Quel est l’avenir des petites communes?

 

Chers Amis,

 

Au seuil de ces élections communales, c’est une occasion de se reposer la question du rôle des petites communes, et de leur marge de manœuvre politique. Certains d’entre vous sont sans doute en liste pour le Conseil général ou le Conseil communal et se réjouissent de pouvoir réaliser des projets auxquels ils tiennent pour leur commune, certains ont déjà fait cette expérience et savent déjà bien comment les choses se passent.

 

En plus, juste en ce moment, vous êtes confrontés au même problème que tous nos camarades des autres communes, vous devez boucler des listes pour les élections et vous trouvez qu’il n’est pas toujours facile de dénicher la personne idéale, qui connaît la commune, à envie de s’y investir et a le temps nécessaire à disposition. Devant la difficulté de réunir un nombre suffisant de candidats, on est quelquefois tenté de dire : « mais finalement, à quoi ça sert cette commune, est-ce qu’on n’aurait pas meilleur temps de n’avoir qu’une commune unique ? »

 

C’est une bonne question. Elle mérite d’être posée. Elle a déjà été posée à plusieurs reprises et nous disposons d’études, en particulier de l’institut du fédéralisme de l’université de Fribourg, à ce sujet, mais surtout, d’une réflexion qui est déjà bien avancée dans le cadre de la commune unique du Val-de-Travers et plus récemment, de la commune unique du Val-de-Ruz.

 

J’ai été moi-même conseillère communale dans une petite commune du Val-de-Ruz, à Chézard-St-Martin,  et j’ai eu l’occasion de voir un petit bout de l’évolution de ces dernières années, en matière d’autonomie communale.

 

Je dirais que le bilan que j’en tire est tout en nuances et cela m’intéressera d’avoir votre évaluation lors de la discussion qui suivra.

 

Dans mon expérience de conseillère communale, j’ai pu observer une chose qui m’a interpellée : c’est la diminution des compétences de la commune dans de nombreux domaines. Ca n’a l’air de rien comme ça, mais l’érosion est continue. Elle se remarque à peine, mais elle tend à priver les autorités communales d’une partie toujours plus importante de leurs activités. Que nous restera-t-il bientôt dans les petites communes pour nous occuper.

 

Vous aller m’aider à en faire la liste, mais je vais la commencer :

 

Nous avons perdu :

 

Les bordereaux d’impôts et le contentieux : quand j’ai commencé aux finances de la commune de Chézard-St-Martin, nous contrôlions encore toutes les feuilles d’impôt avec les fonctionnaires cantonaux. Ca, c’est quelque chose qui est descendu à Neuchâtel et que nous ne faisons plus.

 

Et puis il y a eu le Service social intercommunal. Jusque là, nous connaissions les personnes en difficultés dans la commune, nous pouvions leur donner un coup de pouce discret de temps en temps. Nous avons externalisé cette prestation auprès d’un service intercommunal.

 

L’Etat civil est aussi devenu intercommunal, alors que c’était une prérogative à laquelle notre administrateur communal tenait beaucoup. C’était aussi un lien direct avec les habitants, une occasion de les rencontrer au moins deux ou trois fois dans leur vie.

 

L’école secondaire, le puits artésien, le traitement des déchets sont intercommunaux depuis longtemps. Malheureusement, je n’ai plus la liste des éléments qui ont passé à l’intercommunal ou au cantonal en quatre ans, mais je me rappelle qu’il y en avait environ une dizaine.

 

Vous avez certainement d’autres exemples.

 

Le passage au canton est une perte complète de compétence communale. Le passage à l’intercommunal est une perte partielle de compétence. Les syndicats intercommunaux sont très lourds, prennent des décisions difficiles à contester et il y a un certain déficit démocratique dans leur fonctionnement. La commune qui s’engage dans un syndicat délègue une partie de sa compétence au comité du Syndicat et ne contrôle plus bien ce qui s’y passe.

 

Le budget : quelle marge de manœuvre reste-t-il aux communes en matière de budget. Lorsque j’étais aux finances à Chézard-St-Martin, nous avions des problèmes pour ficeler le budget. Les dépenses sont toujours plus faciles à trouver que les rentrées ! Nous avons donc cherché, où nous pouvions économiser. Nous avons bien dû constater que la plupart des dépenses nous sont imposées par des lois cantonales et fédérales. Impossible de rogner sur le budget scolaire ou la voirie, difficile d’économiser sur l’entretien des bâtiments ou des routes. Impossible de renoncer à des projets, il y a longtemps que nous ne pouvions plus faire que le strict nécessaire. Bref, la marge de manœuvre théorique se situait aux environs de 15%, mais la marge de manœuvre politique, était clairement à 0% ! Imaginez toucher aux 500.- de subvention pour la fanfare ou pour les parterres de fleurs du cimetière !

 

Or de nombreuses communes sont actuellement en déficit chronique et ne savent plus comment s’en tirer. La marge de manœuvre que laisse le budget ne permet pas de trouver des solutions pour sortir de l’impasse.

 

Alors, chacun peut bien se demander si les communes ont encore un rôle à jouer au niveau politique ou s’il ne vaudrait pas mieux les supprimer ou les fusionner pour les rendre plus efficaces.

 

Des projets allant dans ce sens ont fleuri partout dans le canton. On a parlé de la commune unique du Val-de-Travers, de la commune du Val-de-Ruz, de la fusion Le Locle-La Chaux-de-Fonds, ou de la fusion des Planchettes avec La Chaux-de-Fonds. L’idée progresse dans notre canton, sans pour autant remporter l’adhésion de tous.

 

D’autres cantons ont abordé cette problématique avec plus d’empressement. Le canton de Fribourg octroie des aides à la fusion et a obtenu un certain résultat. Plusieurs communes ont fusionné. Il faut dire que les communes fribourgeoises sont microscopiques. Les communes neuchâteloises sont relativement grandes en comparaison.

 

Le canton du Jura a également lancé un projet de fusion des 8 communes du Clos-du-Doubs. Les 8 communes ensembles arrivent à peine à 1400 habitants. Elles se dépeuplent à vue d’œil et les tâches administratives ne sont assurées qu’au minimum vital. Il n’y a pas toujours d’administration communale, c’est le maire qui cumule tous les rôles et reçoit les administrés autour de la table de sa ferme !

 

Nous allons ce soir faire le point sur cette problématique et essayer d’en évaluer les enjeux.

 

Curieusement, les communes ne sont reconnues par la constitution que depuis 1999. Les précédentes constitutions n’avaient pas jugé utile de mentionner les collectivités publiques les plus proches du citoyen.

 

Par rapport à d’autres pays, l’organisation communale de la Suisse s’est révélée extrêmement stable depuis la fondation de l’Etat confédéral en 1848. Les communes sont restées petites, en moyenne 840 habitants et n’ont que peu fusionné. Entre 1848 et 1999, le nombre de communes n’a passé que de 3203 à 2903.

 

On observe que les tâches communales sont devenues plus complexes et plus interdépendantes.

 

Avec la récession économique générale, la situation financière des communes s’est aggravée et leur endettement a augmenté.

 

Le niveau d’exigence des habitants s’est accru. Le politique a perdu de son aura et l’on trouve de moins en moins de gens prêts à assumer ces tâches bénévolement.

 

Toutes ces difficultés vous sont sûrement évidentes. Il faut donc trouver un moyen de réagir. Je vous propose quatre modèles :

 

  1. La collaboration intercommunale
  2. La fusion
  3. La péréquation financière
  4. La centralisation

 

La Belgique, les Pays-Bas, la Suède et la Norvège ont opté pour les fusions. La Norvège a passé de 744 communes en 1952 à 439 en 1992 et la Suède de 2281 à 286 entre 1961 et 1992. Les autres pays, comme la Suisse, se sont plutôt orientés vers la collaboration intercommunale. La fusion a été peu utilisée, mais elle est en discussion.

 

La collaboration intercommunale

 

La collaboration intercommunale peut se présenter sous diverses formes, par exemple, une commune importante signe des contrats avec ses petites communes voisines, par lesquels celles-ci lui délèguent et rétribuent un certain nombre de services, comme les transports publics, des infrastructures scolaires, la voirie, la distribution d’énergie, etc. La forme la plus utilisée est le syndicat intercommunal, à but unique, parfois à buts multiples. Il existe environ 1400 Syndicats intercommunaux en Suisse. Plus de 60% des communes coopèrent dans les domaines scolaires, santé, eaux usées et déchets.

 

Ces diverses formes de collaboration intercommunale permettent d’offrir à la population de petites communes des services de grande qualité à moindres coûts et ceci même dans des régions, où les communes étant toutes trop petites, elles ne pourraient jamais les mettre en place.

 

L’effet pervers, c’est la perte partielle de l’autonomie communale et l’apparition de déficits démocratiques. Les communes doivent parfois participer à des frais qu’elles ne financeraient pas si elles étaient seules à décider.

(Cas de l’agrandissement de la Fontenelle)

 

 

La fusion

 

En 1974, Hans-Peter Fagagnini avait étudié le fonctionnement des communes et estimé qu’une commune ne pouvait être dirigée à un niveau optimal de frais qu’à partir de 3000 habitants. Les Allemands considèrent la situation comme idéale à partir de 5000 habitants et les Américains à partir de 20’000. On voit qu’il y a là une question culturelle. Le Conseil de l’Europe en fait quand même un argument pour la fusion.

 

La fusion de communes n’est pas un outil habituel en Suisse comme il l’a été dans d’autres pays, en particulier du nord. L’autonomie communale y est sûrement pour quelque chose.

 

Nous avons passé de 3200 communes en 1848 à 2900 actuellement. La tendance s’est accentuée depuis 1950. Les deux records suisses sont Thurgovie, qui a perdu 120 communes et Fribourg, qui en a perdu 39. Actuellement, Lucerne envisage de réduire de moitié ses communes et le Tessin de passer de 245 communes à 86. Un cinquième des communes (surtout des petites et des pauvres) sont en discussion sur ce sujet.

 

10 cantons peuvent obliger les communes à fusionner. Les autres doivent leur demander leur avis.

 

On attend d’une fusion de commune qu’elle améliore :

 

–        l’efficacité, car on peut réunir des services, utiliser des synergies et abaisser les coûts ;

–        la démocratie, car on trouve plus de candidats et on informe mieux les citoyens ;

–        la répartition des tâches avec les cantons, car on augmente le poids de la commune et sa capacité à assumer son autonomie ;

–        la capacité de développement, car on améliore la compétitivité.

 

En revanche, l’expérience a montré qu’il y avait aussi des désavantages :

 

–        le personnel coûte plus cher à cause de la disparition du travail bénévole, de la création de super chefs de services mieux payés, car ils assument de plus grandes responsabilités ;

–        les coûts augmentent également parce que les communes fusionnées adaptent leur standard à celui de la commune qui avait le plus élevé ;

–        les problèmes deviennent plus complexes et nécessitent plus de travail de projet, rien ne se résout facilement devant un verre, comme dans les petites communes ;

–        la participation politique de la population est plus grande dans les petites communes que dans les grandes, l’identification des gens à leur commune est beaucoup plus grande qu’au canton ou à la région (sondage GfS 1997) ;

–        deux communes pauvres ne font pas une commune riche !

 

Si je m’en réfère à l’état de la recherche sur les communes en politologie, on peut aboutir à la conclusion qu’il est actuellement impossible de dire s’il est utile économiquement de fusionner des communes…

 

La péréquation intercommunale

 

La péréquation intercommunale permet également d’assurer l’existence des communes les plus pauvres et de lisser les différences entre les communes industrielles et rurales.

 

La centralisation

 

Cette solution n’est jamais envisagée au niveau politique, car elle est contraire à l’esprit fédéral et ne s’affirme jamais en tant que telle, mais elle est néanmoins souvent appliquée, comme une solution qui s’impose face aux difficultés des communes à assumer certains services. L’Etat étant beaucoup mieux armés que les communes, en experts et professionnels de toutes sortes, il peut prendre en charge facilement des tâches que les communes ne peuvent que difficilement assumer. Un exemple récent : la perception des impôts directement par le canton.

 

Conclusion

 

Un constat demeure : les communes ont de plus en plus de peine à remplir leurs tâches. Leurs limites sont apparues toujours plus ouvertement depuis 1994. L’assistance aux chômeurs et aux personnes sans ressources, les problèmes de l’asile ont pris de court les administrations communales.

 

La collaboration intercommunale est la voie la plus souvent choisie pour faire face. Les villes choisissent plutôt le contrat de prestations conclu avec les petites communes avoisinantes.  Les petites communes préfèrent les associations de communes.

 

Une chose reste cependant déterminante : la commune n’existe et ne continuera d’exister que par la volonté de ceux qui l’animent. Elle est l’entité la plus proche du citoyen. Elle est l’âme même de la conscience politique des citoyens. Elle est la première école de la citoyenneté. Elle est le réservoir des futurs politiques. Elle est aussi l’image à laquelle les citoyens s’identifient le plus et le mieux. Elle est le point d’ancrage de chacun dans son milieu de vie et sa culture. Elle joue donc un rôle fondamental dans la vie de chacun.

 

 

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