Autodétermination des personnes handicapées psychiques

Mesdames, Messieurs,

Les organisateurs de ce certificat postgrade interprofessionnel en psychiatrie sociale ont eu l’amabilité de m’inviter à prendre la parole sur le rapport entre les personnes handicapées psychiques et les travailleurs sociaux, sous l’angle de l’autodétermination.

 

Je dois avouer que c’est pour moi un défi, mais comme j’ai imprudemment dit oui, je vais aujourd’hui essayer de le relever.

 

C’est un défi, pour plusieurs raisons :

 

Tout d’abord, je ne suis pas travailleuse sociale et je n’ai pas l’expérience du terrain que vous avez.  Vous me pardonnerez donc de devoir recourir parfois à vos exemples pratiques pour alimenter la discussion.

 

Deuxièmement, je ne suis pas enseignante et vous ne trouverez peut-être pas en moi les qualités pédagogiques de vos enseignants habituels.

 

J’espère seulement que je pourrai vous apporter autre chose, de différent. Je m’appuie sur le fait que vous faites un certificat interprofessionnel. L’intérêt d’un certificat interprofessionnel, c’est justement la confrontation entre différents points de vue, différentes cultures professionnelles. Je vous amènerai donc une réflexion venant d’une autre profession, puisque je suis politologue de formation, directrice d’une association d’aide aux personnes handicapées et politicienne engagée dans le domaine social. Ma tâche est donc d’observer ce qui se passe autour de moi et de traduire dans des lois aussi bien adaptées que possible, les besoins que je constate. Ce n’est pas une tâche facile, car il n’y a jamais deux cas semblables, ni deux besoins tout à fait pareils, ni deux attentes identiques. Il faut chercher un commun dénominateur à des cas différents et le traduire en texte législatif. Les obstacles sont nombreux, vous vous en doutez.

 

 

 

 

 

  1. Il faut tout d’abord s’appuyer sur des règles fondamentales, comme le respect de la personne.

 

  1. La maladie psychique pose des problèmes particuliers, car la volonté de la personne est quelquefois difficile à évaluer. Il faut donc essayer de déterminer ce que veut la personne aussi bien que possible. Pour cela, il faut utiliser des procédures qui vont permettre à la personne de s’exprimer aussi librement que possible. Actuellement, la réflexion en matière de législation va dans cette direction. Elle essaie de trouver quelles sont les procédures à respecter pour protéger la volonté de la personne.

 

 

 

La santé psychique

 

Les études épidémiologiques nationales et internationales réalisées durant les dernières décennies montrent que presque une personne sur deux est atteinte une fois dans sa vie, plus ou moins longuement d’une maladie psychique. Selon certaines études, 20 à 25% souffre chaque année d’un trouble psychique correspondant à un diagnostic reconnu. Enfin le nombre de personnes au bénéfice d’une rente de l’assurance invalidité en raison de maladies psychiques augmente de manière continue depuis 1986. On comprend dès lors pourquoi, alors que la santé psychique a été passablement délaissée dans les politiques sanitaires antérieures, elle devient aujourd’hui un thème prioritaire. La stratégie nationale visant à protéger, promouvoir, maintenir et rétablir la santé psychique de la population en Suisse, parue en 2004 est basé sur les valeurs énoncées par la constitution fédérale et la convention européenne des droits humains, telles l’autonomie, l’égalité des chances, la tolérance, la solidarité et l’intégration sociale.

 

La santé psychique est envisagée comme le résultat d’interactions diverses et ne relève pas exclusivement de l’individu lui-même et de son comportement, mais également de facteurs socio-économiques, culturels et écologiques. Les conditions positives de la santé psychique sont réunies lorsque les ressources personnelles, sociales et matérielles sont disponibles en suffisance pour permettre de maîtriser les exigences et les contraintes personnelles,  sociales et professionnelles.

 

 

 

 

La règle de base de l’action sociale : « aider sans nuire »

 

Le fil rouge de ces lignes est le suivant : toute l’action sociale doit se faire guider par le souci de chercher à aider la personne handicapée sans nuire à sa personnalité.

 

J’ai emprunté cette formule au titre d’un livre de Suzanne Lamarre, de 1999 : « Aider sans nuire, de la victimisation à la coopération » et à une conférence du professeur Previtali sur le thème de l’aide aux personnes handicapées. Dans son livre, la psychiatre canadienne s’interroge sur les effets négatifs de l’intervention sur la personne hospitalisée. Dans son analyse, elle dénonce le fait que les professionnels de la santé ont encore trop souvent tendance à materner le patient et à le considérer comme un simple objet de l’acte thérapeutique.

 

La formule « agir sans nuire » m’a tout de suite plu et il me semble qu’elle est aussi applicable au travail social. Elle rappelle aux professionnels du social que leur rapport avec les personnes handicapées doit se baser sur une règle éthique assez simple : la personne handicapée a le droit d’attendre du travailleur social qu’il ne lui porte pas préjudice et qu’il respecte sa liberté. Sans cette base éthique, il ne peut pas y avoir de relation de confiance entre les deux parties.

 

Or on sait que le travail social ne s’est pas toujours rendu compte des implications de cette base éthique et qu’il a parfois contribué, avec d’autres disciplines, à restreindre les chances des personnes handicapées de mener une vie normale.

 

On peut nuire, à travers l’aide que l’on fournit, soit par excès, soit par manque. D’une part on peut aider une personne handicapées psychique de telle manière qu’elle ne se sente plus responsable de sa vie, mais qu’elle se repose entièrement sur la personne qui la prend en charge et d’autre part, on peut l’abandonner totalement, et ne pas lui permettre de reprendre en mains sa vie. Nous naviguons ainsi entre Charybde et Scylla, tout en cherchant quel est le juste milieu. Et le juste milieu ne se laisse pas tracer avec une simple ligne rouge. S’il doit être défini de manière aussi claire que possible par le droit, en revanche, il ne peut se définir que de cas en cas par le travail social. Il vous incombe donc une grande responsabilité, en tant que travailleur social, celle d’évaluer ce qui peut aider ou nuire à la personne avec laquelle vous collaborez.

 

 

Parlons d’abord de Charybde : vous connaissez tous et toutes déjà les abus liés aux politiques en vogue jusqu’à la moitié du 20ème siècle, qui ont permis la ségrégation de nombreuses générations de personnes handicapées dans des structures plus ou moins totalitaires, qui étaient le plus souvent soustraites à toute forme de contrôle. Plusieurs auteurs l’ont dénoncé, dont Michel Foucault notamment. Nous n’en sommes plus là heureusement. Nous avons vécu, je l’espère, la fin du paternalisme social, qui consiste à savoir mieux que la personne elle-même, ce qui est bon pour elle.

 

Cependant, aujourd’hui encore, 20’000 personnes handicapées vivent dans des institutions plus ou moins ouvertes et donc plus ou moins fermées, sur la société. Il n’est donc pas forcément faux de se poser la question de savoir jusqu’où il est bon de mettre une personne dans une institution, même pour lui faciliter la vie et à partir de quand, on lui nuit en essayant de l’aider. Le livre qui est devenu une référence dans ce domaine, l’éloge de la faiblesse, d’Alexandre  Jollien est une excellente lecture pour éclairer ce domaine. Il décrit comment il a été élevé dans une institution protectrice et comment il a fallu qu’il lutte pour avoir le droit et la force de se frotter au monde extérieur. Il est un fervent adepte du moins d’institution et prône l’éducation à l’air libre, même si c’est quelquefois dur pour la personne différente. C’est le seul moyen, pense-t-il d’apprendre à se dépasser.

 

Parlons ensuite de Scylla : D’après la définition de l’OMS, le handicap doit être mis en relation avec un environnement. On est dans une perspective systémique. Il y a handicap, lorsqu’une personne n’est pas en mesure d’assumer les tâches essentielles de la vie courante et de s’insérer dans la société. Si on le considère de cette manière, le handicap, n’est pas un problème individuel, mais un problème social. Il peut apparaître ou disparaître selon l’environnement. On peut traduire cela par Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ! C’est ainsi par exemple qu’une personne en chaise roulante subit un handicap si elle est confrontée à une barrière architecturale, mais n’est pas en situation de handicap si elle se déplace dans un milieu tout à fait plat.

 

Il faut cependant être conscients que l’application de la méthode systémique a des limites. On peut se rappeler par exemple les excès de certains courants de l’antipsychiatrie, qui ont relativisé de manière si importante l’existence de la maladie psychique, qu’ils ont été jusqu’à nier leur existence, et indirectement les besoins de la personne malade. D’après cette approche, la folie est un produit social qui peut être soigné seulement dans le système social dont il est le résultat. L’idée de base, c’est que le système social ne crée pas plus de problèmes que ceux qu’il est en mesure de résoudre. Pour aider vraiment une personne, il faut donc essayer de l’aider le moins possible. Toute intervention externe au système social a comme résultat de compliquer les équilibres internes et donc de rendre plus difficile l’intégration de la personne malade.

 

Il faut donc toujours chercher le bon chemin entre l’aide et la responsabilisation de la personne handicapée. Le slogan : respecter l’autonomie et la liberté de la personne handicapée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que l’autonomie de la personne ?

 

Respecter la personne, c’est lui permettre de s’épanouir par ses propres moyens. Depuis un certain nombre d’années on souligne l’importance de promouvoir et respecter l’autonomie des personnes handicapées. Cette idée est aussi partagée, souvent sous la forme d’une véritable revendication, par de nombreuses personnes handicapées.

 

La promotion de l’autonomie de la personne handicapée est certainement positive et représente un des piliers de toute politique sociale moderne. Il faut toutefois préciser le contenu de la notion d’autonomie.

 

L’autonomie n’est pas synonyme d’anomie. L’étymologie du terme autonomie est connue. Autonomie signifie auto-nomos : c’est-à-dire la capacité pour l’individu de se donner des règles de comportement à lui-même. L’autonomie n’est pas une absence de règles. Défendre l’autonomie de la personne handicapée, ne signifie pas que l’on prône une liberté totale et le refus d’assumer son rôle social, car si c’était le cas, il y aurait risque que la personne handicapée ne se retrouve à l’écart de la société dont elle ne veut pas appliquer les règles et qu’elle ne puisse plus s’y intégrer.

 

Les professionnels du social doivent donc reconnaître qu’une personne à part entière est une personne qui cherche à s’assumer et à prendre ses responsabilités.

 

Se pose la question maintenant de savoir comment aider les personnes handicapées à exercer leur autonomie. La base de la réflexion est d’aider la personne handicapée à passer de la passivité à l’affirmation de soi. Autrement dit, il faut aider les personnes handicapées à prendre ou reprendre en main un certain pouvoir sur leur environnement et sur ce qui peut influencer leur vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’autodétermination

 

Le concept d’autodétermination est apparu récemment dans le domaine du handicap. En fait, le terme d’autodétermination ne vient pas du domaine médical, mais du domaine politique. On l’a utilisé jusqu’à maintenant essentiellement pour parler du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. On a parlé d’autodétermination par exemple dans l’affaire jurassienne, quand il s’est agi de permettre à la population des districts francophones du Jura de décider en votation de leur rattachement ou non au nouveau canton du Jura.

 

Dans le domaine psychologique, on définit l’autodétermination comme la capacité d’agir par soi-même et en totale volonté, c’est-à-dire de pouvoir décider d’une chose sans contrainte extérieure. J’ai pu lire dans Pages romandes, que Bengt Nirje écrivait déjà en 1972 que « une des facettes majeures du principe de normalisation est de créer les conditions par lesquelles une personne handicapée expérimente le respect normal qui est dû à tout être humain. Pour cela les choix, les souhaits, les désirs, et aspirations doivent être pris en considération autant que possible dans les actions qui la concernent…. En cela la route de l’autodétermination est, à la fois, la plus difficile et la plus importante pour une personne handicapée. »

 

Cet homme a visé juste, car actuellement, cette notion est sur le devant de la scène et l’un des fondements du travail social avec les personnes handicapées. Cela correspond à l’évolution du regard que nous portons sur les personnes handicapées. Nous voulons aujourd’hui, non plus traiter avec charité, mais traiter en égal les personnes handicapées. Les nouvelles lois, dont je vous ai parlé tout à l’heure en sont l’expression politique.

 

L’autodétermination se définit maintenant comme la possibilité « d’agir directement sur sa vie en effectuant librement des choix non influencés par des agents externes indus ».

 

Il y a donc possibilité de choix et autonomie du choix. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune intervention externe, mais cela signifie que les interventions externes, informations ou conseils, sont acceptés par la personne et reconnus comme tels. Cela ne veut pas dire non plus que la personne doit être totalement indépendante. Il se peut qu’elle doive recevoir une aide particulière pour certaines activités, mais cela veut dire qu’elle sait choisir cette aide et l’accepte. La personne autodéterminée se fixe des buts, choisit les moyens de les atteindre, connaît ses limites et sait à qui elle doit recourir pour les atteindre. L’autodétermination s’apprend donc peu à peu au cours de la vie, elle ne se décrète pas. Les choix qui sont faits peuvent être bons ou mauvais, ils peuvent mener au succès ou à l’échec, mais ce sont les choix de la personne elle-même et c’est avec ces choix qu’elle construit son expérience et sa vie. Le degré d’autodétermination dépend donc des capacités personnelles d’un individu, mais il peut être développé.

 

Et surtout, les choix doivent être acceptés et respectés par l’entourage, et c’est là que commencent les difficultés, car de nombreuses personnes de l’entourage, estiment toujours que le choix qu’elles font elles-mêmes est meilleur pour leurs proches que le choix que ceux-ci font… C’est alors la capacité de décider de la personne qui est remise en cause. Qu’en penser ? En tant que travailleurs sociaux, je pense que nous avons la responsabilité d’aider ceux dont nous nous occupons à acquérir une aussi grande capacité d’autodétermination que possible. Cela ne va pas sans l’acceptation d’un certain risque, maîtrisé évidemment, car comme le relevait Perske, « Dénier à quelque personne que ce soit ce risque expérientiel, c’est infirmer sa santé mentale ».

 

Les outils légaux

 

Pour cela, nous avons un certain nombre d’outils, des outils légaux et des outils de travail social, que vous utilisez certainement vous aussi.

 

Les outils légaux, ce sont les prestations de l’AI qui veulent que la personne handicapée puisse subvenir à ses besoins : rente AI, allocations d’impotence, prestations complémentaires, moyens auxiliaires, adaptation de l’appartement et de la place de travail, formation professionnelle. Tous ces éléments concourent à donner à la personne handicapée le maximum d’autonomie possible. La 4ème révision  de la LAI a introduit le doublement de l’allocation d’impotence et l’allocation d’assistance pour permettre à la personne handicapée d’engager elle-même les auxiliaires de vie dont elle a besoin et de devenir elle-même employeuse et donc gestionnaire de sa propre vie. La Lhand oblige à rendre accessibles les transports publics, les bâtiments et la ville en général. C’est une manière de redonner aussi de l’indépendance aux personnes handicapées qui peuvent ainsi vivre de manière autonome et se déplacer sans l’aide de personne.

 

Je vais allonger un peu plus sur une autre révision du droit, qui est en cours et  qui concerne aussi les personnes handicapées mentales ou psychiques, c’est le droit de la tutelle. J’appuie particulièrement sur cet objet, parce que je sais que dans le travail social, la tutelle peut être une tentation et que je pense que c’est là un problème grave, du point de vue de l’autonomie de la personne.

 

La tutelle et la curatelle font l’objet des articles 360 à 456 du code civil. Le code civil a bientôt 100 ans et n’est plus adapté à notre culture actuelle. Le droit de la tutelle est resté quasiment inchangé depuis son entrée en vigueur en 1912. Il est nécessaire qu’il soit revu, mais c’est un vrai serpent de mer. La révision du code civil a été initiée en 1963 au Conseil national, puis on y a retravaillé dans les années 90. On a remis l’ouvrage sur le métier en 2002. Finalement, on a envoyé un projet en consultation en 2004, mais le DFJP ne prévoit pas d’écrire son message avant 2006… C’est que certains aspects du projet font l’objet de critiques nourries. Ce sont avant tout les coûts supplémentaires que pourrait engendrer la révision qui suscitent des inquiétudes. La révision voulait accorder plus d’importance à l’autodétermination de la personne et mieux adapter la curatelle à chaque cas. La curatelle pourrait s’opérer sous forme de mission précise, si quelqu’un a besoin uniquement d’une aide dans un domaine particulier, mais est capable de gérer l’ensemble de sa vie.

 

Dans le cadre de la procédure de consultation, on a pu voir que l’objectif principal de la révision, qui est de renoncer à imposer des types prédéterminés de mesures administratives comme l’interdiction, le conseil légal et la curatelle pour passer à un système de mesures personnalisées, rencontre une large approbation. La grande majorité des organisations interrogées salue également les mesures anticipées visant à favoriser l’autonomie des individus, à savoir le mandat pour cause d’inaptitude, le mandat dans le domaine médical et les directives anticipées du patient. Est également accueillie positivement la renonciation à l’autorité parentale prolongée au profit de la création d’une curatelle pour les proches avec des privilèges spécifiques, qui protège mieux les intérêts des jeunes en difficultés.

 

Le droit de la tutelle et de la curatelle a une influence directe sur l’autodétermination de la personne. En effet, la tutelle, comme la curatelle sont des mesures qui sont décidées par le juge. Elles sont donc lourde. La personne doit passer devant un juge et est déclarée inapte à gérer sa propre vie. C’est en général pour un temps assez long, voire définitif. C’est une mesure très dure pour la personne.

 

A l’heure actuelle, le nombre de personnes sous tutelle a tendance à croître. Je pense que l’on demande trop facilement des mesures tutélaires. Il y a plusieurs raisons. D’une part, on pallie le manque de structures d’accueil pour personnes en difficultés. D’autre part, les services sociaux privés et publics se débarrassent de clients lourds sur l’Office des tutelles, au lieu de s’efforcer de leur redonner la possibilités de se gérer eux-mêmes. Je parlerais du syndrome assez typique du travailleur social : il apprécie la relation d’aide, mais déteste le suivi administratif et cherche parfois à s’en débarrasser sur le tuteur ou le curateur. C’est une attitude très dommageable autant du point de vue économique, car ce n’est pas gratuit, que du point de vue éthique et déontologique, car la mesure tutélaire devrait toujours être considérée comme une mesure ultime (ultima ratio), vu son impact sur l’autonomie de la personne, et non une mesure de confort pour l’assistant social. A cela s’ajoute que c’est pas sympa pour les copains, car les curateurs et tuteurs de l’office des tutelles, c’est aussi des assistants sociaux qui préfèrent la relation d’aide, mais eux, ils n’ont pas le choix quand on leur colle un suivi adminsitratif…

 

On peut d’ailleurs se demander si la mesure de tutelle telle qu’elle est prévue actuellement en droit suisse est vraiment compatible avec les droits de l’homme. Il faut donc être très prudent avec cet outil et ne pas l’utiliser de manière trop facile. Il ne faut pas oublier que c’est une sanction de la justice. Pourquoi soumettre à une sanction de la justice une personne avec qui la collaboration est bonne ? Elle doit donc être réservée à des cas vraiment ingérables.

 

Je suis assez stricte avec les assistants sociaux sur ce point. Je pense qu’un service extérieur comme le nôtre est justement là pour éviter qu’une personne ne soit mise sous tutelle. Il doit lui apporter l’aide ponctuelle dont elle a besoin pour assumer ses responsabilités.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’aide et l’autonomie

 

D’une manière générale, cela veut dire que la personne doit demander elle-même de l’aide. Elle doit être informée que la possibilité d’aide existe, mais elle ne doit pas être démarchée.

 

Deuxièmement, l’aide qui lui est apportée ne doit pas aller plus loin que ce qui est demandé. Si elle demande une aide pour une démarche auprès d’une assurance sociale, il ne faut pas lui proposer d’aide au budget, même si on trouve que le sien est déficitaire et qu’elle ferait bien de déménager, mais seulement lui dire quels sont les services qu’on peut lui offrir et qu’on reste à sa disposition si elle a des questions. C’est elle qui choisit jusqu’où elle veut aller avec nous.

 

Troisièmement, il ne faut pas rappeler une personne qui n’a plus donné signe de vie depuis des mois, sous prétexte que l’on s’inquiète pour elle. C’est à elle de déterminer si elle veut nous voir ou non, si elle sait que l’on existe.

 

Si le cas est difficile et qu’on prévoit une aide de longue durée, il faut fixer des étapes et si possible, fixer des objectifs d’entente avec la personne, en lui donnant la responsabilité d’atteindre certains de ces objectifs dans des délais déterminés. C’est le contrat d’objectifs, que vous connaissez sûrement. On ne devrait pas faire de gestion au long cours, sans contrat d’objectifs, qui représentent des étapes à franchir et qui permette à la personne de reprendre peu à peu la responsabilité de ses affaires.

 

C’est particulièrement important pour les personnes handicapées psychiques, qui sortent de l’hôpital après une dépression et qui ont tout laissé aller depuis plusieurs mois. Elles arrivent chez nous avec deux sacs Migros de factures et de rappels et nous les remettent en nous disant : « débrouillez-vous ! ». Il y a à trier les factures ensemble, à les classer, à les examiner et à préparer les bulletins de versement ensemble, à faire éventuellement des tranches correspondant au budget, etc.  de manière à ce que la personne voie que ce n’est pas insurmontable et qu’elle peut le faire. On se donne deux, trois ou quatre mois pour revenir à un flux de paiements normal. On ne trie pas les factures à la place de la personne, même si ça donne plus de travail.

 

 

 

 

 

 

Directives anticipées en cas de troubles psychiques

 

Nous allons maintenant parler d’un cas particulier : la possibilité d’écrire des directives anticipées pour les personnes atteintes de troubles psychiques, afin qu’en cas de perte de discernement, leur volonté puisse être respectée aussi bien que possible. Cela fait aussi partie de l’autodétermination du patient.

 

Je vous en parle, car je pense que vous pourriez être amenés à être la personne de confiance sur laquelle l’un ou l’autre de vos clients désire se reposer et que vous pourriez être désigné comme représentant thérapeutique. Vous pourriez aussi être amenés à conseiller ou à aider quelqu’un à rédiger de telles directives. Si les directives existent déjà, vous pourriez aussi être tenus de les respecter et de les faire appliquer. Ce n’est pas encore un cas très courant, mais cela peut arriver. C’est une nouveauté dans le droit, qui nécessite une certaine vue à long terme de la part du malade. C’est donc rare, mais c’est quand même une possibilité légale dans plusieurs cantons, qui pourrait même être encouragée.

 

 

 

Les directives anticipées sont l’expression d’une volonté libre et éclairée devant être prise en compte en cas d’incapacité de discernement. Elles ont pour but de régler une situation qui pourrait se présenter dans le futur alors que la personne ne serait plus en mesure de se faire valablement entendre faute de capacité de discernement. Les directives anticipées servent à exprimer la volonté du patient quant à ses intérêts sanitaires ou financiers.

 

On estime qu’une personne est incapable de discernement lorsque, en raison d’un trouble psychique, elle n’est plus en mesure d’apprécier le sens et les effets d’un acte ou lorsque toujours en raison d’un trouble psychique, elle ne peut pas agir librement en se fondant sur une appréciation libre et éclairée de la situation.

 

L’incapacité de discernement est déterminée par un médecin et peut être contestée devant un juge. L’évaluation de l’incapacité peut être très nuancée, car une personne peut être tout à fait capable de mener une partie de sa vie, mais perdre pied dans une autre. La maladie psychique en soi n’est pas une cause d’incapacité.

 

Le patient peut désigner un représentant thérapeutique, qui est une personne en qui il a confiance, qui sait quelle est sa volonté et qui s’engage à la faire respecter le moment venu. Il faut donc que cette personne soit toujours informée de la situation du patient et d’un éventuel changement de volonté. Cette personne peut être désignée par mandat ou être indiquée dans les directives anticipées.

 

Les directives anticipées concernent surtout le choix d’un traitement ou la volonté de ne pas être traité, le choix d’une médication, des questions financières ou d’organisation de la vie courante (s’occuper du chat ou relever le courrier pendant une hospitalisation par exemple). Si les directives ne prévoient pas tout, il est possible qu’un curateur soit nommé pour prendre les décisions complémentaires pour lesquelles aucune volonté n’a été émise. On ne peut évidemment pas obliger quelqu’un à pratiquer un traitement qu’il ne connaît pas, à ne pas soigner un patient en grand danger ou à pratiquer une euthanasie. Les directives doivent être parfaitement conformes à la loi en vigueur, sans quoi, elles ne pourront pas s’appliquer. S’il y a un doute sur la faisabilité d’une volonté exprimée, mieux vaut le lever tout de suite et poser la question à qui de droit. Il vaut mieux corriger quelque chose plutôt que de ne pas pouvoir l’appliquer.

 

Il faut que les directives soient rédigées par la personne elle-même. Il est peu probable que des directives pré-rédigées par une association correspondent aux vœux du malade.

 

Pour qu’elles soient valables il faut :

 

–         que le patient les rédige lui-même et qu’il soit clair dans ce qu’il veut ; il est peu probable que des directives pré-rédigées par une association correspondent aux vœux du malade

–         qu’il soit capable de discernement au moment où il le fait

–         que sa volonté soit libre et éclairée, qu’il dispose de toutes les informations dont il a besoin pour prendre sa décision

–         qu’elles soient récentes (Pro Mente Sana propose de les réactualiser tous les ans).

–         Qu’elles soient connues de ceux qui doivent les appliquer.

 

Pro Mente Sana a édité une brochure très claire et très simple d’accès qui dit tout ce qu’il faut savoir sur ces directives. Il y a quelques particularités cantonales que vous trouverez aussi dans cette brochure.

 

 

Hospitalisation en milieu psychiatrique

 

Quelques mots pour terminer sur une réforme du droit importante. Elle est cantonale et je ne sais pas si tous les cantons ont déjà procédé à ce toilettage de leur loi sur l’hospitalisation sous contrainte.

 

Le principe de base, c’est que les libertés fondamentales et les droits des patients sont garantis aux patients hospitalisés en milieu psychiatrique. Le principe qu’il n’y a aucune raison de traiter différemment le malade psychiatrique et le malade somatique est en train de faire du chemin dans les milieux politiques. le patient psychique n’est pas une catégorie particulière de patient. La pathologie seule ne constitue jamais une condition justifiant de restreindre les droits fondamentaux de la personne et les principes juridiques applicables à une relation thérapeutique sont les mêmes que pour tout patient somatique. Il est clair que le fait de souffrir d’une maladie psychique ne supprime pas la capacité d’autodétermination. Elle n’implique pas automatiquement une incapacité de discernement au sens de l’article 16 CC. Si le patient est capable de discernement, sa volonté doit être suivie, dès qu’elle apparaît libre et éclairée. Est considéré comme capable de discernement celui qui a la faculté d’agir raisonnablement, c’est-à-dire celui qui comprend le sens, l’opportunité et les effets d’un acte déterminé et possède la faculté d’agir en fonction de son appréciation selon sa libre volonté selon l’art. 16.

 

L’hospitalisation forcée et les mesures médicales coercitives constituent une lourde atteinte à la liberté personnelle et nécessitent des bases légales formelles au sens de l’article 10 de la constitution et de l’article 28 CC. Il ne peut être fait abstraction du refus du patient incapable de discernement qu’à des conditions très restrictives comme par exemple :

 

–         son comportement présente un danger grave pour sa sécurité, sa santé ou  celles des autres personnes

–         il n’y a pas d’autres mesures moins coercitives ou bien elles ont échoué

–         la mesure est nécessaire au traitement

–         le patient détermine lui-même les personnes qui doivent être informées de ce qu’il subit

–         le bien fondé des mesures est réévalué régulièrement

–         les mesures peuvent être contestées en tout temps par un proche ou le représentant thérapeutique ou légal.

 

 

 

Ce que l’on peut dire d’une manière générale, c’est que la conscience que nous avons de la liberté des patients va en s’affirmant d’année en année et que le droit traduit cette préoccupation en étant de plus en plus restrictif quant aux mesures coercitives à l’égard des patients.

 

 

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