Euro 2008 et traite des femmes

ELLE L’A DIT DU 4 JUIN

 

«La traite des femmes est aussi grave que le hooliganisme »

 

La Suisse dépensera 64 millions pour assurer la sécurité de l’Euro 2008 et lutter contre le hooliganisme. Mais pas un centime pour prévenir la prostitution ! Gisèle Ory demande des mesures énergiques pour protéger les femmes attirées par le marché du sexe qui se développera aux abords des stades suisses dans deux ans, comme on le voit en Allemagne aujourd’hui.

 

FEMINA : En mars, le Conseil national a refusé de voter un crédit pour prévenir la prostitution lors de l’Euro 2008. Pensez-vous que le Conseil des Etats vous suivra le 8 juin ?

 

GISELE ORY : Très franchement, je pense qu’il n’y a pas grand chose à attendre du parlement. Surtout du Conseil des Etats, majoritairement masculin, où beaucoup d’hommes se désintéressent totalement du sujet. Par contre le ministre des sports, Samuel Schmid, semble avoir pris conscience de la situation. Je suis bien décidée à revenir à la charge jusqu’à ce qu’un plan d’action crédible soit adopté.

 

Et pour vous, qu’est-ce qu’un plan d’action crédible ?

 

Le strict minimum consiste à mettre en place des lieux d’accueil pour les femmes en détresse. On le sait, les femmes qui se prostituent, le font rarement de leur plein gré. Souvent recrutées en Europe de l’Est ou en Amérique du Sud, elles espèrent fuir la pauvreté. On leur promet un travail. On leur prête l’argent du voyage. Souvent des sommes exagérées,  entre 15 et 20 mille francs. Une fois sur place, on leur annonce que l’emploi prévu n’est plus disponible. Elles sont menacées, forcées de rembourser leur emprunt, quelques fois brutalisées, séquestrées ou violées.  Nous devons nous donner les moyens de les protéger, de leur permettre de témoigner et leur offrir un appui psychologique. La création de lieux d’accueil et d’une hot line serait indispensable.

 

A votre avis, combien de femmes viendront «se vendre » en Suisse durant l’Euro 2008 ?

 

Selon les estimations faites en Allemagne, le Mondial attire actuellement 40 mille filles arrivant  pour la plupart des pays de l’Est. Ceci pour environ 3 millions de spectateurs. Dans deux ans, l’Euro 2008 drainera 2 millions de fans de foot en Suisse et en Autriche. Faites le calcul, on arrive à environ 12 à 15 mille filles recrutées par l’industrie du sexe.    (qui débarqueront dans notre pays et en Autriche, je pense).

 

Sachant que la plupart des filles travaillent clandestinement, quelle est la vraie efficacité des mesures que vous proposez ?

 

La prostitution est un phénomène insaisissable et encore largement tabou. En matière de trafic de drogue, la police dispose de gros moyens  pour démanteler des réseaux et condamner les coupables. Mais lorsqu’il s’agit de trafic d’êtres humains, il ne se passe pratiquement rien. On dénombre une ou deux condamnations par année tout au plus. Les filles craignent d’être renvoyées et sont terrorisées à l’idée de possibles représailles contre leurs enfants et leurs proches. Le trafic d’êtres humains est aujourd’hui le 3ème trafic le plus lucratif au monde après les armes et la drogue. Il faut se donner les moyens de condamner les coupables et de protéger les victimes.

 

Et combien coûtent les mesures que vous préconisez ?

 

Nous ne les avons pas encore chiffrées, mais nous sommes loin des millions qui vont être dépensés pour assurer la sécurité des stades.  J’estime que la traite des femmes est tout aussi grave que le hooliganisme. Pour éviter quelques dizaines de rixes et des dommages à la propriété, la Suisse va dépenser 64 millions. Très bien. Mais en réalité, la prostitution est beaucoup plus grave. Des milliers de femmes sont contraintes à se vendre, souvent sans protection, et mettent leur vie en jeu. Ce sont des milliers de vies détruites. Pour empêcher ce gâchis, il me semble que prendre des mesures de prévention est un devoir.

 

 

Propos recueillis par Nathalie Randin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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