Fédéralisme et formation

 

Coopération. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour qu’un projet d’harmonisation de la formation voie le jour?

Gisèle Ory. L’esprit suisse est très fédéraliste et les cantons sont très attachés à leurs prérogatives. Or, pour des raisons culturelles, l’éducation fait partie des prérogatives cantonales. Il a été très difficile de convaincre les cantons d’harmoniser leurs systèmes scolaires et de coordonner les niveaux d’études. Il a fallu deux motions et trois initiatives cantonales pour faire avancer les choses. C’est le fédéralisme qui a beaucoup freiné l’harmonisation scolaire en Suisse.

 

Modèle que certains voudraient réformer aujourd’hui…

Bien sûr. En matière d’éducation, on se rend compte que la Suisse est trop petite pour supporter 26 systèmes scolaires différents. Nous vivons à une époque où les gens déménagent beaucoup et où une perméabilité est demandée au niveau des formations. A l’heure actuelle, nous avons un réel besoin d’harmonisation. C’est un service qui se faire au service des famille et des enfants.

 

L’objet soumis au peuple le 21 mai ne semble pas mobilisateur…

Le fait que tout le monde soit d’accord donne cette impression. Je dirais que le projet est mobilisateur dans le sens qu’il concerne toutes les familles qui ont des enfants.

 

Le manque de débat n’est-il pas préjudiciable au projet «Espace suisse de formation»?

Je ne crois pas. L’alliance entre les partis et les organisations qui y sont favorables est tellement large que quelques voix discordantes ne suffiront pas à faire capoter le projet. Ce qui est possible, c’est qu’il y ait une faible participation électorale. D’autant plus que c’est le seul sujet en votation le 21 mai et qu’un certain nombre de Suisses préféreront peut-être aller pique-niquer ce jour-là. Ce qui serait regrettable, car ce projet est très important. Je dirais même presque révolutionnaire étant donné la conception de la formation qui a prévalu jusqu’ici en Suisse.

 

Les articles constitutionnels soumis au vote restent vagues quant aux moyens d’atteindre les objectifs…

Le moyen est le concordat intercantonal. C’est l’outil de base qui nous permettra d’harmoniser le système scolaire.

 

Vous voulez parler d’Harmos?

«Harmos» est le concordat intercantonal qui est actuellement en consultation, mais on peut en imaginer d’autres.

 

L’arrêté fédéral qui modifie les articles constitutionnels sur la formation est-il une atteinte à la souveraineté des cantons?

Nous avons vraiment voulu conserver la souveraineté des cantons en matière de formation. La Confédération n’intervient que de manière subsidiaire. Les cantons sont appelés à chercher ensemble des solutions d’harmonisation. S’ils échouent ou si un certain nombre d’entre eux se montrent récalcitrants, la Confédération peut les contraindre à rejoindre le concordat intercantonal. C’est une petite limitation à la souveraineté des cantons.

 

«Espace suisse de formation» n’est-il qu’une étape vers un nivellement des systèmes de formation?

Je ne pense pas. Les cantons vont toujours garder une marge de manœuvre assez grande en matière de formation. J’estime que c’est nécessaire dans un pays où il existe des diversités culturelles assez importantes et en particulier quatre langues nationales. La Confédération pourrait avoir des compétences plus larges, mais cela concerne essentiellement les Hautes écoles.

 

Qu’est-ce qui changerait?

A l’heure actuelle, la Confédération gère les EPF et les HES, mais se contente de subventionner les universités et leur donne un cadre de travail. Celles-ci restent des Hautes écoles cantonales. Mais il y a maintenant une nécessité de coordonner aussi les activités des universités. Cela doit se faire au niveau fédéral, car certaines filières d’études sont tellement chères – comme la médecine, par exemple – qu’elles ne peuvent pas être proposées dans tous les cantons.

 

Ne trouvez-vous pas qu’il y a trop d’universités en Suisse?

(Rires!) Nous sommes très gâtés au niveau des Hautes écoles et, par conséquent, nous en payons le prix. Il est probable que peu à peu il faille clarifier les filières attribuées à chaque université et surtout accréditer ces filières pour que nous puissions être sûrs de leur qualité au niveau international.

 

L’arrêté fédéral en votation le 21 mai ne dit rien quant à l’apprentissage des langues à l’école…

L’enseignement des langues est soumis au concordat intercantonal comme tous les autres domaines. Harmos prévoit l’enseignement de deux langues étrangères au niveau primaire, dont une deuxième langue nationale. Ce qui est déjà rassurant.

 

Les disparités cantonales expliquent-elles les résultats médiocres des écoliers suisses révélés par l’enquête PISA?

En Suisse nous avons au niveau de la formation des problèmes de base – comme le fédéralisme – que peut-être d’autres pays n’ont pas.  Sinon, je pense que le système éducatif suisse est d’assez bonne qualité dans son ensemble. Quant aux insuffisances mises en évidence par PISA, nous devons réfléchir à la manière d’y remédier. Cette enquête a montré que nous n’étions pas les meilleurs. Mais il est bénéfique de se remettre parfois en question.

 

Propos recueillis par Jean Pinesi

 

 

Encadré:

Gisèle Ory

Politique, lecture et écriture

Gisèle Ory est née à Bienne le 30 avril 1956. Elle a étudié les sciences politiques à l’Université de Lausanne. Directrice de Pro Infirmis pour le canton de Neuchâtel, elle est, au niveau fédéral, conseillère aux Etats socialiste et membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture. Habitante de La Chaux-de-Fonds, elle est actuellement, au niveau cantonal, vice-présidente du Grand conseil neuchâtelois. Mère de trois enfants, elle partage son temps libre entre la lecture et l’écriture. Les nouvelles et la poésie sont les styles qu’elle privilégie.         www.gisele-ory.ch

tabs-top

Comments are closed.