Art. 33 LPTh
Monsieur le Président,
Monsieur le Conseiller fédéral,
Chers Collègues,
L’art. 33 de la LPTh est destiné à protéger les patients contre les influences pécuniaires que pourraient subir les professionnels habilités à prescrire ou à remettre des médicaments. Cependant, cet article n’a pas toute l’efficacité que l’on pourrait attendre. Il permet en effet à 12 cantons de continuer à admettre une pratique discutable : celle de laisser aux médecins le droit de vendre eux-mêmes ce qu’ils prescrivent, une pratique que l’on nomme quelquefois pro-pharmacie ou dispensation médicale. Pourtant, la dispensation médicale est bien la forme d’influence la plus directe: le médecin peut décider lui-même de prescrire un médicament plutôt qu’un autre ou une certaine quantité de médicaments plutôt qu’une autre pour des raisons pécuniaires, la facture allant à l’assurance, qui ne peut la remettre en question!
Cette pratique est choquante et certainement contraire à l’intérêt des patients, comme à celui des assureurs. Ces sont des millions de francs qui sont en cause. Cela devrait nous interpeler.
Lors de la mise en vigueur de la LPTh en janvier 2002, l’industrie pharmaceutique a interprété cet article anticorruption d’une manière très restrictive : elle a estimé que tous les rabais étaient désormais interdits, puisqu’ils pouvaient exercer une influence sur les professions médicales. L’industrie pharmaceutique a donc cessé d’accorder des rabais aux hôpitaux, alors qu’auparavant elle accordait des rabais pouvant aller jusqu’à 50%!
La facture des hôpitaux en a été très gravement affectée et a atteint 70 millions la première année selon les pharmaciens d’hôpitaux. Et comme les cantons paient les déficits des hôpitaux, ils se sont sentis concernés. La pratique de ces rabais, a ainsi été révélée et a soulevé un certain nombre de questions, questions auxquelles les cantons de Genève et du Valais ont répondu en déposant ces initiatives cantonales.
Ces deux initiatives demandent qu’il ne soit plus possible d’accorder de rabais aux médecins ni aux hôpitaux ne disposant pas d’une pharmacie d’hôpital. Cela est destiné à éviter d’influencer les médecins-praticiens et les médecins-chefs des hôpitaux.
Dans un premier temps, les deux commissions du National et des Etats se sont penchées sur ces initiatives et ont décidé de leur donner suite et notre commission a demandé à l’administration de préparer une formulation qui tienne compte de la question des rabais aux hôpitaux, de la transparence et de la corruption. L’administration a préparé un bon document, qui relève les faiblesses de l’art. 33 actuel et fait des contre-propositions intéressantes, mais en mai 2005, la commission a proposé de classer ces deux initiatives. Le Conseil national n’a pas suivi cet avis.
La Conférence romande des affaires sanitaires nous a écrit en septembre de cette année pour nous demander de suivre le Conseil national, estimant qu’ « il est important de modifier la LPTh et d’ancrer ainsi dans une base légale la possibilité de bénéficier de rabais sur les médicaments remis aux hôpitaux et de répercuter ces rabais sur les prix facturés aux patients ».
La Commission du Conseil des Etats vous propose aujourd’hui une solution de compromis, une motion demandant d’édicter « une réglementation qui établisse clairement les règles de transparence et dans quelle mesure il peut être octroyé des rabais dans le cadre de la prescription et de la remise de médicaments et de dispositifs médicaux ». Si je peux me rallier à cette solution de compromis, je pense néanmoins qu’elle n’est pas suffisamment précise et qu’elle ne couvre pas tous les points que nous devrions traiter dans le cadre de cet article 33.
Le premier point, c’est qu’elle ne fixe pas de délai. Le deuxième, c’est que l’on parle d’une réglementation qui établisse dans quelle mesure il peut être octroyé des rabais. Cette formulation admet donc qu’il y ait des avantages matériels qui soient octroyés. Elle n’interdit donc pas ces pratiques. Le troisième, c’est qu’elle n’aborde pas la question de la dispensation médicale.
Or cette question doit être réglée au niveau fédéral. Les lois cantonales sont bien insuffisantes pour cela. En Suisse romande, la pratique est différente de celle qui prévaut dans certains cantons alémaniques. En Suisse romande, la dispensation médicale n’est pas autorisée, sauf dans quelques cas bien particuliers, si la pharmacie la plus proche est très éloignée ou si l’acte médical le nécessite.
En Suisse alémanique, certains médecins achètent des actions et participent à un conglomérat grossiste-pharmacie-envoi postal appartenant à des médecins dispensant. Le médecin actionnaire est intéressé au chiffre d’affaires de l’entreprise. Il reçoit une contribution pour chaque position de prescription qu’il commande à cette « pharmacie » qui ensuite envoie les médicaments au patient par la poste. Donc plus le médecin prescrit et convainc le patient de passer par sa pharmacie, plus il gagne d’argent!
La Suisse romande s’inquiète beaucoup de cet état de fait. Elle s’inquiète plus encore depuis les jugements des Tribunaux administratifs de Fribourg et de Genève, qui estiment dans des cas de compérages, interdits par les lois cantonales romandes, que les cantons ne sont plus compétents pour juger de tels cas, car ils seraient désormais du ressort de l’art. 33 LPTh!
Swissmedic a émis ultérieurement un avis contraire et estime que le compérage serait malgré tout l’affaire des cantons. Mais ce n’est pas sûr du tout : si cela reste de la compétence des cantons sans aucun support dans le droit fédéral, les Romands craignent de se faire imposer des pratiques tolérées en Suisse alémanique par le truchement de la Loi sur le marché intérieur, qui vient d’ailleurs d’être renforcée.
Ce qu’il faut, c’est :
1. garantir que le médecin prescrive sans y être poussé par l’intérêt,
2. qu’il prescrive sans être poussé par l’intérêt à prescrire un médicament plutôt qu’un autre
3. qu’il prescrive sans avoir intérêt à atteindre un volume ou un chiffre d’affaires auprès d’un fournisseur.
Les pharmaciens d’hôpitaux doivent pouvoir obtenir de meilleurs prix, mais il faut qu’ils aient un intérêt à le faire et qu’il y ait une transparence totale par rapport au payeur, soit en principe la caisse-maladie.
Pour cela, il faut ancrer dans le droit fédéral une norme applicable contre le compérage, sinon la LMI et le principe du Cassis de Dijon imposeront en Suisse romande, au Tessin, en Argovie et à Bâle-Ville les pratiques tolérées dans certains cantons.
Je vous propose d’accepter la motion de la Commission, de classer les deux initiatives et je me réserve de revenir sur ce sujet avec de nouvelles propositions, afin de régler enfin ces questions restées ouvertes.