Mesdames et Messieurs,
Tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre invitation et de m’associer à cette journée de porte ouverte sur les Somalis de l’Ogaden en Suisse.
Je suis heureuse de partager ces quelques instants avec vous et de réfléchir avec vous à ce qu’est la démocratie.
Qu’est-ce que la démocratie ? On peut répondre simplement que c’est un système politique dans lequel le pouvoir suprême est exercé par le peuple. Là-dessus tout le monde est d’accord. En revanche, cela pose une question plus difficile : qu’est-ce que le peuple ?
A cette question, on a répondu de manière très différente au cours des siècles. On y répond encore de manières différentes aujourd’hui selon les pays.
Ce sont les Grecs, qui inventent le mot de « démocratie », dans l’Antiquité. Ils opposent la démocratie, où le pouvoir est exercé par le peuple, à la monarchie, où le pouvoir est exercé par un roi et à l’oligarchie, où le pouvoir est exercé par un groupe de privilégiés. Pour les Grecs, le peuple, ce n’est pas tout le monde. Ce sont les « citoyens » d’Athènes. Cela élimine les non citoyens, les étrangers, les sans droits, les esclaves et bien sûr, les femmes.
C’est Monsieur de Montesquieu, au siècle des Lumières, qui réinvente la démocratie et en explique le fonctionnement dans son ouvrage, qui reste une référence : « L’esprit des lois ».
Monsieur de Montesquieu a une idée géniale, c’est la séparation des pouvoirs. Il imagine que pour que le système fonctionne, il faut qu’il y ait plusieurs pouvoirs qui s’équilibrent et se contrôlent les uns les autres. S’il n’y a qu’un pouvoir, alors tous les dérapages sont possibles. Il décrit le système des trois pouvoirs. Le pouvoir législatif, c’est le peuple souverain ou ses représentants réunis dans un Parlement. Il est chargé de faire les lois. Le pouvoir exécutif, c’est le collège gouvernemental, le Conseil fédéral, le président de la République et ses ministres. Il est chargé d’exécuter les lois, de les mettre en application. Le pouvoir judiciaire, ce sont les tribunaux. Il est chargé de vérifier que les citoyens respectent les lois. Toutes les démocraties modernes sont fondées sur une séparation plus ou moins stricte entre ces trois pouvoirs.
Chacun des trois pouvoirs est tenu de respecter les attributions des autres. Cela signifie par exemple que le pouvoir exécutif n’a pas le droit de s’ingérer dans les tâches des tribunaux. Nous avons vécu récemment un cas grave d’ingérence du Conseil fédéral dans les affaires du Tribunal fédéral, quand M. Blocher s’est permis de remettre en cause un jugement du Tribunal fédéral concernant deux Kosovars réfugiés en Suisse. Le Parlement est immédiatement intervenu par sa commission de gestion, pour rappeler le Conseiller fédéral fautif à l’ordre. Le Parlement, comme premier pouvoir, représentant du peuple, a le droit de rappeler le Conseil fédéral à ses devoirs.
La notion de séparation des pouvoirs, comme la définition du peuple continue d’évoluer. Qu’est-ce que le peuple aujourd’hui ?
On peut dire que plus la définition du peuple est large plus la démocratie est aboutie. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Même s’il n’a pas disparu partout, l’esclavage n’est plus accepté en droit. La Convention des droits de l’homme stipule clairement que les hommes naissent égaux en droits. Est-ce aussi vrai que ça devrait l’être ?
En réalité, il y a bel et bien des différences notables. La première différence qui saute aux yeux, c’est la différence de droits et de traitement entre les hommes et les femmes. Elle est encore présente dans beaucoup de pays. En Suisse, les femmes n’ont le droit de vote que depuis 1971. C’est extrêmement tard. Une démocratie où seulement la moitié des citoyens peuvent voter, n’est pas vraiment une démocratie ! C’est pire encore si l’on parle des élues. Il n’y a que 20% de femmes au Parlement suisse. C’est un mauvais résultat en regard des autres pays du monde.
La deuxième différence qui saute aux yeux, c’est la différence des droits entre les autochtones et les étrangers. Des gens qui vivent en Suisse depuis des décennies n’ont pas le droit de vote, parce qu’ils n’ont pas la citoyenneté suisse et pourtant, ils travaillent ici, parlent la même langue, envoient leurs enfants dans les mêmes écoles, paient leurs impôts. Avec la fréquence des échanges au niveau mondial, cela fait beaucoup de monde.
Le canton de Neuchâtel a remédié à cet état de fait en donnant le droit de vote aux étrangers dans sa nouvelle constitution de 2000. Les étrangers établis à Neuchâtel peuvent voter au niveau communal et cantonal. Reste encore le droit d’éligibilité. Pour que la démocratie soit complète. Il faut non seulement pouvoir voter, mais aussi pouvoir être élu. Une initiative populaire demande l’éligibilité au niveau communal et cantonal. Elle sera votée en juin. Ceux et celles, parmi vous, qui ont le droit de vote, seraient bien inspirés d’aller voter, car une démocratie n’est vivante que si les citoyens et les citoyennes se mobilisent pour elle.
Cependant, même si cette initiative passe, il y aura encore une catégorie de personnes qui restera sans droits, ce sont les clandestins, ceux et celles qui n’ont pas le droit de séjourner chez nous. Pour eux, nous devrons encore trouver une solution satisfaisante.
On dit que la démocratie est le moins mauvais des systèmes politiques. C’est sans doute vrai, en ce sens, que tous les systèmes politiques sont perfectibles.
On peut améliorer la démocratie, on vient de le voir, en donnant des droits à plus de citoyens. On peut aussi l’améliorer en donnant plus de droits aux citoyens et aux citoyennes.
La Suisse connaît plusieurs instruments de démocratie directe, qui lui sont propres. Il s’agit des droits d’initiative et de référendum. Par initiative, le peuple peut modifier la constitution dans le sens qui lui convient. Par référendum, il peut s’opposer à une modification qui a été demandée par le Parlement et dont il ne veut pas, parce que c’est toujours le peuple qui doit avoir le dernier mot.
Le Grand Conseil neuchâtelois vient de donner plus de droits aux citoyens et citoyennes neuchâtelois en facilitant le recours à l’initiative et au référendum. Nous avons voté lors de la dernière session une modification de la loi : désormais, il faut moins de signatures pour pouvoir déposer une initiative ou un référendum.
On peut également envisager d’augmenter les droits d’initiative et de référendum en les étendant à de nouveaux outils.
On a déjà parlé à plusieurs reprises de l’initiative législative. A l’heure actuelle, le peuple ne peut proposer qu’une modification de la constitution. On pourrait imaginer qu’il puisse également proposer une modification de la loi.
On a déjà parlé aussi du référendum constructif. A l’heure actuelle, le peuple peut seulement dire NON à une loi votée par le Parlement et toute la loi est refusée. S’il ne s’oppose qu’à un article de la loi, il est obligé de refuser toute la loi. Avec le référendum constructif, on pourrait modifier un article de la loi, sans s’opposer à l’ensemble de la loi.
La démocratie est un état de droit. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que toutes les décisions prises par les organes d’exécution doivent trouver leur fondement dans la loi. La loi s’applique à tous les citoyens sans différence. Il ne peut y avoir aucun traitement de faveur, aucune exception. L’égalité de traitement entre les citoyens et les citoyennes est garantie par la constitution. Si un citoyen estime que l’Etat l’a traité de manière différente d’un autre citoyen, il peut recourir devant un tribunal et le tribunal, qui est le troisième pouvoir, va contrôler la manière d’agir de l’exécutif, qui est le deuxième pouvoir, comme on l’a vu au début dans la séparation des pouvoirs.
L’état de droit garantit que tous les citoyens sont également traités et il garantit aussi que l’état ne peut pas imposer à un citoyen des charges qui n’ont pas été réglées par le premier pouvoir. Les devoirs qui incombent aux citoyens sont clairement définis. Les devoirs qui incombent à l’état sont aussi clairement définis.
En cas de litige entre l’état et un citoyen, c’est le troisième pouvoir qui tranche et s’assure que l’état n’exerce pas une contrainte illégale à l’égard d’un citoyen ou d’une citoyenne.
L’état de droit permet à chacun de prévoir les droits et les devoirs qu’il a et donc de s’y préparer. C’est très important pour le secteur économique, car on ne peut investir avec un peu de sécurité, or le capital apprécie la sécurité, que quand on sait clairement à quoi on doit s’attendre en matière de règles de construction, de responsabilité civile en cas d’accident, de charges fiscales ou de précautions environnementales.
L’état de droit n’est pas seulement une forme d’organisation dans laquelle le citoyen peut s’épanouir, parce qu’il sait que ses droits sont respectés et qu’il peut participer à la construction de son avenir, mais c’est aussi une condition sine qua non du développement économique.
C’est pourquoi nous devons toujours veiller à ce que la démocratie, notre démocratie reste toujours vivante et solide. Nous devons toujours réfléchir à son amélioration.
Je vous remercie de votre attention.