiment à la réalité.

 

La réalité, c’est un transfert de charges de la Confédération vers les cantons, les communes et les familles.

La réalité, c’est l’appauvrissement des familles qui doivent entretenir la personne malade.

La réalité, c’est la précarisation de personnes atteintes dans leur santé.

 

 

Gisèle Ory

29 septembre 2006

 

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