Procédures de l’assurance invalidité

Monsieur le Président,

Monsieur le Conseiller fédéral,

Chers Collègues,

 

Je vous propose de ne pas entrer en matière sur cette modification législative. Elle remet en question des années d’effort en matière de coordination du droit des assurances sociales, elle limite les droits des assurés, sans pour autant atteindre le but qu’elle vise, car rien ne dit qu’elle permettra d’accélérer la procédure.

 

Coordination des assurances sociales

 

Il a fallu 20 ans pour mettre en place une coordination entre les assurances sociales. Le Parlement, et certain d’entre vous y en étaient déjà membres, a estimé qu’elle était nécessaire. Aujourd’hui, sans l’avoir mise à l’épreuve, sans s’être donné le temps d’analyser correctement la situation, on y renonce déjà, pour des raisons qui n’existent pas et dans un but qu’on va manquer…

 

La procédure d’opposition selon la LPGA a été introduite le 1er janvier 2003 seulement, pour les décisions rendues après cette date. Pour les décisions rendues avant l’entrée en vigueur de la LPGA, ce sont les anciennes dispositions qui continuent d’être appliquées.

 

Le contentieux AI est très complexe, si bien qu’il met beaucoup de temps pour arriver au TFA. Les chiffres transmis par les cantons sont éloquents. A part Zürich, qui a peut-être accumulé  du retard dans le traitement du contentieux, tous les cantons connaissent des baisses du nombre des recours dans l’AI. Cependant, cette baisse ne sera perceptible au niveau du TFA qu’à la fin de cette année. Les chiffres qui ont donc été donnés par le Conseiller fédéral devant le Conseil national ne sont donc pas significatifs de la nouvelle procédure introduite par la LPGA, mais encore partiellement de l’ancienne.

 

En outre, une bonne partie de l’accroissement des recours est à attribuer non pas au système judiciaire, mais à l’augmentation considérable des refus de prestations de l’AI, prononcés depuis deux ans. Parmi les personnes qui essuient des refus, 9 sur 10 recourent. Elles sont encouragées à le faire, non pas parce que recourir est simple ou bon marché, mais parce qu’elles savent que nombre de décisions sont contestées par les tribunaux et qu’elles ont quelque chance d’obtenir gain de cause.

 

En réalité, la LPGA devrait plutôt induire une baisse du nombre de recours, mais le message a été écrit beaucoup trop tôt pour pouvoir la mettre en évidence. Nous sommes en train de condamner la LPGA, avant qu’elle n’ait déployé ses premiers effets !

 

Cela n’a pas de sens.

 

Or la LPGA présente quand même certains avantages. Le droit d’être entendu est mieux garanti dans la procédure d’opposition. Le Conseil fédéral le reconnaît lui-même.

 

 

Suppression de la gratuité

 

Quant à la suppression de la gratuité des frais de procédures, elle ne permettra pas de raccourcir la procédure, elle coûtera cher aux cantons, elle ne découragera probablement personne et elle introduit une inégalité de traitement.

 

Les demandes d’assistance judiciaire gratuite seront plus nombreuses et devront être traitées aussi. Cela rallongera la procédure.

 

Il y a des assurés qui sont à l’aise, mais ils ne sont pas nombreux. En réalité, une grande partie des assurés sont au services sociaux quand ils font une demande de rente AI. Les quelques milliers de francs que l’on gagnera au détriment des assurés nantis, on le perdra en payant l’assistance judiciaire aux autres et en engageant quelques juges cantonaux de plus. Prenons les chiffres neuchâtelois : l’augmentation du nombre de cas au niveau du tribunal cantonal nécessitera selon nos calculs l’engagement d’un juge supplémentaire à 170’000.- par an, tandis que l’avance de frais ne rapportera que 40’000.- bon an mal an.

 

Des expériences ont déjà été faites dans d’autres domaines. Les avances de frais dans la procédure en matière de circulation routière n’ont pas sensiblement influencé le nombre de recours.

 

En outre, dans le cas de l’AI, les assurés qui sont à l’aise ne renonceront pas à faire recours pour quelques centaines de francs d’investissement. Les éventuels recourants téméraires non plus. Ceux qui renonceront à faire recours, pourraient bien être ceux et celles qui ont le plus besoin de prestations de l’AI. C’est-à-dire ceux et celles qui sont le plus malades, le moins combatifs, le plus pauvre.

 

La gratuité de la procédure est une garantie d’un accès égal de tous les citoyens à la justice. Que l’on veuille diminuer les droits des citoyens dans un domaine aussi important, puisqu’il détermine les revenus à long terme des personnes concernées et le maintien de leur indépendance économique, est plus que discutable.

 

Cependant, si l’on estime qu’il faut abandonner la gratuité des recours, alors il faut le faire par une révision de la LPGA, sans quoi, on introduit une inégalité de traitement inadmissible entre les assurés AVS et AI par exemple.

 

Utilité des recours

 

Le meilleur moyen de diminuer le nombre de recours, c’est d’exiger des OAI des décisions irréprochables. Or cette qualité est loin d’être atteinte à l’heure actuelle. Preuve en est que les tribunaux acceptent un grand nombre de recours : 40% au niveau des TC et 34% au niveau du TFA.

 

On peut même s’attendre à ce que ces chiffres augmentent encore, car le Conseil fédéral nous annonce que le nombre de nouvelles rentes octroyées baisse. 7% durant le premier semestre 2005, par rapport au premier semestre 2004. Les OAI répondent ainsi aux pressions politiques qui s’exercent de manière inadmissible contre les personnes handicapées depuis quelques années. Nous n’avons pas de raison de penser que les personnes malades sont moins nombreuses en 2005 qu’en 2003, ou que le marché du travail les intègre plus volontiers. Cela signifie tout simplement que les décisions rendues sont plus sévères, sans que rien ne le justifie. Il sera intéressant de voir si cette diminution du nombre de nouvelles rentes octroyées reste effective, une fois que les procédures de recours seront terminées.

 

Les décisions des OAI sur les oppositions ne donnent pas le sentiment à la personne concernée que ses arguments ont été pris en compte. Le nombre de cas à traiter ne peut être une excuse à la mauvaise instruction des dossiers ou à la limitation des droits des assurés.

 

Pouvoir de cognition

 

En ce qui concerne le pouvoir de cognition du TFA, le Parlement avait décidé, à une large majorité, que le TFA ne se prononcerait plus que sur la conformité au droit du jugement précédent, et non plus sur le fond, sauf pour les prestations en espèces de l’AI, de l’assurance accidents et de l’assurance militaire. Cela avait pour but d’assurer une égalité de traitement et une harmonisation de l’application du droit au niveau suisse, dans un domaine extrêmement sensible pour les assurés.

 

Ceci a pour conséquence de nouvelles inégalités de traitement entre les assurés, non seulement d’un canton à l’autre, mais aussi d’une assurance à l’autre.

 

Suspension du délai de recours

 

La suppression de la suspension des délais de recours n’a pas plus de sens. Ce n’est qu’une tracasserie supplémentaire. Personne ne renoncera à un recours pour cela. Les personnes malades et handicapées vont rarement en vacances. Leurs avocats peut-être en revanche. Ils seront sans doute mis un peu sous pression, mais les enjeux sont beaucoup trop importants pour que quiconque renonce à faire recours pour une raison aussi ridicule. Alors pourquoi introduire une telle tracasserie ? Pour gagner quelques semaines sur la décision ? Là aussi, le meilleur moyen de gagner du temps est de rendre une décision juste et inattaquable.

 

Conclusion

 

Les éléments contenus dans cette révision devraient être étudiés de manière globale dans le cadre d’une révision de la LPGA. Cependant, avant de se lancer dans un tel travail, il faudrait se laisser le temps d’analyser les effets de la LPGA.

 

Je vous propose donc de ne pas entrer en matière sur cette petite révision, d’attendre un an avant de faire un bilan de la mise en vigueur de la LPGA et de proposer ensuite, si nécessaire, une révision partielle de la LPGA, qui aurait l’avantage d’être mieux argumentée, plus efficace et plus respectueuse des droits humains.

 

Je vous remercie de votre attention.

 

 

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