Discours de promotion du Lycée Blaise-Cendrars

Discours de fin d’année

du Lycée Blaise-Cendrars

 

Monsieur le Conseiller d’Etat, Monsieur le Conseiller communal, chers bacheliers, chers parents, Mesdames et Messieurs,

 

Bravo ! Bravo à vous tous qui venez de passer des moments difficiles, qui avez relevé le défi et qui avez réussi ! Peut-être avez-vous été tendus ? Peut-être avez-vous mal dormi ces dernières semaines ? Et bien soyez rassurés ! Vous dormirez probablement encore plus mal cette nuit, mais après, vous pourrez vous rattraper jusqu’à l’automne. Profitez-en bien !

 

Bravo à vous parents, qui avez encouragé vos jeunes bacheliers, qui les avez soutenu dans les moments de tension, qui avez supporté les sautes d’humeur et distribué la tisane de fleurs d’oranger au bon moment !

 

Permettez-moi de vous présenter Luca et Alexa ! Bonsoir ! Ils viennent de passer leurs examens avec succès. Bravo pour votre bac !

 

Vous êtes parmi les héros du jour. C’est pourquoi j’avais envie de vous donner la parole ! Je vous remercie d’avoir accepté. Et je remercie aussi M. Hermann, votre jeune et dynamique nouveau directeur,  de m’avoir accordé cette faveur !

 

Alors, vous êtes contents ? Qu’est-ce que vous avez comme projets ?

 

Lucas              Oui, on est super content. Dans l’immédiat on va aller faire la noce ce soir, c’est sûr qu’on va très mal dormir ! (à la salle) Vous êtes d’accord ?…

 

Alexa               Oui c’est clair,  ce soir ça va être la fête. Mais maintenant qu’on a fini, il faut quand même penser à la suite ! On n’est plus dans le petit cocon bien rassurant du Lycée ! Pendant trois ans, on savait au moins où on allait, tous les  matins on suivait le troupeau de l’arrêt de bus jusqu’au Lycée sans se poser trop de questions… Mais maintenant c’est le vide, le grand saut quoi ! En plus au niveau des études, tout est en train de changer et on peut se demander à quelle sauce on va être mangé.

 

Lucas              A la bolognaise, c’est meilleur !

 

Gisèle     Oui, ça c’est sûr, nous sommes entrés dans le processus de Bologne. Vous aurez donc le temps d’y goûter ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est ambitieuse, la déclaration de Bologne. Ecoutez plutôt : « Nous devons faire en sorte que le système européen d’enseignement supérieur exerce dans le monde entier un attrait à la hauteur de ses extraordinaires traditions culturelles et scientifiques ». Bologne nous garantit mobilité, interdisciplinarité, cosmopolitisme et titres en anglais dans toutes les universités d’Europe, dès la rentrée 2005. Chaque haute école devra  créer des pôles d’excellence, exploiter au maximum ses ressources et abandonner les filières les moins performantes.

 

Alexa               Ca veut dire que l’on ne pourra plus tout  étudier partout ?

 

Gisèle     En effet, l’endroit où vous poursuivrez vos études risque bien de dépendre à l’avenir de la filière que vous aurez choisie.

 

Il y aura une globalisation de l’offre universitaire et une spécialisation des hautes écoles. Ca induira une grande concurrence entre les universités, pour avoir les programmes et les instituts les plus prestigieux, et ça aura pour conséquence que les universités devront faire de la pub pour attirer les bacheliers. L’étudiant deviendra un client de l’université, mais aussi un produit à revendre à sa sortie !

 

C’est une réforme très importante, avec des plus et des moins. Pour moi, ce qui reste le plus important, quel que soit le système de formation, c’est que vous puissiez faire les études que vous voulez et que vous ayez un bon enseignement.

 

Alexa               Ce qui est bien, c’est qu’on pourra voyager partout en Europe, connaître des gens d’autres pays, apprendre les langues.

 

Lucas              Oui, mais ça ne va pas être facile ! Est-ce qu’il faudra faire le « top ten » de toutes les universités d’Europe pour savoir laquelle est la meilleure ?

 

Gisèle     En effet, c’est extrêmement difficile de juger de la qualité d’une école. Comment peut-on l’évaluer ? Par le taux de réussite des étudiants ? Par le nombre de publications ? Par des sondages auprès des profs et des étudiants ? Ou par les mandats qu’elle arrive à obtenir auprès de l’économie privée ?

 

Lucas              C’est très motivant de travailler sur un projet comme Alinghi…

 

Gisèle     Oui bien sûr, c’est passionnant ! Il faut pouvoir le faire, mais on ne peut pas faire que de la recherche appliquée. Il ne faut pas oublier que la tâche de l’université, c’est la recherche fondamentale. Si l’on ne travaille plus qu’en partenariat avec des entreprises pour la recherche, cela pourrait être au détriment de la recherche fondamentale. On perdrait alors aussi du terrain en matière de nouvelles technologies. Le risque, c’est de renoncer à des projets intéressants qui ne peuvent trouver de financement privé, parce qu’ils ne sont pas directement rentables.

 

J’ai reçu un petit document d’Economiesuisse, la faîtière des organisations de défenses des intérêts économiques, il y a quelques temps. Il présente quelques propositions pour l’université de l’avenir.

 

Alexa               Et c’est quoi l’avenir pour Economiesuisse?

 

Gisèle     Eh bien, Economiesuisse relève l’importance de la formation et de la recherche pour l’avenir économique de notre pays. Elle est très critique envers les performances de l’école actuelle. Elle veut que la nouvelle génération soit mieux formée, que ses compétences soient mieux adaptées au marché du travail. Elle parle beaucoup de l’importance du capital humain pour le développement de notre compétitivité.

 

Alexa               C’est incroyable comment peuvent-ils parler de capital humain ? Je n’ai pas fait toutes ces études pour être considérée comme un simple produit soumis aux lois de l’offre et de la demande. De toute façon si c’est ça qu’ils attendent de nous, ils risquent d’être déçus. Pour moi le lycée c’était surtout une période de ma vie où j’ai appris à m’ouvrir au monde et à m’épanouir. J’ai appris à connaître les gens et à m’intéresser à différents domaines de connaissance, mais sans avoir le sentiment de devoir être employable … et j’espère bien que l’uni n’est pas en train de devenir une usine à fabriquer des petits soldats de l’industrie, mais qu’elle offre aussi la possibilité de continuer dans cet esprit d’ouverture et d’échange.

 

Lucas              Peut-être, mais qui c’est qui va payer… ton é-pa-nou-i-sse-ment ? Si tu veux manger, tu devras bien te lever tous les matins et être employable par quelqu’un !

 

Alexa               Oui, mais c’est quand même pas la même chose de devoir se lever pour faire quelque chose qu’on aime et où on se sent bien, que de devoir se plier aux exigences d’un système dicté par les grandes entreprises.

 

Gisèle     Et toi, qu’est-ce que tu veux faire ?

 

Lucas              Je veux enseigner. J’ai envie de former des citoyens, pas forcément des rats de laboratoire. C’est vrai, ce que doit être l’école avant tout c’est un passage formateur, qui doit nous ouvrir aux autres et au monde. J’en ai franchement assez de notre école, à l’image de notre société, basée sur la performance. Cette performance à tout prix a fait de notre société une machine économique dont l’individu n’est qu’un rouage, qui ne se définit plus au travers de son être propre, de sa personnalité, mais uniquement par son potentiel de production, De nos jours, quelqu’un de non productif ou non performant est considéré comme un poids mort, un handicap sans intérêt dans notre monde de l’efficacité avant tout. Pour moi, l’école doit être un lieu où l’on développe les possibilités de chacun, où l’on privilégie l’individu. J’espère que je pourrai enseigner en français, pas en anglais, de toutes façons, j’en serais incapable…. Pour ça, je préférerais quand même que les bouquins ne soient pas sponsorisés par des multinationales.

 

Gisèle     Ah, ça, Economiesuisse y pense aussi : un partenariat public – privé plus important, des donations et du sponsoring. Et si on veut des études de qualité, dit-elle, y a pas photo, il faut des taxes universitaires plus substantielles, de 5 à 8000.- par an, pour les financer, et un système de prêts, avec ou sans intérêts, à rembourser quand on arrive dans la vie professionnelle. Elle estime que si les 130’000 étudiants des HES, des uni et des EPF payaient 5000.- par an, cela rapporterait plus de 500 millions à la Confédération. On pourrait engager des professeurs supplémentaires.

 

Lucas              Comment tu veux que je paie mes études ? C’est pas en gardant un parking la nuit que je vais les payer, ou bien alors je vais devenir un étudiant éternel.

 

Alexa               C’est absurde de devoir trier les étudiants d’après des critères financiers. Ca va empêcher certaines personnes qui en auraient les capacités de faire des études et creuser encore plus le fossé entre riches et pauvres. C’est complètement anti-démocratique. L’école doit assurer l’égalité des chances pour tout le monde.

 

Gisèle     Ce n’est malheureusement pas l’avis de tout le monde.

 

Lucas              Si j’avais choisi la philosophie, probablement que je ne pourrais jamais rembourser mes prêts.

 

Gisèle     Oui, il y a plusieurs branches universitaires qui sont dans ce cas.

 

Alexa               C’est bien là le problème. Il ne resterait plus qu’à choisir sa formation en fonction de ce qui rapporterait le plus. Elle est où la liberté ?

 

Gisèle     Ah, oui, la liberté, c’est fondamental.

 

Alexa               Eh bien alors, qu’est-ce que tu imagines pour l’université de demain ?

 

Gisèle     Eh bien, je suis d’accord avec vous, je ne veux pas d’une université qui dépende de l’industrie privée. La solution, elle n’est pas là. Cette nouvelle vague de réflexions sur l’école, qui est en train de se répandre en Europe est trop utilitariste.

 

Elle considère que chaque individu ne poursuit que son intérêt propre. L’école n’a pas d’autre justification que de donner des compétences qui permettront d’améliorer une situation économique. Il est donc normal que les parents paient pour ce service que l’on rend à leurs enfants. Pour reprendre les termes qui sont habituellement utilisés : nous avons « un capital humain » à mettre sur le « marché éducatif » et qui doit « rentabiliser l’investissement » que l’on fait en lui donnant des compétences.

Jusqu’à maintenant, les universités suisses se prévalaient de l’héritage de Wilhelm von Humboldt, réformateur prussien du début du 19ème siècle. Ce modèle se caractérise par un idéal humaniste de la connaissance, qui a pour but de faire de l’étudiant ou de l’étudiante un être humain complet, autonome, et un citoyen ou une citoyenne critique.

Il se fonde sur une double indépendance : l’indépendance de l’étudiant qui choisit ses études, sans être entravé par des questions financières et l’indépendance de l’université, qui ne dépend que de fonds publics et peut donc organiser son enseignement en toute liberté.

Doit-on considérer ce modèle comme ringard ? Je veux croire que non et que je ne suis pas la seule à lui trouver encore du bon !

En conclusion, je vous livre ma recette, et c’est la minute culinaire :

–       un demi-litre d’humanisme

–       quelques tranches de savoir

–       laisser revenir jusqu’à ce que ça prenne une bonne couleur

–       ajouter un zeste d’économie

–       une pincée de compétitivité

–       une cuillère de pragmatisme

–       laisser mijoter et vous aurez une excellente sauce à la neuchâteloise !

 

Merci à Alexa

Merci à Lucas

Merci à vous tous et toutes et vive la fête !

tabs-top

Comments are closed.