A quand une enquête sociale

Invalidité – On agite la hausse du nombre et du coût des rentes AI, mais on n’analyse pas les raisons du phénomène, dénonce Gisèle Ory. Sans parler du problème de la réinsertion.

Jeudi, l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) annonçait une hausse globale des rentes AI, doublée d’un déficit record de 1,2 milliard pour 2004. Peu avant, la commission de gestion (CdG) du Conseil des Etats dénonçait une surveillance très insuffisante de l’AI par l’Ofas et le Conseil fédéral. Membre de la CdG, Gisèle Ory (soc/NE) s’insurge.

 

– Pourquoi ne vous êtes-vous pas opposée au rapport de la CdG?

 

– Parce que ses recommandations ne sont pas malvenues. Pourquoi ne pas mieux coordonner l’activité de l’Ofas et des offices cantonaux AI, améliorer les bases de données, uniformiser les pratiques? Tout cela peut être fait. Notons au passage que le Parlement a voulu laisser une bonne marge de manœuvre aux cantons: difficile de leur reprocher aujourd’hui de l’utiliser.

 

Mais le problème, c’est que l’objectif de ces propositions, c’est de faire baisser le nombre de rentes, donc les coûts. Or la hausse ininterrompue depuis 15 ans ne fait l’objet d’aucune analyse approfondie. Même le programme national de recherche consacré à ce sujet, ne donne pas les clés du phénomène. On constate des symptômes et on mentionne quelques causes possibles.

 

– Dans quelle direction chercher?

 

– Traditionnellement, l’AI bénéficiait aux personnes souffrant d’un handicap physique. Aujourd’hui, 80% des rentes sont accordées pour maladie et, pour un tiers des nouvelles rentes, il s’agit de maladies psychiques. Et les rentiers sont de plus en plus jeunes. Il me semble qu’une analyse sociale de cette évolution serait plus utile qu’une attaque contre l’Ofas. Ce n’est pas une réorganisation administrative qui fera baisser le nombre de malades.

 

Un tel travail est difficile, puisqu’on manque de données. Il faut passer par une étude de cas, décrire des trajectoires individuelles, pour voir où se situent les problèmes. On sait que les gens sont de plus en plus stressés au travail. Une étude récente de l’OFS le démontre. (…) Beaucoup refusent de l’admettre et, quand arrive la dépression, c’est trop tard. On passe par l’assurance  maladie, (…) puis l’AI.

 

-Ce serait la cause principale?

 

– Une cause importante sans doute (…). Depuis le début des années 90, la mondialisation entraîne une concurrence qui laisse peu de possibilités aux employeurs. Ils ne peuvent garder des employés non rentables. Les employeurs comme les employés sont fortement mis sous pression. On soupçonne certaines entreprises d’avoir procédé à des restructurations et de s’être débarrassées d’employés sur le dos de l’AI. On pense en revanche (…) que le transfert du chômage vers l’AI n’est pas très significatif. (…). Il ne s’agit pas de diaboliser les entreprises, pas plus que l’Ofas, mais on n’améliorera pas la situation si on s’en tient à des intuitions ou des soupçons sur les causes réelles.

 

– Vous pensez à la 5e révision de l’AI, dont le Parlement est saisi?

 

– Oui, dans la mesure où ce projet insiste sur deux points: d’une part, la détection précoce des cas d’invalidité potentielle et, d’autre part, la priorité au maintien ou à la réinsertion dans le monde du travail. La détection peut être améliorée par une coordination plus systématique des assurances sociales. Mais comment assurer le maintien et la réinsertion au travail?

 

Là aussi, l’analyse sociale de l’évolution de l’AI serait précieuse, pour définir le type de travail qui conviendrait une part fragilisée de la population. Il faudra par exemple développer le temps partiel, le partage des postes, l’assouplissement des rentes AI pour que le travail reste attractif et qu’on puisse moduler la rente en cas de maladie cyclique. Mais ça ne suffira pas.

 

– C’est-à-dire?

 

– Les entreprises n’étant pas à même de résoudre seules le problème, il faudra d’autres mesures: la contrainte ou l’incitation. Soit on fait comme en France, par exemple, où une entreprise de plus de 20 personnes est tenue d’employer au moins 7% d’handicapés, soit on offre des facilités aux entreprises qui jouent le jeu. Mais, dans un cas comme dans l’autre, on n’échappera pas à une politique volontariste de la part de l’Etat.

 

Ce ne sera pas simple. Il y a, en gros, quatre fois plus de demandeurs d’emploi que de places à repourvoir. S’il est probable que la priorité soit accordée aux chômeurs, cela signifie qu’il faudra créer un autre type d’emplois pour les personnes handicapées, sans oublier les gens astreints au service civil, l’occupation de requérants d’asile, etc. Avec le risque d’emplois artificiels, ou en concurrence avec l’économie.

FNU

 

 

 

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