Exposition des photos de Viktor Maruschtchenko

Vernissage de l’exposition de photographies de Viktor Maruschtchenko

Le 7 mai 1999 au Buffet de la Gare des Hauts-Geneveys

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Le 26 avril 1986 à une heure du matin explosait le réacteur no 4 de Tchernobyl, en Ukraine. Le matin même, à huit heures, l’évacuation de Pripiat, une ville d’environ   50 000 habitants, située à quelques kilomètres seulement de la centrale, est décidée. Le lendemain, au petit matin, 1200 bus sont à pied d’œuvre et, deux heures après, Pripiat est une ville fantôme. Une zone de 30 km de rayon autour de la centrale est déclarée inhabitable. Le nombre de personnes définitivement évacuées dépasse les 100 000. Si Pripiat s’est vidée sans trop de difficultés, en revanche, dans les petits villages des environs, les paysans ne pouvaient se résoudre à quitter leur maison et leurs terres.

 

Pour éteindre le réacteur, il a fallu lutter jour et nuit jusqu’au 7 mai. Plusieurs jeunes pompiers, brûlés par la radioactivité, y ont laissé leur vie. Ensuite, il a fallu recouvrir le cœur de béton, pour enfermer les substances radioactives dans un sarcophage étanche et réduire ainsi la radioactivité ambiante à un niveau suffisamment bas pour qu’on puisse travailler sans courir de danger immédiat. Pour mener à bien ces travaux, il a fallu faire appel à plus de 200 000 liquidateurs.

 

La pollution radioactive a été largement diffusée par les courants atmosphériques et les cours d’eau. L’irrigation provoque une pollution radioactive secondaire des sols. 640 000 personnes au moins, dont    200 000 enfants, ont subi et subissent encore les conséquences de cette catastrophe et doivent être aujourd’hui suivies médicalement.

 

Tchernobyl a été une catastrophe d’une ampleur incalculable, au sens exact du mot. Il ne sera jamais possible de chiffrer l’étendue des dégâts. Cette date ne s’effacera jamais de la mémoire des Ukrainiens.

 

 

 

 

Témoin privilégié de ces tristes événements, M. Viktor Maruschtchenko est né en Russie en 1946. Installé ensuite à Kiev, il suit une école technique et commerciale. C’est alors qu’il a un véritable coup de foudre pour la photographie. Il devient photographe de presse et travaille pour plusieurs journaux moscovites, dont en particulier la Pravda. Il a ainsi l’occasion de fixer sur le papier de nombreux événements importants.

 

Cependant, il aime surtout les gens, les gens simples, les vieillards et les enfants,  « parce que les enfants n’ont pas encore appris à mentir et que les vieillards sont devenus assez philosophes pour ne plus avoir besoin de mentir », dit-il.  On le comprend tout de suite, il aime les choses vraies, la vérité des événements, la vérité des sentiments.

 

Cette attitude lui vaut bien des difficultés dans un pays où la « glasnost » n’est pas encore à la mode. Beaucoup de photos lui sont refusées, dont celles que nous exposons aujourd’hui. La Pravda les a jugées trop riches en émotions pour être publiées.

 

Cependant, nous sommes là à un tournant décisif de l’histoire de l’Ukraine. En effet, sous la pression internationale, le président Gorbatchev abandonne la langue de bois et parle de la catastrophe. Pour la première fois, on reconnaît un accident. Auparavant, les régions sinistrées étaient fermées et le sujet devenait tabou. C’est là que la « glasnost », c’est-à-dire la transparence commence et l’accident de Tchernobyl est étroitement lié à cette nouvelle politique.

 

Et c’est là aussi que change la situation de Viktor Maruschtchenko. Ses photos, révélées par Mme Schubarth, une de ses amies, sont exposées dans toute l’Europe et deviennent célèbres.

 

Actuellement, M. Maruschtchenko habite à Kiev et vit de son métier de photographe. Il ne se considère pas comme un artiste, mais comme un chroniqueur de son temps, un témoin des gens et des événements, un homme engagé, qui veut travailler pour notre avenir.

 

Ce qu’il nous montre, c’est la tragédie de l’humanité, telle qu’elle se répète infiniment, partout et toujours. L’Ukraine a subi les pires catastrophes tout au long de son histoire. Elle a vu défiler de trop nombreuses armées, a trop souvent servi de champ de bataille.  Elle a perdu plus de dix millions des siens lors de la grande famine de 1933. Elle a versé un lourd tribu à la dernière guerre. Elle a connu la terreur et déploré des millions de morts. Tchernobyl n’est qu’un malheur de plus qui se marque sur le visage de ses habitants.

 

C’est cette tristesse, cette fatalité, qu’on lit dans les yeux de ces vieilles personnes qui ne veulent pas quitter leur maison, cette maison qui est toute leur richesse, toute leur joie de vivre, dans les yeux de ce petit garçon abandonné au milieu des ballots du déménagement, dans les yeux de ces parents qui entourent leur enfant malade d’un regard d’une infinie tendresse. Lorsque l’on regarde cette famille qui pose autour de la photo de son enfant brûlé par les radiations dans la semaine qui a suivi l’accident, on ressent l’indicible peine de chacun. On comprend dans le regard de ce frère une douloureuse interrogation.

 

On devine l’ampleur de la tragédie intérieure. L’absence d’avenir, l’espoir qui s’amenuise chaque fois que le malheur frappe à nouveau. Et c’est toujours la même humanité qui est chassée de chez elle, qui souffre, qui meurt. Comme aujourd’hui aussi et encore, les victimes de la guerre du Kosovo.

 

La première fois que j’ai vu ces photos, elles m’ont profondément touchée. Je peux même dire que ça a été le coup de foudre et j’ai voulu que chacun puisse les voir, puisse se laisser prendre par leur sensibilité et je suis heureuse aujourd’hui, grâce au WWF,  de pouvoir vous les présenter.

 

Je tiens à remercier particulièrement l’entreprise de menuiserie                                          qui a confectionné les cadres sur mesure. Je remercie aussi vivement, Mme Christine Weibel, photographe, dont nous avions pu admirer les œuvres ici au Buffet de la Gare, il y a quelques mois. C’est après avoir vu sa propre exposition, que j’avais trouvée particulièrement belle, que j’ai pris contact avec elle. Elle a bien voulu nous aider de ses conseils avertis et a réalisé une partie du travail d’encadrement, avec un grand respect de l’image. C’est pourquoi j’ai le plaisir de lui remettre ce soir, un petit souvenir en remerciement.

 

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une agréable visite.

 

Merci

 

 

Gisèle Ory

6.5.1999

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