Analyse critique de la situation de l’Assurance vieillesse

 

Les bonnes nouvelles se multiplient : Lors de sa belle promenade à l’île Saint-Pierre ce printemps, Pascal Couchepin a lancé un pavé dans la mare en prétendant que nous ne pourrions pas payer l’AVS et que nous devrions tous travailler bientôt jusqu’à 66 et même 67 ans.

 

L’effet d’annonce a été particulièrement réussi. Il a dépassé toutes les espérances du Département. La question de l’âge de la retraite est devenue le thème principal de cette campagne électorale. Je peux supposer que Pascal Couchepin lui-même n’en espérait pas autant. Et je dirais surtout que ses troupes n’en espéraient pas autant. En effet, nous avons pu voir tout au long de cette campagne des candidats radicaux gênés, ne sachant comment répondre aux journalistes pour ne pas désavouer leur Conseiller fédéral tout en laissant entendre qu’ils n’étaient pas tout à fait du même avis. On ne peut que remercier M. Couchepin.

 

Pascal Couchepin a annoncé cela pendant la session d’été. Son but n’était pas de soulever la révolution. Il était un peu politique, mais surtout tactique. D’une part, il voulait sonder la population et voir si la résistance serait grande, mais d’autre part, et surtout, il voulait donner un os à ronger aux journalistes,  pendant qu’il bouclait la 11ème révision de l’AVS, pour détourner leur attention des vrais enjeux et des décisions qui étaient en train de se prendre au détriment des personnes âgées et des femmes en particulier.

 

Quels étaient ces enjeux : l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 62 à 65 ans,  devait être compensé par une vraie flexibilisation de l’âge de la retraite pour les plus bas salaires. On avait fait 800 millions d’économie sur le dos des femmes. On devait les utiliser pour introduire une retraite flexible accessible à tous. Le DFI avait d’abord proposé l’utilisation de ces 800 millions pour cela. Puis il y a eu une proposition à 400 millions, puis on est encore descendu à 250 millions. Finalement, on a bouclé avec une petit sucre pour les femmes nées au début des années 50, elles pourront prendre leur retraite à 64 ans en perdant moins que prévu. Un petit cadeau à 140 millions. Où est passé le reste de ces 800 millions ?

 

La droite n’a pas tenu ses promesses. Aujourd’hui que le Parlement a bouclé la 11ème révision sur une diminution des prestations de l’AVS, c’est une évidence. Pour la première fois depuis sa création, une révision de l’AVS permet de réduire les prestations en faveur des personnes âgées. C’est suffisant pour que nous disions non à cette révision. La manifestation qui a eu lieu à Berne la semaine passée a d’ailleurs largement démontré que quand le Conseil fédéral exagère vraiment, le peuple sait réagir. Nous ne nous laisserons pas faire.

 

Pascal Couchepin a réussi le tour de force de faire croire à tout le monde que notre population vieillit et nous coûte trop cher et que les prestations doivent diminuer, car nous ne pourrons bientôt plus payer. Tout le monde s’est engouffré dans cette porte ouverte sans se demander si c’était vrai. Or, c’est faux. Les évaluations qu’il a utilisée pour sa démonstration son quasi impossibles. Elles ne sont en tout cas pas probables.

 

Quand on fait des prévisions pour l’avenir, on se fonde toujours sur des hypothèses et évidemment, les prévisions seront très différentes selon les hypothèses que vous aurez choisies.

 

Par exemple, pour l’AVS, les variables importantes sont les suivantes :

 

  1. Le nombre de naissances      en Suisse et la pyramide des âges
  2. L’importance de      l’immigration
  3. La durée moyenne de la      vie
  4. La croissance économique
  5. les gains de productivité
  6. Le chômage
  7. L’âge réel au moment de      la retraite
  8. le taux d’activité des      femmes, l’âge d’arrivée sur le marché du travail des jeunes.

 

Vous pouvez choisir comment vous voulez faire évoluer ces différentes variables et vous aurez des résultats extrêmement différents.

 

La variable no 1 est stable depuis longtemps. Nous avons en Suisse 1,2 enfant par femme en moyenne.

 

En revanche, la variable no 2 est aléatoire. L’immigration dépend essentiellement de la quantité de travail disponible en Suisse. Si notre croissance est bonne, on crée des places de travail et si l’on n’a plus suffisamment d’autochtones pour les occuper, on recourt à des étrangers en nombre suffisant. On peut partir de l’idée que l’immigration étrangère correspond assez exactement aux besoins de notre économie. Si nous n’avons plus de jeunes Suisses qui travaillent, nous aurons d’avantage d’étrangers. C’est encore plus vrai maintenant que nous avons la libre circulation des personnes.

 

La durée moyenne de la vie a beaucoup augmenté dans le courant du 20ème siècle. Elle est actuellement d’un peu plus de 80 ans. Le résultat ne sera pas du tout le même si vous admettez que tous les Suisses vivront jusqu’à 85 ans ou jusqu’à 100 ans. Une des courbes de l’OFAS postulait même que tous les Suisses arriveraient à plus de 100 ans. Vous voyez que dans ce cas le  nombre de personnes à la retraite serait évidemment beaucoup plus élevé que si on postule que l’on arrive en moyenne à 85 ans. Or si l’on poursuit la courbe d’augmentation de la durée de vie, comme elle était au 20ème siècle, on arrive à ce résultat. Cependant, on voit déjà depuis quelques années que cette courbe s’aplatit et que la durée moyenne de la vie n’augmentera vraisemblablement plus beaucoup, ces prochaines années. Cette erreur vient de ce que l’on confond souvent la durée moyenne de la vie et l’espérance de vie. L’espérance de vie est d’un peu plus de 100 ans. Si vous avez de la chance, vous pouvez espérer arriver à 100 ans. Cependant, beaucoup n’auront pas de chance et n’arriveront pas à 100 ans, c’est pourquoi la durée moyenne de la vie est inférieure à l’espérance de vie. Donc là, M. Couchepin a été très optimiste.

 

En revanche, en ce qui concerne la variante 4, il n’est plus optimiste du tout, car il prévoit que nous allons continuer dans le marasme économique dans lequel nous sommes depuis quelques années. Il prévoit une croissance économique de 1,5%, puis 0,7%, puis 0,5%. C’est très faible. Beaucoup plus faible que la moyenne européenne. C’est absolument extraordinaire qu’il arrive à prévoir la croissance ainsi, alors que nos meilleurs analystes n’arrivent pas à nous prédire la croissance de l’année prochaine ! Mais cela n’est pas innocent. En effet, la croissance a une grande importance dans le financement des assurances sociales, car l’AVS est prélevée sur les salaires. Quand il y a croissance, il y a augmentation de la masse salariale et donc augmentation des revenus de l’AVS. Pour être honnête, M. Couchepin aurait dû travailler avec une croissance moyenne, de 1,5 à 3% par exemple.

 

Ensuite, M. Couchepin fait fi du taux de chômage et du fait que quand on allonge l’âge de la retraite, on augmente le nombre de chômeurs, car on ne permet pas aux jeunes d’arriver sur le marché du travail. Alors là, M. Couchepin prévoit de nouveau une situation optimiste, qui permettrait d’absorber toute cette main-d’œuvre jeune et âgée supplémentaire, mais pourtant tout à l’heure avec la croissance, il prévoyait une situation défavorable, avec faible taux de croissance et par conséquent chômage élevé….

 

Enfin, il ne tien pas compte de l’âge réel de départ à la retraite. Cet âge n’est déjà pas de 65 ans maintenant. Ce ne sont que 40% des travailleurs qui continuent jusqu’à 65 ans aujourd’hui, donc l’effet d’économie sur l’AVS en sera encore diminué.

 

Finalement, il ne prévoit pas de gains de productivité. Or de 1975 à 2002, le nombre des rentiers a augmenté de 61%. Durant le même temps, les dépenses de l’AVS sont restées stables en regard du PIB, variant entre 6 et 7% de celui-ci. Pour l’USS c’est en premier lieu l’évolution économique et surtout l’évolution des salaires qui conditionne l’avenir des finances de l’AVS.

 

La suppression de l’indice mixte aurait aussi un effet de frein à la croissance, en diminuant les revenus d’une grande partie de la population, on diminuerait la consommation. Après avoir soigneusement choisi les chiffres pour arriver au résultat que l’on veut, on démontre que notre population vieillit, que notre économie stagne et donc qu’on ne peut plus payer l’AVS….

 

Où en sommes-nous en réalité ?

 

D’abord, il faut faire une remarque : la Suisse à moins de problème de vieillissement que les autres pays industrialisés. Même si les naissances sont peu nombreuses, l’immigration maintient la population jeune. Nos prévisions sont donc bien meilleures que dans les autres pays de l’OCDE.

 

A l’heure actuelle, il y a un retraité pour 4 actifs. Il y en aura peut-être un pour 3 en 2020. C’est difficile à prévoir, cependant, les courbes du vieillissement montrent déjà un fléchissement. La durée moyenne de la vie plafonne aujourd’hui à un peu plus de 80 ans. On ne peut en tout cas pas prévoir une augmentation continue est que tout le monde arrive à 100 ans en 2020. Il est donc raisonnable de postuler ce rapport de 1 à 3 et non de 1 à 2, comme le disent certains radicaux.

 

Le point suivant, c’est les prévisions quant à la croissance. Pascal Couchepin a choisi des chiffres très probablement trop faibles. Prenons des chiffres moyens et prévoyons une petite augmentation de la productivité. L’OFAS reconnaît que si la croissance demeure telle qu’elle a été ces dernières années à l’étranger, le financement de l’AVS ne pose pas de problème. Un point de TVA suffira vers 2015.

 

L’augmentation de l’âge de la retraite n’a que peu d’effet, car il n’y a pas la moitié des gens qui travaillent jusqu’à 65 ans actuellement, or même avec le scénario Couchepin, cela ne permettrait  d’économiser que 0,5 point de TVA en 2015.

 

Il n’y a donc pas lieu d’augmenter l’âge de la retraite, ni de supprimer l’indice mixte, mais seulement de relever la TVA d’un point quand ce sera nécessaire, c’est-à-dire probablement en 2015. C’est le seul moyen vraiment capable d’assurer le financement de l’AVS à long terme sans diminution des prestations et en plus, la TVA répartit l’effort sur l’ensemble de la population et non plus seulement sur le travail, ce qui est aussi un avantage. Ca dépendra moins directement de la conjoncture et l’effort financier en faveur des personnes âgées sera aussi partagé par les personnes âgées qui sont à l’aise. Il y aura donc une répartition des charges entre plus de personnes différentes.

 

Pascal Couchepin lui-même propose cette solution. Lors de la campagne où il s’est donné tellement de peine pour faire échouer l’initiative socialiste pour la santé à un prix abordable, l’un des arguments qu’il a répété souvent, c’était qu’il ne fallait pas utiliser la TVA pour financer la LAMal, car on devait la garder pour l’AVS et l’AI.

 

Prélever un point de TVA supplémentaire ne nécessite pas de grandes discussions. Il sera donc assez tôt pour s’en préoccuper quand les transferts de l’AVS ne pourront plus se faire correctement. Car contrairement à ce que l’on dit en général, la caisse AVS se vide à la même vitesse qu’elle se remplit, puisqu’il s’agit d’une assurance fondée non sur la capitalisation, mais sur la redistribution.

 

Un point reste encore à discuter, celui de l’or de la BNS. Nous avions quelques tonnes d’or qui dormaient dans les caves de la banque nationale et qui servaient à garantir le franc suisse. Or il y a longtemps que la stabilité des monnaies n’est plus garantie par leur convertibilité en or. Il faut donc trouver une utilisation à cet or. La vente de l’or devrait rapporter environ 20 milliards de francs et les intérêts de cette somme, si on la place, environ 500 à 600 millions par an.

 

Il y a déjà eu beaucoup de projets, dont celui que nous avons voté l’année passée qui attribuait un tiers des intérêts à la fondation Suisse solidaire, un tiers à l’AVS et un tiers aux cantons. Cet été Villiger est revenu avec un nouveau projet, un tiers des intérêts à la Confédération et deux tiers aux cantons. Le Grand Conseil neuchâtelois, dans sa grande sagesse s’est dit un tien vaut mieux que deux tu l’auras et a aussitôt voté qu’on transfère à Neuchâtel le capital et non seulement les intérêts qui lui reviennent. La foire d’empoigne n’est pas terminée autour de cet or. Le PS a encore une initiative pendante qui voudrait attribuer les bénéfices de la BNS à l’AVS, et non pas les intérêts de l’or. Je serais favorable à ce que cet or soit attribué à l’AVS, mais alors pour permettre la flexibilisation de l’âge de la retraite. Engloutir autant d’argent à fonds perdus dans l’AVS me laisserait une grande frustration.

 

Et puis, il y a la dernière proposition du PSS, de réduire les cotisations de l’assurance obligatoire LPP des personnes âgées de plus de 55 ans de 18 à 15%. Les moyens ainsi dégagés pourront alors être utilisés pour renforcer l’AVS. La crise de la bourse à montré les faiblesses du deuxième pilier fondé sur la capitalisation, c’est-à-dire sur le placement à long terme de sommes d’argent considérables. En baissant la part des employés et des employeurs au deuxième piliers, on redonnerait un peu d’air à l’économie.

 

L’actuelle rente de 2110.- ne permet pas à une personne seule de vivre décemment avec l’AVS seulement, ce qui est contraire au mandat constitutionnel. Le montant mensuel minimal devrait approcher les 3000.- à moyen terme.

 

La Suisse souffre de trop d’économies. La baisse des investissements et de la consommation est significative depuis le milieu des années 90. pendant ce temps, des masses d’argent circulent on ne sait où. L’excédent d’épargne a atteint la valeur record de 12,8% du PIB en 2000, le double de ce qu’il était dans les années 80 et quatre fois la valeur des années 70. Cet excès a deux conséquences : les intérêts sont au plancher et la consommation stagne.

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