Inauguration du Centre Prévention et Santé de Colombier

Nous voici donc rue de Sombacour. J’ai à peine eu le temps de visiter, en entrant, mais ce que je vois déjà, c’est que ces locaux, que je découvre aujourd’hui, dégagent une ambiance particulière de tranquillité et de plénitude. Ils sont également très esthétiques, d’une architecture simple et élégante, mais audacieuse. Je tiens à en féliciter les concepteurs et tous ceux qui ont participé à cette réalisation.

 

Votre projet, votre Centre, c’est une aventure exceptionnelle et enthousiasmante. Vous avez entamé cette démarche, il y a plus de 20 ans maintenant, avec le Centre Femmes et Santé. Vous avez traversé ces deux décennies, en diversifiant votre offre, en l’enrichissant, et tout cela, sans aucune aide publique.  Vous prenez aujourd’hui un nouveau départ, dans ces locaux, modernes, spacieux et fonctionnels.

 

Je vous souhaite, à vous tous qui êtes collaborateurs de ce Centre, d’y travailler avec bonheur et d’y trouver plus qu’un lieu de travail, un lieu de vie, d’accueil et d’échanges fructueux.

 

Vous avez travaillé au service de la santé de tous et de toutes. Vous étiez convaincus, selon l’adage, que « mieux vaut prévenir que guérir ».

 

Vous étiez en avance sur votre temps ! Avec notre conception occidentale de la santé, nous sommes convaincus que la santé, ça va de soi et qu’il ne faut s’occuper de notre machine, ou de notre moteur, que quand il commence à avoir des ratés….  Selon une définition que je viens de lire : « la médecine est une révolte contre la maladie, la souffrance et la mort ». Notre médecine occidentale est essentiellement réparatrice.

 

Aujourd’hui, la médecine se trouve au centre d’un véritable tourbillon de pensées diverses et les notions mêmes de médecine et de santé ne sont plus très claires. Repenser la place de la médecine dans notre société, éclaircir le rôle, les attentes, que nous avons face à la médecine, est un exercice préalable nécessaire, lorsque l’on veut définir le système de santé que nous voulons pour demain.

 

Cet exercice est cependant hautement périlleux, car le conflit est sous-jacent, les intérêts contradictoires, l’émotionnel très présent. La santé est pour chacun et chacune de nous un bien trop précieux pour qu’il soit facile de prendre de la distance.

 

Nos sentiments face à la médecine sont souvent ambivalents.

 

Nous avons le sentiment  que la médecine est toute puissante. Ce sentiment s’exprime dans l’attitude que nous avons face à la maladie et à la mort. Ce ne sont plus des fatalités, ce sont simplement des problèmes non encore résolus, mais qui trouveront certainement une solution technique… Alors, nous lui en voulons lorsqu’elle échoue et nous rappelle notre condition humaine limitée. Et des limites, nous en avons, limites biologiques : depuis quel âge pouvons-nous faire vivre un grand prématuré ? Jusqu’à quand voulons-nous maintenir en vie une personne âgée ? Il y a les limites éthiques, qui nous sont posées surtout au niveau de la recherche (cellules souches, avortement, génie génétique, manipulation du patrimoine humain, xénotransplantation), mais il y a aussi des limites économiques : combien sommes-nous prêts à dépenser pour retrouver la santé ? Quand on est en bonne santé ? … Et quand on est malade ? Lorsque nous allons bien, nous nous plaignons de la cherté des primes de l’assurance maladie, mais quand nous, ou l’un de nos proches, sommes gravement malades, nous voulons profiter de toutes les technologies les plus complexes et les plus chères.

 

Aujourd’hui, c’est la pression des coûts qui nous oblige à réfléchir et à repenser le rôle de la médecine. Quelle médecine voulons-nous ? Quel degré technique ? Quelle solidarité ? Quel temps consacré au patient ?

 

Nous cherchons désespérément à assurer une bonne prise en charge du patient, à un coût raisonnable. Nous tentons la voie de la rationalisation. Le Grand Conseil neuchâtelois vient de prendre en considération le rapport sur la planification sanitaire cantonale, planification dont on espère qu’elle générera des économies en supprimant les doublons et les surcapacités hospitalières et en regroupant les soins les plus chers dans les hôpitaux principaux. Le débat va continuer lors de la prochaine séance de relevée, le 30 novembre, par la discussion concernant la création de l’établissement hospitalier multisite, qui est la concrétisation de la mise en réseau et de la répartition des tâches entre les hôpitaux du canton. La planification sanitaire est une obligation qui découle de la LAMal. C’est une piste à explorer pour parvenir à maîtriser l’augmentation des coûts de la santé. Remarquez que l’on ne parle plus de diminuer les coûts, mais seulement de maîtriser l’augmentation… Y parviendrons-nous ainsi ? Peut-être en partie. Ce ne sera certainement pas suffisant.

 

Il y a bien d’autres idées qui fleurissent sous la coupole fédérale, pour tenter de maîtriser ces fameux coûts : limiter l’ouverture de nouveaux cabinets médicaux, lever l’obligation de contracter avec les médecins, favoriser le modèle du médecin de famille, mettre en place des pools de coûts élevés pour répartir les risques entre les assurances, contrôler les prix des médicaments, favoriser l’utilisation des génériques, responsabiliser les patients en augmentant les franchises et les participations, introduire une carte de santé pour éviter les multiples examens inutiles,…. Le Tarmed avait la même fonction. Les réflexions que nous menons maintenant sur les APDRG, ou financement à la prestation, si vous voulez, ont aussi le même objectif.

 

Nos collègues UDC, qui n’y vont jamais avec le dos de la cuillère, proposent même de ne plus rembourser une partie des prestations de base, qu’ils estiment être de confort, ce qui n’est ni plus ni moins qu’une dérive vers une médecine à deux vitesses : une assurance de base, qui rembourse le strict minimum et qui est destinée aux gens dont les revenus sont faibles et des complémentaires, chères, très lucratives, qui remboursent tous les traitements, mais que ne peut s’offrir que la partie aisée de la population.

 

Le Conseil fédéral et le Parlement travaillent constamment à la maîtrise des coûts de la santé. Pas une session, ou presque, sans un vote sur le sujet. Rien n’y a fait jusqu’à maintenant. Et ce n’est pas un hasard, peut-être même pas une preuve de l’incompétence du politique…. C’est plutôt le résultat des options que nous avons choisies et auxquelles nous tenons : nous voulons une médecine de grande qualité, accessible à tous et à toutes de la même manière (La LAMal a introduit l’égalité de traitement entre les générations et entre les sexes, mais cependant, elle n’a pas établi d’égalité entre les citoyens des différents cantons…). Nous voulons une médecine libérale, nous voulons une concurrence (entre guillemets, si vous permettez, car vous qui êtes des professionnels de la santé, vous savez que cette concurrence est toute relative) entre les médecins, les assureurs, les pharmaciens, etc.  Nous voulons le libre choix du médecin, nous voulons la liberté de contracter, la liberté de s’installer,… mais nous ne pouvons plus payer nos primes !

 

Alors comment les faire diminuer, au moins pour ceux qui ont le plus de peine à les payer ? La Commission du Conseil des Etats vient de proposer une solution, qui pour la première fois, à quelques chances de trouver le consensus. Elle propose de fixer dans la loi qu’il faudrait réduire « au moins de moitié » les primes des enfants mineurs ou en formation, au moins pour les familles les plus modestes, sans fixer de revenu maximum.

 

(Les cantons ne sont pas d’accord qu’on leur impose cette restriction. Ils n’étaient pas non plus d’accord que l’on propose la gratuité pour les enfants, car ils trouvaient que c’était trop cher. De cette manière, on ne force pas la main des cantons et on aide quand même les familles de manière assez sensible.  L’aide fédérale actuelle est de 2,3 milliards. Elle serait relevée de 0,2 milliards d’ici 2007. Les cantons y ajouteraient 0,1 milliard.)

 

Ajoutons encore l’initiative fédérale, lancée par le Mouvement populaire des familles, qui demande une caisse maladie unique pour les prestations de base.

 

Beaucoup de propositions, beaucoup de travail, peu de résultats….

 

Et si c’était vous qui aviez raison ?… et si la prévention était notre piste la plus prometteuse ? Et si nous regardions la question de la santé par l’autre bout. Et si nous partions de l’idée que la population qui coûte le moins cher, c’est encore celle qui est en bonne santé ? Et si nous choisissions, comme vous, d’agir et non de réagir ?

 

« La santé, état de bien-être physique et psychique qui doit rendre capable de vivre harmonieusement avec les autres, quel que soit le stade de l’existence, n’est pas un produit de consommation. C’est une conquête de tous les jours pour chacune et chacun. Cette démarche implique conscience, responsabilisation et volonté. » C’est ce que j’ai lu, sous la plume de M. Michel von Wyss, dans l’une de vos publications.

 

Le maître mot : Prévenir. Prendre sa santé en mains. Devenir acteur de sa santé. Se sentir responsable de soi-même, de son corps, de son avenir. C’est une démarche d’action.

 

Nous voici à l’aube du 21ème siècle et je crois que c’est vous qui avez raison. C’est vous qui détenez la clé de notre système de santé de demain. La prévention représente un des outils les plus efficaces pour maintenir le capital santé de la population.

 

La prévention est une démarche globale, qui ne concerne pas que l’hygiène de vie ou la connaissance de soi-même, mais vise à prendre en compte l’ensemble de l’environnement de la personne, aux niveaux écologique, social, familial, économique et médical.

 

Et cette démarche là, n’est pas encore acquise.

 

Il y aura un grand travail à faire pour sensibiliser la population à l’importance de son bien le plus précieux, sa santé, sensibiliser également les décideurs politiques et les professionnels de la santé.

 

J’ai pris connaissance d’un document bien fait et très intéressant qui a été réalisé par un groupe d’experts de l’Académie suisse des sciences médicales, la FMH et les cinq facultés de médecine. C’est le projet « La médecine en Suisse demain ». Ce document fait état d’une réflexion de fonds sur le rôle et les buts de la médecine au 21ème siècle. Il est d’actualité, puisqu’il est sorti il y a quelques jours seulement. Comment juge-t-il la médecine préventive au 21ème siècle ? Eh bien, il fixe six buts principaux à la médecine. La prévention est … le sixième et dernier but…. J’ajouterais que la formulation du paragraphe qui lui est consacré est plus que méfiante. On y parle essentiellement de la crainte d’une pré-médicalisation de la santé et on pose la question de la rentabilité économique des campagnes de prévention. Pour le monde médical, même au 21ème siècle, la médecine est encore clairement conçue comme réparatrice.

 

C’est donc une réflexion approfondie que nous devons mener sur la prévention.

 

Actuellement, la prévention s’appuie sur les articles 105 et 118 de la constitution et vise l’alcool, les denrées alimentaires, la lutte contre les maladies transmissibles et la protection contre les rayonnements ionisants. Ces prescriptions sont reprises dans diverses lois, comme la LAMal, la loi sur les denrées alimentaires et la loi sur les maladies transmissibles.

 

La prévention est axée sur la surveillance des épidémies, la vaccination, les contrôles sanitaires de l’alimentation (prions, hormones, antibiotiques, salmonelles, etc.), les campagnes d’information et de sensibilisation concernant le tabac, le sida, l’alcool ou les accidents de la route. Tout cela est très important, mais ce n’est pas  suffisant.

 

Nous accomplissons des tâches ponctuelles, urgentes, de santé publique, mais nous n’avons pas de réflexion globale sur la prévention et la santé.

 

Cela se sent aussi au niveau de l’application. La prévention est trop compartimentée et en souffre : les fonds qui sont alloués à la lutte contre le tabac ne peuvent pas être transférés à la lutte contre le prion ou l’alcool. Une certaine souplesse permettrait de faire face à des situations d’urgence et pourrait se révéler utile.

 

Je veux voir dans les réformes qui ont actuellement lieu au DFI plus qu’un symbole, mais le résultat d’une politique pensée dans le sens de la prévention par le chef du Département fédéral de l’intérieur, M. Couchepin. En effet, depuis son arrivée au DFI, M. Couchepin a entrepris des réformes fondamentales dans les assurances sociales. En particulier, il a déplacé le secteur de la LAMal, assurance maladie, vers l’OFSP, Office fédéral de la santé publique, qui lui est responsable de la prévention. Le directeur de l’OFSP est devenu directeur du nouveau super office, si bien qu’actuellement, la LAMal est sous la direction de la prévention, si vous me permettez ce raccourci. L’objectif est clairement de profiter de synergies entre les deux domaines. Pour le moment, le lien est plus sur le papier que dans la réalité. Il ne deviendra effectif qu’à la fin de cette année, avec le déménagement du secteur de la LAMal, de l’OFAS à l’OFSP.

 

Cependant, je voudrais que nous allions plus loin et que nous soyons plus ambitieux. Réfléchissons la santé de manière globale, faisons en sorte de que la prévention soit l’un des fondements de la santé et qu’elle soit régie par une loi fédérale sur la santé, qui traite globalement la prévention dans tous les domaines physiques et psychiques. C’est une idée qui commence à germer. On pourrait alors créer un concept global de prévention, définir des domaines d’action, qui soient plus larges qu’actuellement. On pourrait fixer des priorités, mettre des accents particuliers dans les domaines les plus urgents, définir des mandats de prestations avec des associations privées.

 

Si l’on en croit l’OFS, en ce qui concerne son étude sur le stress au travail, la promotion de la santé est rentable du point de vue de la LAMal, mais elle est aussi rentable, et même très rentable, dans l’entreprise.

 

N’est-ce pas aussi la meilleure manière de favoriser la santé et l’épanouissement de la personne ? N’est-ce donc pas notre but premier ?

 

 

 

 

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