Journée des quatre continents

 

Certains d’entre vous se souviennent peut-être d’un film qui a eu beaucoup de succès à la fin des années 70 et qui s’appelait « Les faiseurs de Suisses ».

 

On y voyait des fonctionnaires bien intentionnés évaluer si les familles étrangères étaient devenues suffisamment suisses pour pouvoir recevoir la nationalité suisse et le fameux passeport rouge.

 

Or que vérifiaient-ils ? Au fond, des éléments culturels et ce qui est intéressant, c’est de voir l’image qu’ils se faisaient de la culture suisse : savoir faire la fondue, mettre au mur une image du Cervin, chanter l’hymne national et connaître l’histoire de Guillaume Tell…

 

L’idée, c’est que les étrangers devaient assimiler des éléments qui paraissaient importants dans la culture suisse et par conséquent, on définissait aussi, sans le dire, ce qu’était la culture suisse.

 

Mais la culture suisse peut-elle se résumer à ces quelques éléments de folklore un peu kitsch et étriqué ?

 

Certainement non

 

Tout d’abord, y a-t-il une culture suisse ? C’est une question à laquelle les Suisses répondent régulièrement non et à laquelle nous avons aussi répondu récemment non au Conseil des Etats. Non, il n’y a pas une culture suisse, mais des cultures et elles sont nombreuses. Elles sont portées par nos différentes langues, nos origines diverses, montagnardes et citadines, romandes, romanches, tessinoises ou alémaniques. Il y a bien sûr notre musique folklorique, mais il y a aussi les créations branchées des jeunes Zürichois. Tout cela fait partie, de même droit, de nos cultures.

 

C’est justement parce que nous étions conscients de cette diversité culturelle que nous avons laissé la culture et l’éducation, l’éducation qui est la transmission de la culture, dans la compétence des cantons et même des communes. Et même si nous harmonisons la date de la rentrée scolaire et quelques autres points lors des prochaines votations du 21 mai, nous laissons encore la part culturelle à chaque canton.

 

La Suisse est donc riche d’une très grande diversité culturelle. Elle a acquis cette richesse au cours des siècles, grâce aux multiples échanges qu’elle a toujours entretenus entre ses différentes régions linguistiques, mais aussi avec les pays voisins ou plus lointains.

 

Nous ne sortons jamais « innocents » de ces échanges. Combien de mots étrangers sont-ils devenus français, du Zénith arabe au week end anglais ? Et que dire de toutes les cuisines étrangères que nous avons intégrées au point de ne même plus savoir qu’elles sont étrangères, de la pizza italienne au curry indien ? Nous dormons sous des duvets norvégiens, prenons des bains turcs, écoutons du jazz ou du gospel, etc. etc.

 

La Suisse est au centre de l’Europe. Elle a toujours été traversée par des voyageurs, qui se sont arrêtés, qui parfois sont restés. Ils ont amené leur culture, leur langue, leur musique dans leurs bagages. Nous en avons pris tout ce que nous avons aimé. Nous continuons à le faire aujourd’hui.

 

Intégrer. S’enrichir de la culture de l’autre. S’émouvoir de ses créations. Aimer sa musique. Danser avec lui. Transmettre notre émotion. Partager

 

Partager, c’est plus que cohabiter. Cohabiter, ce serait vivre sous le même toit, sans interaction. Non ce qui est magique justement, c’est cette interaction. C’est cela qui est à l’origine de l’explosion de la créativité humaine. C’est cela qui fait la force de l’humanité. C’est cela qui la fait avancer. Ce sont ces échanges qui ont permis aussi les progrès de la science et de la culture à la Renaissance. Nous en sommes tellement conscients que c’est pour cette raison que nous ouvrons nos frontières aux étudiants de toute l’Europe avec les programmes d’échanges européens.

 

Pro Helvetia, la fondation suisse pour la culture, a créé le programme Swixx pour montrer combien, dans les mondes culturels suisses, la création naît de plus en plus souvent de rencontres et confrontations artistiques entre des personnes d’origines diverses. Ce projet a trois objectifs :  « rappeler qu’en Suisse les cultures se créent et se renouvellent grâce à l’échange entre acteurs d’origines diverses, faire mieux apparaître les multiples mondes culturels suisses, éveiller l’intérêt pour les rencontres interculturelles. »

 

20% des habitants de notre pays n’ont pas le passeport rouge. L’inquiétude de certains Suisses face à l’ouverture de plus en plus grande de nos frontières et à la mondialisation des échanges se traduit par des questions sur notre identité et par la montée d’un certain populisme ces dernières années, populisme qui est même arrivé dans notre canton. Cette peur irrationnelle de l’autre a certes joué un rôle dans le refus, le 26 septembre 2004, de la naturalisation facilitée pour les étrangers des deuxièmes et troisièmes générations.

 

Cependant, la Suisse, ce n’est pas que cela. C’est aussi un pays pour qui l’accueil est une tradition, un pays qui a réussi à intégrer des millions de personnes venant de tous les continents, et cela avec relativement peu de conflits sociaux. Notre pluralisme, qui nous oblige à aller continuellement à la rencontre de l’autre, à développer notre compréhension et notre tolérance y sont sans doute pour beaucoup.

 

Les associations de migrants, qui jouent le rôle de pont entre les deux cultures, apportent aussi une contribution importante à l’intégration. Proches des nouveaux arrivants, leurs membres les accueillent, connaissent les difficultés des nouveaux, les comprennent, savent où se situent les principaux conflits potentiels. Ils leur donnent aussi les bases nécessaires à la compréhension des habitudes locales, du système scolaire ou de ce qui est attendu par l’employeur.

 

Elles peuvent aussi jouer un rôle culturel, en associant le respect et le maintien des traditions de l’ancienne culture, à la découverte des nouvelles cultures. Leurs membres tiennent à ce que leurs activités ne s’orientent pas exclusivement vers les traditions perdues et qu’elles ne cherchent pas à les conserver à tout prix, mais qu’elles s’ouvrent à une compréhension culturelle pluraliste, comme le font les Secondos, d’une manière très ludique, en confrontant leur culture d’origine à la culture de leur pays d’accueil.

 

La culture n’a pas de passeport et les artistes ne se laisseront jamais arrêter par les frontières.

 

Ce que vous nous apportez de votre culture, vous qui venez de loin, c’est votre cadeau à la Suisse. Un cadeau dont je veux vous remercier de tout coeur.

 

Ce que nous vous offrons de notre culture, à vous qui vous êtes arrêtés chez nous, c’est notre cadeau de bienvenue.

 

Ce que nous créerons ensemble, c’est notre avenir.

 

Je vous remercie de votre attention.

 

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