Gisèle Ory
2300 La Chaux-de-Fonds
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5ème révision de l’AI
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Le nombre de rentiers AI a considérablement augmenté ces dernières années. Cela pose un problème humain : de plus en plus de personnes sont exclues du marché du travail pour raison de santé et doivent vivre dans des conditions difficiles du point de vue social, comme du point de vue financier. Cela pose aussi un problème de coûts : l’AI est en déficit. Son endettement s’accroît chaque année de plus d’un milliard de francs.
La cinquième révision doit avoir pour objectifs de mettre en place des solutions à long terme pour prévenir le handicap, éviter l’exclusion professionnelle et sociale des personnes en difficultés et contrôler l’augmentation des coûts.
L’OFAS a présenté un premier projet concernant la 5ème révision de l’AI lors d’une conférence de presse, le 28 avril 2004. Pour l’analyse qui suit, je me fonde sur les documents qui ont été distribués à la presse à cette occasion.
1. Objectifs de la révision
Le nombre de cas d’invalidité augmente régulièrement depuis plusieurs années. Cette situation est préoccupante, autant du point de vue de la santé publique, que des coûts. Prévenir l’invalidité vaut toujours mieux que la reconnaître une fois qu’elle survient. Cependant, pour pouvoir la prévenir, il faut comprendre les mécanismes qui aboutissent au handicap et les déjouer. Ces mécanismes sont nombreux, de types très divers et imbriqués les uns dans les autres, de telle sorte qu’il est très difficile de mettre en évidence les causes réelles de l’invalidité (vieillissement des personnes handicapées, définition des maladies, changement de société, marché du travail, état de santé de la population, fonctionnement des assurances sociales, etc.). Si de nombreuses hypothèses ont été formulées, peu ont été scientifiquement démontrées. C’est pourquoi, en marge de la 5ème révision, j’aimerais faire les quelques remarques suivantes.
*Eures.ch
2. Mesures destinées à freiner l’augmentation du nombre de rentes
– Détection précoce et suivi (DPS) de personnes en incapacité de travail pour cause de maladie
La prise en compte précoce de la menace d’invalidité est très positive. La volonté de maintenir les personnes menacées d’invalidité à leur place de travail est bénéfique socialement et médicalement.
Les experts s’accordent sur le fait que plus on intervient tôt, plus les chances de se réintégrer dans le monde du travail sont grandes. La prise en charge précoce et le suivi par un Centre de détection précoce sont donc des éléments importants. Cette mesure ne peut cependant être efficace que si le Centre de détection peut éviter que les personnes concernées ne perdent leur emploi. Il faut donc prévoir des contacts institutionnels, des incitations ou des aides pour que l’employeur garde la personne menacée d’invalidité à sa place de travail dans tous les cas où c’est possible. Des projets pilotes doivent permettre de déterminer dans quelle mesure et dans quelles conditions cela est possible.
En ce qui concerne la procédure de prise en charge par les Centre de DPS, une remarque me paraît nécessaire. Lorsqu’une personne perd sa place de travail au cours de l’enquête menée par le Centre DPS, ce dernier la dirige vers l’organe compétent de l’AC. Ceci suppose une formation adéquate des employés de l’AC, de manière à ce qu’ils puissent estimer les problèmes de santé et les risques encourus par la personne menacée de handicap, lorsqu’ils évaluent sa capacité de travail et lui proposent une place.
– « La réadaptation plutôt que la rente » : des mesures d’intégration en plus
Les mesures d’intégration ou de réintégration professionnelles offertes aux personnes menacées de handicap, pendant deux à quatre ans doivent leur permettre de faire un bilan de leurs compétences et leur donner les outils nécessaires pour s’insérer dans le marché du travail. Le fait que la personne handicapée peut, avec cette révision, acquérir une formation meilleure que celle qu’elle avait auparavant, est très positif. Les personnes handicapées sont défavorisées au niveau de l’emploi. Leur permettre de pallier leur handicap en leur donnant une bonne formation est un élément important de la politique de réintégration.
L’obligation de participer à des programmes de réintégration pendant quelques années est acceptable et peut-être même bénéfique pour des personnes qui traversent une période difficile ou qui seraient tentées de perdre confiance.
L’état de santé de la personne doit être évalué avec précision de manière à éviter de le péjorer par la participation à des programmes inadaptés au handicap.
De nombreuses personnes handicapées ont une bonne formation et des capacités professionnelles de haut niveau. Il n’est pas acceptable qu’elles soient contraintes de participer à des programmes de réinsertion professionnelle qui ne tiennent pas compte de leurs compétences. Il serait judicieux d’appliquer ici les mêmes principes que dans le cas du chômage et d’éviter une déqualification de la personne handicapée, si celle-ci n’est pas due au handicap lui-même et à la perte de fonctions indispensables à l’activité antérieure.
Se pose la question de la suffisance de places de travail pour occuper ces personnes. Actuellement, le marché de travail est tendu. C’est la raison pour laquelle les personnes en difficultés en sont de plus en plus exclues. Leur demander de travailler n’est possible que si les pouvoirs publics créent, en partie du moins, les places adaptées manquantes. Pour cela, une réflexion pourrait être menée sur certains modèles existant à l’étranger.
L’entreprise de transition : c’est une entreprise subventionnée par l’Etat, qui prend en charge les personnes invalides ou menacées d’invalidité, fait une évaluation de leurs compétences, leur donne éventuellement une formation complémentaires et est ensuite chargée de les réintégrer dans l’économie. L’entreprise subventionnée reste l’employeuse, jusqu’à ce que la nouvelle entreprise soit prête à engager la personne. Pour inciter l’entreprise de transition à placer ses employés, on lui verse une prime pour chaque personne réintégrée. Dans le système actuel, l’incitation est négative, car les ateliers protégés ont avantage à garder leurs ouvriers les plus performants pour être concurrentiels et augmenter leurs activités. Il s’agit là de transformer une incitation négative en incitation positive. Un projet pilote serait nécessaire, afin d’évaluer le nombre et le type de personnes qui pourraient être concernées par ce genre d’engagement, ainsi que les emplois à proposer, etc.
L’atelier protégé en entreprise : ce sont des groupes de personnes qui sont employées par une entreprise et travaillent sur le site de l’entreprise, mais dont la prise en charge administrative, l’accompagnement et le salaire sont assurés par un atelier protégé (modèle PMP) ou une entreprise de transition.
Le modèle du bureau de placement : c’est un système de réinsertion qui diminue au maximum les risques de l’entreprise et ses charges administratives. Ces deux éléments sont souvent cités par les employeurs comme les principaux freins à l’engagement de personnes handicapées. Il s’agit de mettre des personnes à disposition des entreprises, sans qu’elles ne doivent les engager immédiatement, en travaillant comme un bureau de placement ordinaire : la personne reste employée de l’agence, qui assume les charges administratives, gère les contrats, verse les salaires, assume la LPP et facture le tout à l’entreprise, jusqu’à ce que celle-ci soit prête à engager la personne définitivement.
L’organisme de médiation. Les employeurs qui sont prêts à engager des personnes menacées de handicap, exposées à des difficultés, des rechutes ou une péjoration de leur état, doivent pouvoir s’adresser à un organisme de médiation pour faciliter leur intégration dans l’entreprise et assurer le suivi de cette intégration jusqu’à ce que ces personnes trouvent une certaine stabilité. La plupart des employeurs n’ont ni le temps, ni la formation adéquate pour s’occuper d’un employé en difficultés.
Les mesures incitatives financières pour les employeurs sont un complément utile (prise en charge du premier salaire, déductions, voir éventuellement réduction de la prime AI de l’employeur pour les entreprises qui s’engagent particulièrement dans la prévention ou la réinsertion, etc.).
Il est nécessaire que la Confédération détermine un concept de placement, qui puisse être ensuite appliqué par les cantons ou par délégations à des organismes privés. La collaboration avec les institutions spécialisées peut être un avantage, vu leur expérience et leur réseau de relations avec les entreprises (IPT et Profil).
Le financement de cette première période de réintégration par les indemnités journalières est une bonne approche. Cela incite la personne menacée d’invalidité à participer à sa réintégration et à accomplir une nouvelle formation de qualité. Il faut cependant pouvoir assurer que, si une personne s’engage dans une formation de longue durée, les mesures d’intégration pourront être prolongées au-delà de deux ans.
Je vois cependant un problème en ce qui concerne la suspension éventuelle des indemnités en cas de refus de coopérer. L’AI n’est pas dans la même situation que l’AC. Dans nombre de maladies psychiques, la coopération du patient ne va pas de soi (pathologies sociales, marginalités, toxicomanies, dépressions, troubles du comportement, phobies, etc.). Le manque de collaboration est même parfois un symptôme de la maladie.
Faut-il exclure ces personnes des programmes de réintégration, diminuer leur rente AI, les renvoyer à l’aide sociale ? La réponse n’est pas sans conséquences, car il s’agit là d’un pan important des pathologies que nous rencontrons aujourd’hui. La notion de coopération du patient doit être définie avec une certaine souplesse. Une sanction ne doit être prise que si le patient « peut » parfaitement collaborer, mais ne « veut » pas, pour des raisons incompréhensibles, sans quoi l’incitation au travail pourrait se transformer en naufrage social.
En outre, qu’adviendra-t-il des personnes dont l’indemnité journalière sera suspendue ? Comment leur minimum vital sera-t-il assuré ? Dans quelles conditions pourront-elles obtenir une rente AI si nécessaire ?
Enfin, qu’adviendra-t-il des personnes qui n’auront pas droit à ces mesures d’intégration ? Par exemple en cas d’incapacité de gain de moins de 30% ?
– Evaluation de l’incapacité de travail confiée à des médecins de l’AI
L’évaluation par des médecins de l’AI a l’avantage d’harmoniser les critères d’octroi de rentes dans l’ensemble de la Suisse. Actuellement, la pratique est assez différente d’un canton à l’autre.
La pression, que ressentent parfois les médecins traitants en sera diminuée.
Il est cependant important que le médecin traitant, qui est la personne qui connaît le mieux le malade, puisse continuer d’intervenir, ne serait-ce qu’à titre consultatif, dans la procédure, de manière à éviter qu’un cas ne soit jugé trop hâtivement. C’est une précaution importante, en particulier en matière de maladies psychiques ou dégénératives, où l’état du patient peu varier beaucoup d’un jour à l’autre. Il faudrait donc déterminer quand et de quelle manière le médecin traitant peut faire valoir son avis dans le cadre de la procédure d’octroi.
– Droit à des prestations de l’AI uniquement après dépôt de la demande
Cette mesure incite les personnes menacées d’invalidité à s’annoncer aussi rapidement que possible. La détection précoce et les chances de réinsertion en sont améliorées.
– Durée minimale de cotisation allongée à 5 ans
L’efficacité de cette mesure est très faible, car elle ne concerne que peu de personnes. Les ressortissants de l’UE/AELE ne sont pas touchés, car ils sont couverts par les accords bilatéraux. Les conventions signées avec les autres pays peuvent peut-être être renégociées. Cependant, on peut douter que le bénéfice que l’on en tirera au niveau financier en vaille la peine.
3. Correction des incitations négatives contraires à l’intégration
– Harmonisation du système d’indemnités journalières de l’AI avec celui de l’AC et suppression du minimum garanti
Pour déterminer l’importance des conséquences financières sur les personnes concernées, il est nécessaire de faire une analyse approfondie de différents cas. Il ne faut cependant pas perdre de vue que le handicap n’est pas le chômage et qu’une personne handicapée doit faire face à des frais qu’une personne au chômage n’a pas : soins, déplacements plus difficiles, etc.
– Détermination du taux d’invalidité sur la base du revenu réel
Cela pose le problème des personnes ayant une infirmité congénitale, des personnes s’occupant de leur foyer et de leurs enfants (qui fournissent un travail de valeur non chiffrée, mais qui doit être remplacé de manière chiffrée) et des assurés qui réduisent leur taux d’emploi à la suite d’une détérioration de leur état de santé. Des solutions doivent être trouvées pour tenir compte de ces différents cas.
– Suppression des diminutions de revenus en cas d’augmentation de l’activité lucrative
Cette mesure supprime un frein à l’emploi des personnes handicapées en leur permettant de travailler, sans risquer de perdre leur rente et de se retrouver dans une situation difficile en cas de progression de leur maladie ou de rechute. La rente est adaptée au salaire et prend le relais du salaire si celui-ci disparaît. Cette mesure est particulièrement utile dans le cas de personnes qui touchent des rentes partielles.
4. Mesures d’économies
– Financement des mesures médicales de réadaptation professionnelle par l’assurance-maladie
Il s’agit là, non d’une économie, mais d’un transfert de l’AI vers la LAMal. Il n’est pas sûr que la simplification de la procédure permettra de faire beaucoup d’économies. En revanche, cela représente quelques désavantages pour les assurés.
Accroître la facture de la LAMal, même si ce n’est que de 78 millions, n’est pas favorable, vu le poids des augmentations de primes sur les budgets des familles.
En outre, la LAMal est moins généreuse que l’AI. Il y a des franchises et des participations, des limitations de thérapies, etc.
– Suppression des rentes complémentaires en cours
Il s’agit d’une diminution des prestations pour les couples mariés. Les rentes complémentaires nouvelles ont déjà été supprimées dans la 4ème révision. On supprimerait ici les rentes en cours. C’est une diminution du budget des familles et des couples. Vu les budgets souvent très précaires de ces familles, cette mesure ne devrait être prise qu’avec beaucoup de prudence et de manière échelonnée, en tenant compte de l’âge des personnes concernées.
– Supprimer le supplément de carrière
Diminution de prestations pour les assurés les plus âgés. Calculer le taux d’invalidité sur la base du dernier revenu effectif péjore la situation des personnes devenues handicapées tôt.
5. Relever le taux de cotisation AI pour compenser les économies de la prévoyance professionnelle
La question du financement à long terme de l’AI est particulièrement ardue. Doit-elle être abordée dans le cadre de la 5ème révision ou peut-elle être réglée indépendamment de cette révision?
Dans toute la mesure du possible, il faudrait qu’elle soit résolue avant l’entrée en vigueur de la cinquième révision, car le déficit de l’AI est très important et se creuse rapidement. Cependant, si la réflexion sur le financement devait être mise en parallèle avec les mesures d’économie prévues dans le cadre de la 5ème révision, cela en reporterait l’entrée en vigueur et nécessiterait une solution transitoire d’urgence.
Plusieurs modèles de financement doivent être étudiés. La TVA a été très largement refusée par le peuple le 16 mai dernier. La netteté de ce refus montre que la population n’est pas prête à accepter une augmentation de cet impôt. Revenir maintenant avec la même proposition paraît donc difficile.
Les milieux patronaux ont déjà annoncé leur opposition à toute augmentation des cotisations salariales, du moins tant que le poids de l’AI sur la LPP n’aurait pas diminué. L’augmentation de la cotisation de 0,1%, proposée dans le cadre de la 5ème révision, est de toute façon très insuffisante pour faire face aux tâches de l’AI, dans le contexte actuel.
Il faudra donc probablement proposer un mélange entre la TVA et la cotisation salariale ou trouver un système de financement original.
Un « impôt de solidarité », du type de celui qui avait été mis en place en son temps pour l’assurance chômage, prélevé uniquement sur les hauts salaires et limité dans le temps, permettrait-il de désendetter l’AI à court terme et de desserrer l’étau qui l’oppresse, le temps de mettre en place un financement à plus long terme, avant ou dans le cadre de la cinquième révision ? La faisabilité de cette solution me semble devoir être étudiée. Cependant, une augmentation de 1% sur la part des salaires de plus de 100’000.- rapporterait environ 262 millions de francs par an. Pour permettre le désendettement de l’AI, cette solutions nécessiterait une augmentation importante.
La diminution de 3% de la cotisation LPP pour les employé(e)s de plus de 52/55 ans pourrait-elle être proposée en échange de l’augmentation des cotisations salariales pour l’AI ? Il s’agirait dans ce cas de plafonner la cotisation salariale pour la LPP à 15%. Cela présenterait deux avantages : d’une part cela permettrait d’augmenter la cotisation salariale en faveur de l’AI sans augmenter les charges sociales des employeurs et d’autre part, cela permettrait d’abaisser les charges sociales liées aux travailleurs âgés et favoriserait l’emploi de cette catégorie de personnes. Cette modification de l’équilibre entre les assurances sociales aurait cependant des répercussions sur l’avoir vieillesse et devrait être soigneusement évaluée.
6. Répercussions financières de la 5ème révision de l’AI
Ce plan de mesures ne déployant tous ses effets qu’à moyen et long terme, il est difficile d’évaluer les économies potentielles et la question du financement ne peut être éludée.
7. Mesures non retenues
Les mesures abandonnées l’ont été à juste titre, en particulier en ce qui concerne les rentes versées à l’étranger. L’économie serait très faible, car cette mesure ne pourrait être appliquée qu’aux personnes qui se trouvent dans des pays hors UE/AELE. Avec de nombreux états, nous avons des traités que nous ne pouvons pas remettre en cause. Les Suisses de l’étranger seraient aussi touchés. En outre, cela créerait des inégalités de traitement entre les personnes qui séjournent dans des pays différents.
Gisèle Ory
22 juillet 2004