Il n’y a pas d’abus dans l’assurance invalidité

La notion d’abus est à relativiser, estime Gisèle Ory. Tout en commentant la 5e révision de l’assurance invalidité, la conseillère aux Etats neuchâteloise nous donne ses recettes pour renflouer l’AI.

 

Dans un commentaire sur votre site Internet, vous estimez que la 5e révision de l’AI est, dans l’état actuel, un échec ou une exercice alibi. Pourquoi?

 

Un échec parce que l’idée de départ était de favoriser la détection précoce et la réintégration ou le maintien en emploi des personnes invalides. Or avec la 5e révision, on fait pressions sur ces personnes pour les obliger à effectuer une nouvelle formation ou à trouver un nouvel emploi. Pourtant, le véritable problème est le marché du travail. Si on veut vraiment pouvoir maintenir l’emploi des personnes handicapées ou les réintégrer professionnellement, il faudrait des mesures d’incitations importantes, voire contraignantes pour les employeurs. Et celles-ci, justement, font défaut dans la 5e révision de l’AI.

 

Pourquoi?

 

On part de l’idée fausse que ce sont les gens menacés d’invalidité, qui ne veulent pas travailler et on oublie complètement que ce sont souvent les employeurs, qui ne veulent pas d’eux. Dans un marché du travail tendu, comme celui que nous connaissons maintenant, il vaut mieux ne pas être malade pour trouver du travail…

 

Qu’est-ce qui est important maintenant au niveau des ordonnances, pour faire au mieux avec la nouvelle réalité?

 

C’est encore un peut trop tôt pour le dire: nous n’avons pas encore eu de consultation à ce sujet. Il est relativement compliqué de voir jusqu’où on peut aller dans chaque ordonnance. Bien sûr, c’est certainement avec les nouveaux articles concernant la détection précoce et la réintégration professionnelle qu’on a le plus de marge pour essayer d’organiser les choses au mieux pour les personnes handicapées. Mais les articles de lois sont, à mon avis, très durs.

 

Comment est l’atmosphère au Parlement à ce sujet?

 

Extrêmement dure, là aussi. On a le sentiment que cette campagne de l’UDC – qui dénonçait les soi-disant abus dans l’assurance invalidités – a porté ses fruits: une grande partie du parlement croit que c’est la réalité.

 

Mais les abus existent, aussi dans d’autres assurances sociales.

 

Il n’y a pas d’abus. Il y a juste une limite qu’on peut fixer à différents endroits. On peut dire par exemple que les malades chroniques ont droit à l’AI, ou décider qu’ils n’y ont pas droit – même chose pour les personnes dépressives. On fixe alors une limite. Jusqu’ici, on reconnaissait par exemple les malades de fibromyalgie  comme ayant droit à l’AI. C’est une maladie chronique, qui provoque de fortes douleurs. Constamment sous analgésiques, les personnes atteintes éprouvent de la difficulté à travailler et doivent régulièrement se rendre à l’hôpital pour faire des infiltrations.(…) Si on décide d’être plus dur et de ne plus accorder une rente AI pour cette maladie, ce serait un déplacement de la limite, mais cela ne signifierait pas que les personnes qui l’ont obtenue jusqu’à maintenant ont abusé. On leur a seulement reconnu un droit en fonction de critères admis. On peut discuter de ces critères. Aujourd’hui, les personnes qui ont le plus de peine à obtenir l’AI sont celles qui souffrent de douleurs chroniques.

 

Même chose pour les maladies psychiques?

 

Je crois que l’AI se rend tout de même compte qu’il est très difficile de travailler lorsqu’on est atteint d’une maladie psychique. Pour une personne qui souffre de schizophrénie, le travail est par exemple quasi exclu et cette maladie reste donc reconnue comme cause d’invalidité. Pour ce qui est des dépressions, en revanche, la barre se situe sans doute plus haut. Certaines personnes dépressives peuvent travailler dans les périodes où elles vont mieux. En plus, la pratique diffère d’un office AI à l’autre. Il est donc difficile de savoir avec certitude quelle est d’ordinaire la pratique. En principe, on ne reçoit une rente que pour des dépressions chroniques et très profondes, mais il se peut que certains offices aient une pratique un peu plus large. L’état de santé d’une personne n’est pas toujours très facile à évaluer.  Je n’accepte pas qu’on dise qu’il y a des abus. Des médecins m’ont parlé de cas de personnes gravement malades n’obtenant pas l’AI, ce qui serait un abus de refus d’AI. Chaque cas est différent. Et lorsqu’une personne dit qu’elle a mal au dos, on ne peut pas se mettre à sa place. Il faut alors tenter d’évaluer cette douleur selon des critères extrêmement difficile à fixer, afin de savoir si cette personne peut ou non aller travailler.

 

Le déficit de l’AI est immense. Quel serait selon vous le scénario idéal pour le réduire, de même que les dettes?

 

On ne peut pas diminuer drastiquement le nombre de rentes. Ce serait une catastrophe sociale. Ce qui signifie que le problème n’est pas au niveau des coûts mais des ressources. L’AI a souffert de la récession, de même que de la stagnation du marché de travail. On avait parié sur une augmentation régulière des salaires – et avec elle de l’AI, puisque cette assurance est notamment financée par une cotisation salariale de 1,4 %. Mais sans phase économique ascendante, ça ne marche plus.

Je pense qu’on a deux, voire trois possibilités de financement. La première, c’est une augmentation de la cotisation salariale. À mon avis, c’est le système le plus correct et le plus juste, étant donné que l’AI compense le fait qu’on ne peut pas travailler. C’est normal que ce soient les personnes aptes au travail qui financent quelque chose destiné à celles et ceux qui ne peuvent pas travailler. La cotisation salariale peut être augmentée simplement et rapidement par le parlement. Mais le patronat ne veut pas en entendre parler et fait un lobbying déterminant aux chambres, où la majorité lui obéit.

 

Et les syndicats, qu’en pensent-ils?

 

Les syndicats penchent aussi pour une augmentation de la cotisation salariale. Mais ils sont partagés, à cause de l’aspect «charge sur le travail». La deuxième possibilité de financement, c’est la TVA. Pascal Couchepin et le département fédéral de l’intérieur étaient favorable à ce que l’on utilise la TVA pour financer les assurances sociales. C’est une possibilité à laquelle je ne suis pas complètement opposée – mais la gauche est très prudente, car la TVA n’est pas très sociale. En outre, une augmentation de la TVA doit automatiquement être approuvée en votation populaire, ce qui ne serait pas le cas d’une hausse de la cotisation salariale. Or le peuple a déjà refusé des augmentations de la TVA. Il y a donc ce problème: l’augmentation de la cotisation salariale ne passerait pas le cap du parlement, alors que la hausse de la TVA serait refusée par le peuple.

 

Et la troisième option?

 

C’est l’or de la BNS. Peut-on l’utiliser pour éponger les dettes de l’assurance invalidité? Cela signifierait une économie annuelle de deux cent et quelques millions de franc sur l’intérêt de la dette. La question reste ouverte, puisqu’il n’y a pas encore de réponse définitive sur ce qui sera fait de l’or de la BNS.

 

Que pensez-vous de la décision de la DOK de ne pas lancer le référendum contre la 5e révision de l’AI?

 

Elle nous fait mal parce qu’on estime de cœur qu’il faudrait un référendum, mais elle est prudente et certainement raisonnable. A l’heure actuelle, nous avons peu de chance de gagner ce référendum. Il y a trop de personnes convaincues qu’il y a des abus et que cette 5e révision va régler les choses. Et il y a aussi ce sentiment que les handicapés sont trop bien traités, qu’ils reçoivent trop d’argent, que c’est une position viable et qu’il y a des gens qui préfèrent être à l’AI plutôt que de travailler, parce qu’on y gagne suffisamment.

 

Qu’est-ce qui vous motive à travailler pour une organisation comme Pro Infirmis ?

 

J’ai la fibre sociale et j’ai envie de travailler pour celles et ceux dont la vie n’est pas forcément facile. Il y a des gens malades, dans une situation souvent très difficile, qui ont de la peine à se défendre seuls et qui ont besoin d’être accompagnés dans les périodes les plus dures. Après, lorsque ça va mieux, ils retrouvent le plus souvent leur autonomie, de même que la possibilité de bien vivre – du moins aussi bien que possible, malgré la maladie. Ça, je pense que c’est un travail humainement et socialement important.

 

Adrian Hauser

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