Restriction du droit de recours des organisations environnementales

Monsieur le Président,

Monsieur le Conseiller fédéral,

Chers Collègues,

 

Nous sommes une fois de plus interpellés par une initiative tendant à limiter le droit de recours des organisations de protection de la nature.

 

Pourquoi donc attaquer ce droit de recours ? Parce qu’il est trop utilisé ? Les statistiques démontrent clairement que ce n’est pas le cas. Il est bien moins utilisé par les organisations de protection de l’environnement que par les simples privés. Cela est d’ailleurs confirmé, quels que soient les chiffres pris en compte. Les organisations environnementales ne sont responsables que d’une minorité des recours et la suppression du droit de recours ne changerait rien à la croissance de la Suisse, d’autant moins que dans la plupart des cas les recours ne visent pas à l’abandon de projets, mais à leur amélioration.

 

Pourquoi gêne-t-il donc tant certains porteurs de projets ? Le problème ne serait-il pas qu’il est efficace et qu’il oblige certains maîtres d’ouvrage récalcitrants à respecter le droit fédéral, même quand ils n’ont pas envie de le faire ? Les projets qui sont conformes au droit ne peuvent pas être attaqués devant les tribunaux et c’est le cas de milliers de projets qui se réalisent chaque année en Suisse sans problème et sans retard. Quand les organisations déposent un recours, c’est que le projet présente des lacunes par rapport au droit. La preuve en est que la majorité des recours déposés par les organisations de protection de la nature devant le tribunal fédéral sont reconnus comme fondés. Les organisations travaillent de manière professionnelle et connaissent bien le droit. Elles commencent toujours pas discuter et ne déposent un recours que si la négociation échoue et que le maître d’ouvrage ne veut pas corriger son projet pour le rendre conforme au droit.

 

Le droit de recours des organisations remplit exactement les objectifs pour lesquels il a été créé : obliger les citoyens et les collectivités publiques à respecter le droit de l’environnement. Doit-on aujourd’hui reprocher aux organisations de protection de la nature de remplir ce rôle et d’exiger le respect du droit ? Ce respect ne devrait-il pas aller de soi ?

Lorsque le droit de recours a été introduit, il répondait à un besoin réel. La législation environnementale était nouvelle et peu connue. Nombre d’acteurs privés et publics n’avaient pas l’habitude d’en tenir compte, ne savaient pas comment mener un projet de manière compatible avec l’environnement et présentaient des projets qui, en matière d’environnement, étaient lacunaires et mal ficelés. Les organisations de protection de la nature, qui étaient des spécialistes du domaine, étaient à même de conseiller les auteurs de projets. En partie à cause du droit de recours, les uns ont été amenés à discuter avec les autres, souvent au niveau de l’opposition, voire avant, et de manière non conflictuelle ou peu conflictuelle. De très nombreux projets ont pu être améliorés de manière très simple, sans passer par un tribunal, sans retard et sans renchérissement. Aujourd’hui, la plupart des porteurs de projets connaissent bien leurs obligations et les respectent. Ils intègrent les principes environnementaux dans leurs réflexions dès le début des processus décisionnels et les recours tendent à diminuer. A quelques exceptions près, le droit de recours a été bien utilisé et à bon escient.

 

Je ne vois donc pas l’urgence qu’il y a à modifier des dispositions qui ont bien rempli leur fonction. Je comprends l’idée de la commission qui a choisi d’entrer en matière, dans l’intention de chercher quelques améliorations possibles. J’entrerai donc aussi en matière.

 

Cependant, en lisant le texte que j’ai aujourd’hui devant les yeux, je ne peux qu’être très perplexe. Ne sommes-nous pas en train de complexifier l’usage du droit de recours ? Ne sommes-nous pas en train de limiter la marge de négociations entre les maîtres d’ouvrages et les organisations environnementales et cela essentiellement au détriment des premiers et de la durée des procédures? Il ne faut pas oublier que les organisations environnementales ne sont pas forcément obligées de négocier. Elles peuvent se contenter de demander l’application du droit et rien d’autre. Les maîtres d’ouvrage, eux, sont obligés de négocier pour obtenir l’autorisation de construire. Ils ne peuvent obtenir une autorisation de construire qui ne respecterait pas le droit fédéral. En diminuant la marge de négociation, on diminue les possibilités d’entente et donc les chances de mener un projet à bien.

 

Ne sommes-nous pas en train de faire une opération non pas gagnant – gagnant, ou win win, comme on dit chez nous, mais une opération perdant – perdant, où personne ne trouvera d’avantage et l’environnement encore moins ?

 

10 a 1a

 

Si je comprends bien l’idée de notre collègue, il demande que les organisations ne puissent pas intervenir lorsque le projet a fait l’objet d’une décision du peuple ou d’une autorité législative.

 

Cette disposition est malheureusement contraire à la logique du droit.

 

En effet, quelles que soient les décisions qui sont prises par le peuple ou par une instance législative inférieure, comme le conseil général d’une commune ou le Grand Conseil d’un canton, ces décisions doivent être conformes au droit fédéral et leur conformité doit pouvoir être vérifiée. Les éminents juristes qui sont dans cette enceinte savent qu’il y a prééminence du droit fédéral sur le droit cantonal et communal. On ne peut modifier ce principe de base en ce qui concerne le droit de l’environnement. Ces instances ne peuvent donc pas prendre des décisions qui seraient contraires au droit fédéral.

 

En outre, dans la pratique, les conseils des villes ou des cantons ou le peuple, votent un crédit ou un plan d’aménagement, mais pas un projet définitif. Ils se prononcent sur le principe et non sur le plan dans tous ses détails. L’examen de l’ensemble du projet ne peut donc pas être évité et doit bel et bien avoir lieu.

 

Enfin, les organisations n’interviennent pas au même niveau que le pouvoir législatif. Elles ne remettent pas en question la décision du peuple ou des législatifs. Elles contrôlent l’adéquation du projet au droit fédéral et donc aux décisions du peuple et des législatifs qui ont été prises dans le respect du droit fédéral. Elles interviennent dont en aval des décisions législatives.

 

55 – 2 bis  (art 12 LPN)

 

Cette minorité est tout à fait « intéressante ». Les auteurs vont dans le sens de certaines études qui se font actuellement dans le cadre de la recherche sur le développement durable et qui ont pour but de montrer la valeur économique des éléments naturels. Des chercheurs ont essayé de déterminer le prix d’une mésange, d’une primevère, d’un insecte, pour pouvoir faire entrer la valeur de la nature dans le calcul des richesses d’un pays et comptabiliser la destruction de l’environnement comme une perte de ressources naturelles. Cela fait partie de la volonté de calculer le PIB d’un pays en prenant en compte l’ensemble des paramètres susceptibles d’indiquer l’enrichissement ou l’appauvrissement global d’un état ou sa situation de fortune. Inutile de dire que ces calculs sont extrêmement complexes et qu’ils ne font pas l’unanimité.

 

Chiffrer la perte de ressources naturelles a l’avantage de mettre en évidence le prix qu’elles ont et qui est souvent bien plus grand qu’on ne le pense, en particulier si l’on met dans la balance le coût social d’une diminution de la qualité de l’air pour la santé par exemple. Je crains bien que beaucoup de projets de construction ne résistent pas à cette comparaison…

 

Cependant, en attendant que nous ayons une méthode fiable pour faire cette évaluation, il faut bien admettre que ce que demande la minorité est complètement inapplicable. On ne peut actuellement pas évaluer la valeur d’un biotope, d’une espèce particulière ou de la qualité de l’air et la traduire en francs. Quels critères devrait-on prendre ? Comment devrait-on faire pour amener cette preuve ? Même si cela devait être possible, ce serait un allongement et une complexification importante des procédures. De toute manière, c’est le rôle des autorités de faire cette pesée des intérêts et elle se fait toujours automatiquement.

 

Cette minorité doit donc être clairement refusée.

 

55 c – 1 (12 d – 1 LPN)

 

L’article 55c  a pour effet, si ce n’est pour but, de diminuer la marge de manœuvre des négociations entre les maîtres d’ouvrage ou les porteurs de projets et les organisations. Les propositions de la commission partent de l’idée que certaines organisations pourraient agir de manière illicite en exigeant des maîtres d’ouvrages des prestations exagérées ou non prévues par la loi. Sur le principe, ces dispositions ne me posent pas de problème, parce que les situations visées ne se sont quasi jamais produites et ne se produiront plus jamais.

 

Cependant, ce que je trouve détestable, ce sont les griefs qui sous-tendent ces réflexions et qui tiennent de la discussion de bistrot, plus que de la réalité.

 

Dans la pratique,  les choses ne se passent pas comme ça. Dans la pratique, les organisations constatent qu’un projet est très dommageable pour l’environnement. Elles demandent, soit qu’il ne soit pas réalisé, soit que des mesures de revitalisation de la nature compensent entièrement et au même endroit les dommages causés par le projet. C’est ça que les organisations veulent et demandent.

 

Que se passe-t-il alors ? Le maître d’œuvre, qui tient à son projet, propose, dans une séance de conciliation, des compensations qui lui paraissent adéquates. Elles lui sont en général proposées par le bureau chargé de l’étude d’impact. C’est rare que ce soit les organisations qui proposent les mesures de compensation. Dans le meilleur des cas, les mesures proposées sont jugées suffisantes. Un accord intervient. Le projet est amélioré. Il est compatible avec le droit environnemental. Les organisations retirent leur opposition. Les autorités reprennent le contenu de l’accord dans leur décision et la situation est réglée à la satisfaction de toutes les parties. C’est de loin la situation la plus fréquente et la plus agréable pour tout le monde.

 

Dans le moins bon des cas, malgré l’étude d’impact qui fait ressortir un dommage important pour la nature, l’entrepreneur ne veut pas modifier son projet, ni appliquer les mesures proposées dans le cadre de l’étude d’impact et les organisations doivent poursuivre la procédure pour l’obliger à le faire.

 

 

Dans un certain nombre de cas, particulièrement difficiles, l’entrepreneur ne savait que proposer, parce qu’une revitalisation naturelle dans la région était impossible pour diverses raisons. Les organisations ont alors proposé des compensations qui étaient plus éloignées du projet. Dans quelques cas, les entrepreneurs ont préféré remettre une somme d’argent aux organisations, en les chargeant d’effectuer des compensations écologiques ailleurs. Rarement, les organisations ont accepté. Je précise que les organisations ne l’ont fait que pour aller à la rencontre du maître d’ouvrage, parce qu’elles privilégient toujours les compensations sur place et que c’est la responsabilité du maître d’ouvrage de présenter un projet compatible avec le droit environnemental et non pas la leur.

 

Désormais, elles se garderont bien de le faire. Cette nouvelle disposition va donc les aider à obliger les maîtres d’œuvre à trouver coûte que coûte des mesures de compensation sur place. Tant mieux, mais cela ne sera pas facile pour tous les projets.

 

M. Schmid propose que les autorités n’intègre pas le résultat de la négociation dans la décision. Notre collègue ne sait pas que les organisations de protection de la nature sont méfiantes ! Si les dispositions qui font partie de l’accord qu’elles viennent de conclure avec le maître d’œuvre se trouvent dans la décision de l’autorité, alors cette autorité est garante de leur réalisation. Elle doit contrôler que toutes les conditions qui font partie intégrante de sa décision sont remplies par le  bénéficiaire de la décision. Si les  mesures de compensation ne se trouvent pas dans la décision des autorités, quelles garanties auront les organisations qu’elles soient réalisées ? Et si elles n’ont pas cette garantie, pourquoi retireraient-elles leur opposition. Elles auront avantage à poursuivre leur action devant les tribunaux et à obtenir un arrêt qui ne pourra pas être contesté et qui lie les autorités. En réalité et dans la pratique, il s’agit là d’un allongement des processus, qui lèsera plus le porteur de projet que les organisations.

 

Chers Collègues, je vous propose de rejeter cette disposition. Les maîtres d’ouvrage vous en seront reconnaissants.

 

 

55 d –  2 (12 – e LPN) 

 

Le retrait de l’effet suspensif peut être lourd de conséquence pour l’entrepreneur. Mieux vaut trouver un accord avant de commencer les travaux que d’être dans une impasse alors que les travaux ont déjà commencé. Le fait de commencer les travaux limite beaucoup la liberté de chercher la compensation écologique adéquate. C’est problématique pour l’environnement, mais ça l’est aussi pour le maître d’œuvre, car s’il a déjà entamé les travaux, il ne peut plus proposer des mesures environnementales qui seraient en contradiction avec ce qui est déjà fait.

 

En outre, le droit fédéral est prééminent. Cela veut dire qu’il faut le respecter même si un projet a été déclaré d’intérêt public par une autorité. Si l’autorité déclare un projet d’intérêt public et que l’entrepreneur commence les travaux et qu’il se révèle ensuite que le projet est incompatible avec le droit de l’environnement et ne peut être réalisé ou doit être notablement modifié, la situation sera très difficile pour l’entrepreneur, obligé de remettre le terrain en état ou de modifier un projet déjà partiellement ou complètement réalisé, si le jugement tarde…

 

Elle sera aussi très difficile pour la nature, si des éléments importants ont été irrémédiablement abîmés.

 

En outre, c’est une manière de faire pression sur les autorités de recours qui est inacceptable du point de vue de la séparation des pouvoirs. C’est juridiquement et pratiquement une mauvaise solution et je vous prie de la rejeter.

 

 

55 e (12 f LPN)

 

Mettre les frais à la charge des organisations alourdit un peu les comptes des organisations, mais ne les empêche pas de faire recours. Les recours coûtent de toute façon très cher aux organisations, que ce soit en temps de travail, en expertises ou en avocat. On peut d’ailleurs se demander s’il est juste que ce soit les organisations qui assument ces frais, alors qu’elles font un travail d’utilité publique en contrôlant le respect du droit. La formulation proposée par la minorité Berset et Béguelin permet au tribunal de mettre les frais à la charge des organisations s’il juge qu’elles ont déposé un recours inadéquat. Cela me paraît suffisant pour éviter les abus éventuels.

 

 

2 – 3 LPN

 

Avec ce nouvel article, notre collègue cherche sans doute à éviter que les organisations puissent recourir contre des constructions qui se trouveraient hors de la zone à bâtir. En-dehors de l’aspect juridique qui me paraît discutable, mais comme nous avons reçu cette proposition hier, la commission n’a pas eu la possibilité de l’examiner et de prendre position sur cette question, je me prononcerai sur le fonds.

 

En principe, ce sont les cantons qui sont responsables de délivrer les autorisations de construire hors de la zone à bâtir et par conséquent d’appliquer le droit fédéral. Les organisations se contentent de vérifier que les cantons appliquent les dispositions du droit fédéral. Notre collègue désirerait-il que les cantons ne se sentent pas obligés d’appliquer le droit fédéral en la matière et qu’ils puissent le faire selon leur bon vouloir ?

 

Il s’agit là d’un affaiblissement important du droit de recours. Il va bien au-delà de ce que demande l’initiative Hofmann. Ce serait aussi un affaiblissement important de la définition de la zone non constructible. La zone constructible et la zone non constructible finiraient par se confondre. Or cette distinction entre les zones est dictée par la constitution et à ce titre, elle est une tâche de la Confédération. Il n’y a pas de raison de soustraire une partie des tâches de la Confédération du contrôle de l’application du droit fédéral et par conséquent, Chers Collègues, je vous prie de rejeter cette disposition qui aura des conséquences très importantes et qui n’a pas été discutée. Ce serait agir avec légèreté que de ne pas évaluer toutes les conséquences avant de renoncer au droit de recours dans ce cas.

 

 

Droit de recours en général

 

Le droit de recours des organisations de protection de la nature a pour but de contrôler l’application du droit de l’environnement, car comme chacun le sait, l’environnement ne peut pas se plaindre lui-même des atteintes dont il est la victime. Si ce droit devait être supprimé, cela signifierait que l’application du droit de l’environnement ne serait plus contrôlée.

 

Cela signifierait, Chers Collègues, que les lois que nous faisons, dans cette assemblée, ne seraient plus appliquées que par ceux qui le veulent bien. Il est vrai que ce serait une large majorité des citoyens et des collectivités, car les Suisses et les Suissesses sont très attachés à la nature qui les entoure. Preuve en est le nombre de membres des organisations qui disposent du droit de recours, près d’un million si je ne m’abuse. Et on ne compte pas là les membres des organisations cantonales ou locales et les sympathisants.

 

Mais pour les moutons noirs, ceux qui ne veulent pas respecter le droit de l’environnement et qui s’arrogent ainsi le droit de détruire un environnement qui appartient à tout le monde, que resterait-il comme moyen de pression? Quand le chat n’est pas là, les souris dansent !

 

Quant à nous, Chers Collègues, que penser de notre rôle, ici, dans ce conseil, si nous faisons des lois et que nous ne nous soucions pas de savoir comment elles seront appliquées ?

 

 

 

tabs-top

Comments are closed.