Suspension de prestations dans l’assurance maladie

Monsieur le Président,

Monsieur le Conseiller fédéral,

Chers Collègues,

 

Je regrette vivement la réponse du Conseil fédéral à ce postulat, car le Conseil fédéral lui-même connaît et reconnaît dans sa réponse l’importance du problème.

 

Il estime qu’il est trop tôt pour faire un bilan. Non ! Ce n’est pas prématuré. Bien au contraire ! Cet article est en vigueur depuis une année et ses effets se sont déjà fait terriblement sentir. Nous ne pouvons pas laisser les conditions de vie des malades se dégrader encore plus. Nous savons quels sont les problèmes. Nous ne pouvons pas les ignorer. Nous ne pouvons pas refuser de prendre nos responsabilités et nier que nous en sommes à l’origine de ces problèmes et que nous pouvons les corriger.

 

Les assureurs font valoir que certaines personnes ont de la peine à payer leurs primes. Il y a en effet quelques retardataires, j’en conviens et je le regrette, mais selon les comptes des assureurs, ils ne sont pas très nombreux et ne représentent qu’un tout petit pourcentage des assurés.

 

Faut-il pour cela pénaliser gravement et mettre en danger la santé de milliers de personnes qui ne peuvent pas payer leurs primes, parce qu’elles sont dans des situations financières, et souvent aussi de santé, très difficiles ? Les pauvres n’ont-ils pas, chez nous, le même droit à la santé que les nantis ? Vous allez me répondre, Monsieur le Conseiller fédéral, Chers Collègues, que tout un chacun a le même droit à la santé et que cela n’est pas remis en cause par l’article 64a. Au niveau du droit, je vous l’accorde. Au niveau de la réalité, ce n’est plus sûr du tout. Or c’est quand même l’application dans la réalité qui doit nourrir notre réflexion et non pas ce que nous avons imaginé à l’époque.

 

Le Conseil fédéral, dans sa réponse, parle de dysfonctionnements, dysfonctionnements qui pourraient être résolus par des conventions entre les cantons et les assureurs. Oui pour un certain nombre de cas, non pour de très nombreux cas, à moins que les assureurs ne renoncent à toute suspension de prestations par convention et que l’on détourne ainsi l’inapplicabilité de l’art. 64a ! Dès qu’il y a suspension, il faut savoir quand on suspend et c’est là qu’il y a problème. Quand et comment peut-on trier les gens entre les simples retardataires, qui paieront le moins prochain, parce qu’ils ont oublié ou traversé une période un peu plus difficile et les insolvables ou les malades, qui ne peuvent pas payer pour raison financière ou parce qu’ils sont à l’hôpital depuis des mois et dans l’incapacité de suivre leurs affaires…

 

L’un des critères choisi par les cantons, c’est l’acte de défaut de bien. Dès qu’il y en a un, on sait que la personne est insolvable et le canton prend les arriérés à sa charge. Le problème, c’est qu’il peut se passer des mois entre le moment où la personne est suspendue et le moment où elle a un acte de défaut de biens. Dans certains cas, on n’y arrivera même jamais. Que deviennent les gens suspendus sans acte de défaut de bien ?…

 

Si l’Etat se met à pallier aussi pour des personnes qui ne sont pas définitivement insolvables, alors la facture sera considérable et l’article 64a aura un effet pervers inattendu et contraire au but recherché: il suffira que l’on ne paie pas ses primes pour que l’Etat les prenne en charge… Comme encouragement à payer ses primes, on trouver mieux !

 

En outre les assureurs suspendent aussi les prestations pour des arriérés de paiement des complémentaires, ce qui ne regarde pas l’Etat et donc que l’Etat ne peut pas prendre en charge, ou pour des factures qui datent d’avant l’art. 64a, ce qui se discute.

 

Si une suspension de prestations n’est peut-être pas trop grave pour une personne en bonne santé, elle est dramatique pour les malades chroniques et les personnes handicapées. Et des cas dramatiques, j’en vois beaucoup trop souvent à mon goût, beaucoup trop pour que je puisse rester indifférente, pour que vous puissiez rester indifférents.

 

Ce sont des personnes profondément atteinte dans leur santé, hospitalisées depuis des mois, qui se voient notifier une suspension de prestations, parce qu’elles n’ont pu payer leurs primes, vu qu’elles n’ont pas pu suivre leurs affaires. Ce sont des malades chroniques, souffrant de douleurs aigües, dépendant d’analgésiques puissants, qui se les voient refuser par le pharmacien. Ce sont des malades psychiques, qui reçoivent leurs médicaments pilule par pilule quand ils peuvent les payer comptant. C’est un pharmacien paniqué qui me téléphone qu’il a dans son officine une personne en train de faire une crise d’angoisse terrible et qui ne veut pas lui donner le médicament dont il a besoin, si je ne m’engage pas à le payer moi-même. Ce sont aussi des gens handicapés, qui n’osent plus aller chez le médecin, sachant qu’ils ne pourront pas le payer.

 

C’est grave, c’est très grave. Vous ne pouvez pas l’ignorer ! Les associations privées tentent de pallier comme elles peuvent.

 

Dans le canton de Neuchâtel, 8000 personnes sont en suspension de prestations. 2000 environ sont dans l’incapacité financière de payer leurs primes. Combien parmi elles sont des malades chroniques ?

 

Les dossiers s’accumulent au service de l’assurance maladie. Le Conseil d’Etat a mis en place une cellule de crise. Il propose depuis quelques jours une solution dite transitoire, en attendant une modification du droit fédéral. Cette solution ressemble à celles d’autres cantons et a le même effet pervers : toutes les personne en suspension de prestations, même les simples retardataires, peuvent se faire soigner dans les hôpitaux publics, recevoir les prestations des centres de santé et même obtenir des médicaments chez certains pharmaciens. On en revient donc à la case départ, celle d’avant l’art. 64a, en ce qui concerne l’incitation, mais avec beaucoup plus de complications pour les cantons…

 

Une révision de l’ordonnance ne peut suffire, à moins qu’elle ne s’éloigne clairement du texte de la loi. Mais dans ce cas, pourquoi garder la loi ? Elle est notoirement inapplicable. Pourquoi ne pas le reconnaître et entreprendre sa révision ? On ne fait que perdre du temps et engendrer des drames humains supplémentaires.

 

Je vous propose donc, non pas de réviser une ordonnance, ce qui ne pourrait être qu’un emplâtre sur une jambe de bois, mais de faire une analyse approfondie de la situation, de reprendre cet article 64a et de lui trouver une formulation qui le rende applicable et donc d’accepter ce postulat.

 

 

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