La santé et les défis des assurances sociales

  1. victoire de la médecine

 

Notre population vieillit, c’est un fait. Il faut tout d’abord s’en réjouir. C’est une victoire de la médecine et de l’hygiène, qui a permis de prolonger considérablement la durée moyenne de la vie, de limiter au maximum les décès prématurés et de conserver une bonne santé et une bonne qualité de vie jusqu’à un âge avancé. C’est un élément très positif. Il a cependant aussi son revers, c’est les problèmes liés au très grand âge. Il y a les problèmes de société, la solitude des personnes âgées. Il y a les problèmes de santé liés au grand âge, avec l’apparition de maladies autrefois très rares. Il y a enfin les questions financières, le financement de l’AVS, des EMS, des soins à domicile et des hôpitaux.

 

  1. augmentation des coûts de la LAMal

 

« Le poids du vieillissement de la population dans l’augmentation de coûts de la santé n’est pas contesté. Le Professeur Gilliand avait calculé que le nombre de grands vieillards, âgés de plus de 80 ans allait tripler entre 1980 et 2010. Or ce sont principalement ces grands vieillards qui peuplent les établissements pour personnes âgées.

 

La question des coûts de la santé est devenue d’année en année un sujet politiquement toujours plus difficile. Nous voyons la facture s’alourdir régulièrement, de 4 à 5% en moyenne par an, et nous nous heurtons à la difficulté du financement. Le financement actuel se par les pouvoirs publics, or ils sont sous la pression des baisses d’impôts et des mesures d’allègements budgétaires, et par les utilisateurs sur le modèle des primes par personne. Or avec la stagnation des salaires, les primes deviennent de plus en plus difficiles à payer pour nombre de familles. Les cantons doivent subventionner aujourd’hui les primes du tiers de leurs habitants environ.

 

Nous devons trouver une solution, ou plutôt des solutions, car il n’y a pas de solution miracle. Cela se saurait.

 

  1. solidarité intergénérationnelle

 

L’une des causes reconnues de l’accroissement des charges à l’introduction de la LAMal a été la prise en charge de l’ensemble des soins des personnes âgées par les assurances maladie, y compris les soins nécessités par la perte d’autonomie. Les sommes en cause sont, il est vrai, importantes. Par exemple, dans le canton de Neuchâtel, qui est doté de 1500 lits, en homes médicalisés, les assureurs paient pour chaque pensionnaire un forfait d’environ 70.- par jour, soit 25’550.- par année. Avec le vieillissement programmé de la population suisse, cette somme continuera d’ailleurs d’augmenter à l’avenir.

 

Il faudra trouver des solutions à l’augmentation des coûts de la santé, cependant, ces solutions doivent s’appuyer sur quelques principes fondamentaux. Pour moi, un des éléments les plus importants, c’est la solidarité entre les générations, entre les jeunes et les vieux, entre les hommes et les femmes, entre les célibataires et les familles, entre les bien portants et les malades. C’est ce qui a été mis en place par la LAMal. La LAMal a en effet introduit des primes semblables pour tout le monde. Autrefois, les personnes âgées payaient des primes plus élevées. Ca me paraît être un élément très important et je voudrais que nous soyons très attentifs et que nous ne laissions pas tomber cette solidarité entre les générations. Elle est parfois remise en cause.

 

Il y a quelques années, une initiative avait été présentée visant  à sortir totalement de la LAMal tous les soins des grands vieillards. Elle considérait qu’à cet âge, la nécessité de soins n’est plus un risque à assurer mais une fatalité à prendre en compte sur le plan social. Ces soins seraient à financer par la TVA, ce qui témoignerait de plus de solidarité entre les générations et soulagerait les jeunes familles. Récemment, des voix se sont élevées chez santésuisse pour différencier la prime selon l’âge des assurés.

 

  1. Préserver l’autonomie des personnes âgées

 

Le grand âge est aussi souvent lié au handicap. La plupart des personnes âgées désirent rester chez elles et vivre de manière autonome, malgré leur handicap. Pour cela, il faut créer des réseaux de services qui peuvent entourer les personnes handicapées et leur permettre de faire face aux tâches de la vie quotidienne. Les services qui permettent aux personnes âgées de rester chez elles le plus longtemps possible sont très importants. Il faut donc développer les réseaux de soins à domicile, les aides familiales, les repas à domicile, etc. Ils  permettent de garder un petit contact avec l’extérieur, de voir quelqu’un dans la journée, de rester chez soi malgré une mobilité réduite. En outre, ils influencent favorablement les résultats des caisses publiques, puisqu’une personne qui vit chez elle coûte toujours moins cher, qu’une personne prise en charge dans un EMS. Les EMS doivent être réservés aux personnes handicapées qui ne peuvent plus s’assumer elles-mêmes et qui doivent pouvoir bénéficier de soins particuliers

 

  1. maîtrise des coûts, différents modèles

 

Il y a deux types de solutions : tenter de maîtriser les coûts ou modifier le système de financement de l’assurance maladie de manière à décharger les familles les plus modestes. Au niveau politique, nous essayons d’agir parallèlement dans ces deux directions.

 

La question de la maîtrise des coûts vous est certainement très familière, car de nombreuses propositions sont continuellement discutées et vous devez ensuite les appliquer.

 

Elles tentent de répondre à ce défi avec quatre angles d’attaque :

 

  1. Le contrôle des actes médicaux. Parmi les propositions les plus connues on peut citer l’harmonisation des tarifs (tarmed), la limitation du nombre de cabinets médicaux, la liberté de contracter, les réseaux de médecins, le modèle du médecin de famille, etc.

 

  1. Le contrôle des assurances maladie : la caisse unique, la séparation entre l’assurance de base et l’assurance complémentaire, les pools de hauts risques, le contrôle des réserves, par ex.

 

  1. Le contrôle de la pharmacie : les importations parallèles, la propharmacie, le contrôle des prix, les génériques, la rétribution du pharmacien à l’acte.

 

  1. Le contrôle du patient : l’augmentation des franchises et de la participation, la carte santé, la limitation du catalogue de base, le libre choix du médecin et de l’établissement hospitalier.

 

Le deuxième élément a trait au financement des coûts par les primes et là aussi de nombreuses propositions sont actuellement à l’étude : un financement partiel par la TVA, des primes selon le revenu, des allègements de primes pour les familles ou la suppression des primes pour les enfants, la fixation d’un seuil maximal pour les primes par rapport au revenu familial, le subventionnement des primes pour les familles à bas revenus.

 

Restriction des soins

 

  1. La médecine à deux vitesses

 

En matière de qualité et de quantité de soins, ce que nous voulons éviter à tout prix, c’est un glissement vers une médecine à deux vitesses, une médecine où les prestations les plus pointues pourraient être octroyées aux personnes argentées, tandis que la majorité de la population ne disposerait plus que des soins de base. Nous devons lutter pouce par pouce pour ne pas perdre de terrain dans ce domaine. Les propositions qui vont dans le sens de la médecine à deux vitesses sont légions.

 

Les hommes naissent égaux en droits et ils ont tous le droit de vivre et d’être en bonne santé. Notre système de santé est actuellement très solidaire et très démocratique et l’on peut dire que toute la population a accès à la médecine de pointe et que l’on ne se préoccupe pas du porte-monnaie d’une personne avant de l’enregistrer dans un hôpital.

 

Et pourtant nous savons que cela existe dans d’autres pays, dits riches et civilisés. 40 millions de personnes, aux Etats-Unis ne reçoivent que les soins les plus basiques.

 

  1. Le catalogue de base

 

Si nous avons un système si démocratique, c’est grâce à la LAMal, qui prévoit que toute personne doit être affiliée à une assurance maladie et que son assurance doit prendre en charge tous les soins qui sont répertoriés dans le catalogue de base. Beaucoup d’entre vous travaillent dans le domaine médical et savent l’importance de ce catalogue. Si le catalogue de base répertorie tous les soins qui peuvent être utile à la santé d’un patient, tout le monde a accès aux soins les plus pointus. Si le catalogue élimine certains soins, ceux-ci ne seront plus remboursés que par les complémentaires et ne seront donc plus accessibles à la majorité de la population et nous aurons une médecine à deux vitesses. Il y a donc là un enjeu extrêmement important en matière de rationnement des soins.

 

L’UDC avait proposé il y a un an ou deux de limiter le catalogue de base pour faire des économies. C’est une manière de réserver les prestations aux personnes aisées. Les assureurs privilégient cette solution, car ils ne gagnent rien sur l’assurance de base, en revanche, ils gagnent sur les complémentaires. Donc, plus il y aura de prestations qui sortent du catalogue de base, plus il y aura de gens qui concluront des complémentaires…

 

  1. L’obligation de contracter

 

L’abandon de l’obligation de contracter va dans le même sens. On donnerait ainsi aux assureurs le pouvoir de déterminer quels seraient les bons médecins, pas chers, et quels seraient les moutons noirs, trop chers. En réalité cela aurait exactement le même effet que dans le cas précédent, les médecins très performants et très chers ne seraient plus remboursés par l’assurance de base, mais seraient à la charge des complémentaires uniquement et donc, pour être soignés avec les derniers ingrédients de la technique, vous devriez conclure des assurances complémentaires. Une majorité de la population, trop pauvre, ne pourrait pas le faire et se verrait refuser certaines prestations de haute technologie.

 

  1. La limitation du nombre de cabinets

 

Cette mesure peut aussi avoir pour conséquence une diminution des prestations, si elle aboutit à une pénurie de médecins installés.

 

Les migrations et la santé

 

  1. Intégration et non assimilation

 

Après avoir vécu des années de misère et avoir exporté ses citoyens, la Suisse est devenue florissante et une terre d’accueil. Depuis le début de l’ère industrielle, notre économie est attractive et engage de la main d’œuvre étrangère. Un cinquième des personnes résidant en Suisse n’a pas le passeport à croix blanche. Avec les bilatérales, la libre circulation des personnes et l’ouverture de l’Europe à l’est, le phénomène pourrait encore s’amplifier.

 

Il est donc important que nous ayons une politique en matière d’accueil et d’intégration des étrangers. Je précise, que quand je parle d’intégration, je ne parle pas d’assimilation. Il y a là deux conceptions très différentes de l’accueil. En Suisse alémanique, je dirais que j’ai quelquefois entendu un discours de type assimilation. C’est celui des « faiseurs de Suisses ». On veut que les étrangers parlent la langue du lieu, connaissent les coutumes locales et soient aussi discrets que possible.

 

A Neuchâtel, nous avons clairement adopté une politique d’intégration. Nous voulons que les étrangers se sentent bien chez nous, qu’ils participent à la vie locale, aux sociétés locales, qu’ils apportent leurs particularités culturelles, leur musique, leur vision des choses et nous la fassent partager. Nous n’attendons pas d’eux qu’ils se fondent dans la masse, mais au contraire qu’ils gardent leur spécificité, tout en acceptant les règles de notre société et en les respectant. C’est ce que j’appelle de l’intégration.

 

Depuis la Révolution neuchâteloise de 1848, les étrangers ont le droit de vote au niveau communal. C’est le premier canton à avoir accordé ce droit aux non nationaux.  La nouvelle constitution de 2000 a ajouté le droit de vote au niveau cantonal. Une initiative a abouti, qui demande l’éligibilité au niveau cantonal et communal. La citoyenneté est considérée comme un facteur essentiel d’intégration. Cette ouverture est d’ailleurs très appréciée des étrangers. Ils se sentent ainsi pris en compte et reconnus dans leur spécificité et se sentent bien chez nous. C’est aussi un facteur d’intégration sociale.

 

  1. Le bureau de l’intégration

 

Aujourd’hui, tous les cantons romands ont une petite structure d’accueil des personnes migrantes et font des projets très intéressants. Permettez-moi quand même de relever modestement que le canton de Neuchâtel a été pionnier dans ce domaine. Si certaines villes possédaient déjà un bureau de l’intégration, Neuchâtel a été à ma connaissance le premier canton à en créer un en 1990.

 

Ce bureau s’occupe essentiellement de médiation entre les communautés étrangères et les autorités cantonales. Il a traité en particulier des questions de l’inhumation des Musulmans dans les cimetières, du port du voile, de droit de vote des étrangers, des sans-papiers et a à chaque fois permis de trouver des solutions qui contentaient tout le monde.

 

Il fait aussi de l’information et de la communication par des brochures, des campagnes et son prix « Salut l’étranger ! », des animations dans les écoles.

 

Il est aussi un bureau de conseil pour les étrangers, où ils peuvent être accueillis dans une langue qu’ils connaissent et peuvent être orientés sur les habitudes de notre société, leurs droits et leurs devoirs, les services qui sont à leur disposition, les démarches qu’ils doivent faire, etc. Pour cela, le bureau de l’intégration dispose d’une armée de traducteurs comprenant et parlant les langues les plus diverses.

 

Je soulignerai que beaucoup de personnes viennent chez nous pour travailler et s’intègrent facilement, mais il y a aussi ceux et celles qui arrivent chez nous après un long périple à travers des pays en guerre, après avoir vécu la famine, avoir confié leur vie à des passeurs pas toujours honnêtes, après avoir eu peur, avoir été maltraités, blessés ou violés. Le passé peut être lourd et l’intégration rendue plus difficile par des dépressions et des traumatismes.

 

  1. Les projets femmes migrantes et santé

 

Une attention particulière est accordée aux femmes dans trois domaines :

 

  1. Le planning familial et  l’offre de services dans ce domaine
  2. La violence conjugale : on informe les femmes sur leurs droits et les possibilités d’accueil
  3. Les artistes de cabaret sont systématiquement accueillies et doivent subir deux heures d’information dans leur langue avant d’être relâchées, sur leurs droits, les permis de séjour, les questions de santé, les maladies sexuellement transmissibles, leur santé en général, le problème de l’alcoolisme auquel elles sont souvent confrontées et l’offre sanitaire qui est à leur disposition s’il leur arrive quelque chose.
  4. On aimerait y ajouter un projet supplémentaire, qui n’a pas encore pu voir le jour, faute de financement, c’est l’accompagnement des femmes enceintes pendant leur grossesse, avec la possibilité d’avoir une traduction pour au moins un ou deux rendez-vous chez le gynécologue.

 

Diminution de la solidarité, diminution des ressources publiques et privées de l’action sociale.

 

Nous avons vécu des années d’après guerre euphoriques. En effet, nous avons pu mettre en place, grâce à ces années de progression économiques extraordinaires que nous appelons les trente glorieuses, nous avons pu mettre en place les bases de tout notre système de solidarité sociale. Nous avons créé l’AVS en 1948, puis cela a été l’AI en 1960, puis la LPP en 1975 et enfin la dernière née, mais non la moindre de nos assurances sociales, la LAMal en 1996. Mais en même temps que nous avons élaboré ce filet social, nous avons continué à le perfectionner et à le rendre plus performant, de révision en révision.

 

  1. L’AVS

 

Au début, l’AVS était un système extrêmement machiste, qui postulait que la femme n’avait pas de profession, qu’elle s’occupait de son mari, qu’elle en dépendait totalement et que c’était donc lui qui devait toucher la rente uniquement. Heureusement, on a fait des progrès considérables. Aujourd’hui chacun reçoit sa rente, on reconnaît le travail d’éducation de la mère de famille et le montant de la rente a augmenté. La 11ème révision de l’AVS que nous venons de refuser en votation populaire, est la première révision de l’AVS qui diminue les prestations au lieu de les augmenter. Ca ne s’était jamais vu et c’est sans doute un signe que le Parlement n’a plus la même vision de l’économie humaniste, qui doit servir à améliorer la qualité de vie de l’homme, qui avait prévalu jusqu’à maintenant.

 

  1. L’AI

 

De même, si l’on considère l’AI, le refus de la TVA est préoccupant. Il est vrai que le peuple n’aime pas les paquets et que là il a été servi, puisqu’on a une fois de plus élaboré un paquet branlant, avec un volet AVS prématuré et un volet AI urgent. Ce qui me préoccupe encore plus, c’est que pour faire échouer ce financement de l’AI, l’UDC n’a pas hésité à sortir les canons. Elle a décrit les rentiers AI comme une troupe d’abuseurs, qui profitent du système parce qu’ils ne veulent pas travailler. Elle a essayé de faire passer les patients pour des simulateurs. C’est très grave, car elle a ainsi jeté l’opprobre injustement sur des gens qui souffrent déjà beaucoup dans leur santé, essaient de s’en sortir le mieux possible et n’ont pas la vie facile du tout. Il y a là aussi abandon du sentiment de solidarité qui avait prévalu quand on avait créé cette assurance.

 

  1. La LPP

 

Autre monument de nos assurances sociales, la LPP. Elle aussi a vécu des moments difficile pendant l’été 2003, quand le scandale de la LPP a été révélé. On avait confiance dans ce deuxième pilier qui devait venir compléter l’AVS et nous permettre de vivre des vieux jours tranquilles et confortables. Le réveil a été dur, quand on a dû constater que des millions avaient disparu sans laisser d’adresse. L’opacité des comptes des assureurs privés est telle que l’on ne sait toujours pas ce que cet argent est devenu. Ce sera très probablement le plus grand scandale financier du siècle. Comment pouvoir encore cotiser en toute confiance et solidairement quand on apprend que l’argent que l’on nous prend aujourd’hui et qui nous manque au moment où nous élevons nos enfants, peut être joué en bourse et perdu et que les bénéfices des années fastes sont peut-être utilisés pour verser des dividendes généreux aux actionnaires ?

 

  1. La LAMal

 

La LAMal est aussi mise à mal. L’augmentation constante des coûts fait peser une telle pression sur cette assurance et toute l’énergie disponible est consacrée à la diminution des coûts et non à l’amélioration de la solidarité entre les assurés et entre les bien portants et les malades.

 

  1. L’action sociale

 

A ce tableau bien noir, on peut ajouter le paquet fiscal, destiné à améliorer la situation des personnes dont les revenus sont confortables, des  propriétaires et des actionnaires, alors que le tiers de notre population ne peut pas payer ses primes maladie. C’est inadmissible. La population l’a fait savoir en votations.

 

 

 

 

 

tabs-top

Comments are closed.