Enquête sur les rentes invalidité refusées

L’AI en crise

 

L’assurance invalidité est en crise. Déficits considérables, dette pharaonique, attaques de soutes sortes. Dans ce climat délétère, le Conseil fédéral lance une révision destinée à contrôler les coûts. Que propose-t-il ? C’est simple ! Ce sont les rentes qui coûtent cher. Il faut donc en octroyer moins. Comment faire ? Prendre en charge précocement toute personne menacée d’invalidité et lui proposer (ou imposer) des mesures de réinsertion  professionnelle. Le Conseil fédéral table sur une diminution des nouvelles rentes de 10 à 20%.

 

Cependant, avant que cette révision ne soit adoptée, la pratique des OAI s’est déjà modifiée de manière spectaculaire dans plusieurs cantons. Le Conseil fédéral a pu annoncer des reculs du nombre de nouvelles rentes de 6 à 7% par année.

 

Ces chiffres seraient très réjouissants, s’ils étaient le signe d’une réinsertion réussie. Est-ce le cas ? Ceux et celles à qui l’on refuse une rente retrouvent-ils du travail ? Divers témoignages émanant des milieux sociaux laissent penser que beaucoup sont en fait au chômage ou à l’aide sociale. Si tel est le cas, il ne s’agit pas d’une amélioration, mais d’une péjoration de la situation des personnes concernées. Accessoirement, il n’y a pas économie, mais transfert d’une partie des charges de la Confédération sur les cantons et les communes.

 

Comment savoir ce que deviennent ces gens ? Du fait de la dispersion des données entre la Confédération, les cantons et les communes, ces informations ne sont pas disponibles. Si l’on y ajoute la protection de la sphère privée, alors on mesure les obstacles qu’il faut surmonter pour les obtenir ! Le Conseil fédéral, interpelé à ce sujet au printemps passé, n’a pu me donner aucune indication, si ce n’est qu’on n’avait aucune raison de penser que ces personnes dépendaient de l’aide sociale…

 

 

L’enquête

 

Pour le savoir, un seul moyen : lancer une enquête indépendante : contacter des assistants sociaux dans toute la Suisse, leur demander de chercher dans leurs dossiers des personnes ayant essuyé un refus de rente AI, leur faire signer une déclaration de « consentement éclairé », nous autorisant à les interroger sur ce sujet. Ceux et celles qui ont répondu favorablement à notre requête ont reçu un questionnaire à remplir.

 

Nous avons ainsi récolté un échantillon de 69 personnes, en provenance de toute la Suisse, ayant toutes enregistré une réponse négative à leur demande de rente AI.

 

Les conclusions

 

Les résultats obtenus sont très significatifs, même si ce ne sont pas exactement ceux que l’on pouvait attendre. En effet, le réseau familial est bien plus présent que prévu : 35% des personnes interrogées sont prises en charge par leur famille (salaire du conjoint, aide financière des parents ou des enfants). 39% dépendent de l’aide sociale. 26% seulement travaillent à temps partiel et ont d’ailleurs souvent des emplois précaires. On le constate, la réinsertion professionnelle est très difficile, même si elle n’est pas impossible.

 

5ème révision et réinsertion professionnelle

 

Si on veut y arriver, il faut donc que chacun y mette du sien. L’employé doit être motivé. L’employeur doit l’appuyer. La Confédération doit y consacrer les moyens nécessaires. Or le Parlement ne s’est pas engagé sur ce chemin. D’une part, le conseil national a accepté les mesures de réinsertion professionnelle proposées par la 5ème révision, mais a repoussé le financement, qui doit permettre leur mise en œuvre. D’autre part, la loi multiplie les contraintes pour les employés, éventuellement récalcitrants, mais ne prévoit aucune pression sur les employeurs. A croire que ceux-ci n’ont aucune responsabilité dans l’insertion professionnelle !

 

A l’heure actuelle, le marché du travail est saturé. Nous avons environ 200’000 demandeurs d’emploi en Suisse pour 9000 places vacantes. Nous allons y ajouter quelques milliers de demandeurs en provenance de l’AI. Les assurances sociales, chômage, AI et aide sociale, sont concurrentes sur le marché de la réinsertion professionnelle. Dans ce contexte, les personnes handicapées ne sont pas les mieux placées. Il y a là une impossibilité à laquelle nous nous heurtons.

 

Il est donc particulièrement frappant de voir cette cinquième révision tabler sur la réinsertion professionnelle et en exclure les employeurs… Absentes bien sûr, les mesures contraignantes qui pourraient leur être imposées pour éviter le licenciement de ceux et celles qui sont menacés d’invalidité. Absentes également, les mesures d’aide aux employeurs, telles que la médiation en entreprise, le mentorage ou le parrainage, qui ont fait leurs preuves à l’étranger. Tabou évidemment, le système des quotas, pourtant utilisé avec succès depuis de nombreuses années dans plusieurs pays européens.

 

Sans financement, sans incitation importante pour les employeurs comme pour les employés, la réinsertion professionnelle reste un objectif abstrait. Le Parlement devra y réfléchir sérieusement.

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