Vivre avec un handicap

Vivre avec un handicap, qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui ?

 

Cela signifie en tout cas une souffrance. Il y a la maladie qu’il faut supporter. Il y a l’accident et son lot de douleurs. Il y a le deuil de ce que l’on aurait voulu faire, de ce que l’on aurait voulu être. Quelquefois, il y a l’exclusion, la peur des autres. Vont-ils m’accepter ? Que vont-ils dire de moi ? Vais-je perdre mes amis ? Pourquoi suis-je différent ?

 

Le handicap entraîne bien souvent d’autres problèmes, qu’il faut aussi affronter. Après le diagnostic et le deuil, il y a le rééquilibrage de la vie de famille, la difficulté des partenaires à accepter les limitations nouvelles, souvent la déception, la séparation. La perte de l’emploi. Le métier que l’on avait choisi et que l’on exerçait avec plaisir ne convient plus. Il faut repartir à zéro, recommencer une formation. Enfin, il y a l’argent, qui manque souvent. Avec une rente invalidité et des prestations complémentaires, on arrive tout juste à vivre. Beaucoup doivent s’en contenter, sans espoir de pouvoir améliorer leur situation et s’offrir un jour cette petite chose qui fait tellement plaisir et qui console un peu de toutes les autres pertes.

 

Il y a aussi une immense volonté de vivre, l’espoir, le courage de lutter, d’entreprendre, d’aller de l’avant. Y croire, envers et contre tout, et vivre des instants merveilleux, où l’on oublie tout le reste, la douleur, les échecs, l’avenir incertain, en traçant un arc-en-ciel sur une feuille blanche, en pressant sur le déclic de son appareil de photos ou en se promenant avec celui que l’on aime le long de la rivière. La vie est belle.

 

Elle est belle, mais elle n’est pas toujours facile. Les personnes en situation de handicap se heurtent encore à de nombreux obstacles. Si nous ne pouvons pas guérir toutes les maladies, nous pouvons en revanche faire beaucoup pour rendre la vie d’une personne en difficultés plus agréable.

 

Ce qui est le plus important ? Affirmer le droit à la liberté et à l’indépendance. Conserver l’autonomie, autant que possible. Pouvoir s’assumer, se déplacer seul. Aller à l’école, faire les études que l’on a choisies. Habiter dans son propre appartement. Exercer un métier qui convienne. Profiter de loisirs variés, avoir des amis, sortir. Vivre dans la société. Etre accepté.

 

Depuis la création de l’assurance invalidité, en 1960, la réflexion sur le handicap a beaucoup évolué. S’il s’agissait au départ d’assurer le minimum vital à chaque personne handicapée et d’organiser une prise en charge institutionnelle aussi performante que possible, on donne aujourd’hui la priorité à l’intégration sociale et professionnelle.

 

Cette intégration passe par une réflexion approfondie dans plusieurs domaines : l’école, la formation professionnelle, les aménagements urbains, les transports publics, l’accessibilité des bâtiments, la collaboration avec les entreprises, l’amélioration de la compréhension mutuelle et des relations entre personnes avec et sans handicap.

 

Ces dernières années, le travail a essentiellement porté sur l’amélioration de l’accessibilité de la ville, des bâtiments et des moyens de transports. Si tout n’est pas encore réalisé, loin s’en faut, on note cependant une bonne prise de conscience des autorités et des chefs de projets. Au niveau législatif aussi, l’obligation de se préoccuper du sort des personnes à mobilité réduite progresse.

 

Il faut dire que la « mobilité réduite » concerne une très grande partie de la population. Cela dépasse largement le cercle des personnes qui vivent avec une maladie ou les séquelles d’un accident. Les aménagements urbains ou résidentiels que l’on réalise pour les personnes en situation de handicap sont également utiles aux personnes âgées ou fatiguées, aux parents avec poussettes, aux petits enfants ou même aux livreurs ou aux déménageurs. Un ascenseur, une rampe d’accès, une main-courante, des trottoirs abaissés, des portes larges, des distributeurs à bonne hauteur, des bus surbaissés améliorent la qualité de vie de tout un chacun. La ville se met ainsi à la portée de tous ses habitants. Cela contribue à sa convivialité.

 

 

Aujourd’hui, c’est un nouveau défi que nous devons relever : l’intégration professionnelle. Dans ce domaine, tout, ou presque, reste encore à faire.

 

Dans notre pays, comme dans le reste de l’Europe, le nombre de personnes rentières de l’assurance invalidité augmente fortement depuis plusieurs années. Selon l’article 8 de la LPGA (Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales), « est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de langue durée. » L’invalidité se définit comme une incapacité partiel ou complète de gagner sa vie. Elle a donc une relation étroite avec le marché du travail.

 

On avance de nombreuses hypothèses pour expliquer cette augmentation. Du fait qu’elle est générale en Europe, il est probable qu’elle soit due à des faits de société plus qu’à une organisation particulière des assurances sociales. On parle quelquefois de l’AI comme d’une porte de sortie, suite à un chômage de longue durée. C’est parfois vrai,  mais c’est assez rare. En réalité, la plupart des raisons de cette augmentation sont inévitables. Il y a d’abord l’amélioration des soins. Les personnes handicapées vivent mieux et plus longtemps. Elles atteignent maintenant  l’âge de la retraite et posent de nouvelles questions en matière de prise en charge. Il y a ensuite un changement de société. Toutes les personnes handicapées, ou presque, s’annoncent à l’AI. Autrefois, bien des gens ne le faisaient pas, restaient à la maison ou essayaient de se rendre utile dans l’exploitation familiale. Il y a enfin l’augmentation importante des exigences professionnelles. Depuis les années 90, les entreprises sont en concurrence sur le plan mondial. Elles ne peuvent salarier des employés qui ne sont pas parfaitement performants. Des personnes handicapées, qui pouvaient encore exercer un métier autrefois, sont aujourd’hui exclues du marché du travail et doivent recourir à l’AI pour vivre. L’augmentation inquiétante des dépressions, des troubles anxieux et d’autres difficultés psychiques pourrait aussi être mise en relation avec l’accroissement de la pression professionnelle et sociale. Bien d’autres causes peuvent être évoquées. Celles-ci paraissent cependant être les plus générales.

 

 

 

Exercer un métier ? C’est sans doute l’un des plus grands défis que nous devrons relever dans le cadre de la 5ème révision de l’AI, que nous entamons maintenant. Trouver du travail lorsque l’on est en bonne santé et que l’on a une formation solide, n’est pas toujours facile. Comment alors imaginer que des personnes, dont la santé est déficiente, puissent disposer de toutes leurs chances ?  Le marché de l’emploi est très tendu. On parle de 9000 places vacantes pour 200’000 demandeurs d’emplois…

 

« L’intégration prime la rente », c’est le slogan de la politique fédérale en matière d’invalidité. Cela signifie que l’on doit prendre toutes les dispositions utiles pour qu’une personne menacée d’invalidité puisse garder son emploi ou trouver un emploi mieux adapté, avant d’être exclue du marché du travail et de devenir rentière.

 

Comment faire ? La première chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est l’intervention rapide. Ne pas laisser une personne en difficulté s’enfoncer, avant d’intervenir et de lui proposer des mesures de maintien en emploi ou de réorientation.

 

Dès que l’atteinte à la santé est diagnostiquée, la personne doit être conseillée, soutenue dans son entreprise ou dans sa réorientation, si sa maladie ou son accident l’oblige à changer d’emploi. Toute la difficulté réside dans le contact avec l’employeur. Comment le convaincre de faire l’effort nécessaire pour garder et soutenir son employé ? Certains pays ont mis en place des systèmes d’incitation, comme par exemple des rabais sur la cotisation employeur, et des organismes destinés à aider l’employeur dans sa tâche, par exemple en mettant des psychologues à disposition pour soutenir les personnes ayant des difficultés psychiques dans l’entreprise.

 

Maintenir une personne en emploi est fondamental pour lui conserver ses chances de travailler à long terme. En effet, une personne sans occupation pendant des mois ou des années, perd ses compétences et ses possibilités de se réinsérer s’amenuisent. D’où l’idée d’obliger tout le monde à travailler, quel que soit le travail offert. Si l’idée peut se comprendre, l’application est nettement plus aléatoire. Comment mettre à disposition les postes de travail nécessaires pour occuper tous les rentiers AI qui peuvent avoir des activités ?

 

Il sera nécessaire d’inventer de nouvelles formes d’occupation pour les personnes handicapées, par exemple des entreprises de transition, qui emploient des personnes handicapées pendant quelques temps, de manière à remettre à jour leurs compétences, les stabiliser et les préparer à se présenter sur le marché du travail L’entreprises de transition a pour fonction de servir de tremplin pour réinsérer des personnes dans les entreprises. L’entreprise de transition y est incitée par une prime pour chaque personne qu’elle parvient à réinsérer. Elle aura donc avantage à placer autant de personnes que possible pour améliorer son budget.

 

Une idée nouvelle : la personne en réinsertion aura la possibilité de suivre une formation de plus haut niveau que celle qu’elle avait avant sa maladie ou son accident. On part de l’idée que le handicap est discriminatoire sur le marché du travail et qu’il faut donner à chacun un maximum de chances de se réinsérer.

 

Vivre en société et avoir des loisirs : le plaisir de tous les êtres humains, c’est le contact avec les autres. Participer à la vie sociale, sortir, peindre, chanter, faire du sport, chacun y aspire, chacun a ses préférences.

 

Ces éléments forment le centre des revendications des organisations de défense des personnes handicapées depuis plusieurs années. Si le principe est aujourd’hui reconnu, il reste encore bien du chemin à faire pour que tout soit réalisé concrètement. Les transports publics ont vingt ans pour s’adapter. Pour l’instant, même si des progrès sont accomplis chaque jour, se rendre en ville ressemble beaucoup à une course d’obstacles pour nombre de personnes limitées dans leur mobilité.

 

L’assurance invalidité est aujourd’hui en crise. Le nombre de rentiers progresse sensiblement chaque année. Les coûts explosent. Comme nombre d’autres pays européens, nous sommes confrontés à des difficultés de financement. En attendant de trouver une solution, le déficit s’accroît année après année.

 

Si l’on élargit le handicap à toutes les personnes qui ont des difficultés à se mouvoir, alors, la Suisse compte environ 10% de personnes invalides.

 

La Déclaration de Madrid, votée en 2002, lors du Congrès européen sur le handicap, rappelle qu’en matière d’invalidité, le véritable combat se déroule au plan local.  au niveau des problèmes quotidiens. Il s’agit d’intégrer la problématique du handicap dans la politique communale, en particulier en ce qui concerne l’éducation, l’emploi, le logement, les transports, la santé et les services sociaux. Pour cela, il faut rapprocher les personnes handicapées de l’ensemble de la société, créer des occasions de rencontre, de discussion et amorcer la compréhension mutuelle.

 

 

Ce que nous voulons par-dessus tout, c’est le droit à la dignité. Etre socialement accepté. Comprendre, être compris. Faciliter les rencontres, éviter la marginalisation, encourager à sortir, à montrer ce que l’on vit. Entrer en contact avec les autres, partager les joies, les peines, les loisirs, l’emploi. Ce livre va dans ce sens. A travers son témoignage, chacune des personnes, qui a accepté de livrer un petit morceau de sa vie, permet au lecteur valide, de comprendre mieux ce qu’elle vit et ce qu’elle ressent. En se racontant, elle fait un pas vers les lecteurs. Au lecteur ensuite, de faire, lui aussi, un pas à sa rencontre.

 

 

 

 

 

 

tabs-top

Comments are closed.