Soweto, trente ans après

Madame l’Ambassadrice d’Afrique du Sud,

Monsieur le Président de la Steve Biko Foundation,

Madame la Directrice de département de l’OMS,

Madame la Présidente de la Commission nationale de la jeunesse sud-africaine,

Chers Etudiants, Chers Organisateurs, Chers Amis d’Afrique du Sud et de Neuchâtel,

Mesdames et Messieurs,

C’est un grand honneur pour moi de vous accueillir ici à Neuchâtel et de vous apporter  à toutes et à tous les salutations des autorités cantonales neuchâteloise. Soyez les bienvenus. Je souhaite en particulier à nos hôtes sud-africains de passer d’agréables moments dans notre canton et dans cette ville de Neuchâtel, qui se veut ouverte sur le monde.

C’est un honneur aussi pour moi de participer à cette journée et de rencontrer des personnes qui ont lutté avec courage, et parfois au péril de leur vie, pour la liberté et la justice.

C’est aussi un plaisir d’être en contact avec vous tous et toutes, qui représentez la nouvelle génération, et de partager avec vous les préoccupations du moment, de discuter des défis à relever pour votre avenir et celui de notre pays, de rappeler ces événements qui ont marqué le siècle passé et les consciences de ceux et celles qui y ont assisté.

La plupart d’entre vous n’étaient pas nés ce terrible jour de juin 1976, quand de jeunes lycéens ont protesté contre la dictature raciale de l’Apartheid.

C’est une très belle page de l’histoire de l’Afrique du Sud, une page marquée de détermination, de courage, de la volonté indéfectible de se battre pour un avenir meilleur, pour des valeurs fondamentales de liberté et de justice.

Mais c’est malheureusement aussi l’une des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine de la Suisse, car ce régime d’Apartheid, je le dis sans détours, a été complaisamment soutenu par notre pays, par la Suisse officielle, ou du moins par quelques éminences du monde politique et économique, qui ont dans ce dossier, privilégié le profit par rapport à la morale et probablement l’anticommunisme par rapport à l’humanisme.

Les deux pays étaient très proches au moment même où les droits de l’homme étaient massivement violés. C’est la conclusion d’un programme de recherche du Fonds national suisse, intitulé: PNF 42+ «Les relations entre la Suisse et l’Afrique du Sud».

Ce soutien de la Suisse au régime d’apartheid a été longtemps occulté, mais il a été enfin mis à jour. Nous avons eu le courage et la dignité de nous interroger sur notre passé, nous avons accompli notre devoir de mémoire et d’autocritique, car il est de notre devoir de nous souvenir ensemble, de perpétuer l’histoire, pour ne jamais oublier, ne jamais recommencer ce qui s’apparente à une trahison de l’humanité.

Cependant, il ne faut pas oublier non plus que l’Apartheid a aussi été combattu par un grand nombre de nos concitoyens. Les manifestations se sont multipliées en Europe et en Suisse aussi jusqu’à la chute de ce régime injuste. Je me rappelle d’y avoir participé quand j’avais l’âge des jeunes qui sont dans cette salle.

Et vous aussi, Chers Amis Sud-Africains, vous avez su, à l’initiative de M. Desmond Tutu, ré-explorer votre passé douloureux, dans le cadre des commissions « Vérité et réconciliation », pour le surmonter et pardonner. Je ne peux que vous féliciter de cette grande sagesse, propre à créer une base solide sur laquelle construire un Etat démocratique.

Ainsi, il y a trente ans vacillait l’Apartheid. Une manifestation pacifique de lycéens, à Soweto, le ghetto noir, construit dans la banlieue noire de Johannesburg, a été brutalement réprimée. J’ai encore en mémoire ces événements tragiques, ces visages, ces témoignages, ces images terribles qui ont fait le tour du monde et marqué nos consciences.

Nous n’aurons cesse de rappeler le combat inlassable mené par M. Nelson Mandela, son emprisonnement, les tortures de citoyens, le militantisme courageux des membres de l’ANC, de la société civile, les romans d’André Brink, un auteur blanc remarquable, très critique et courageux face aux dérives du régime d’Apartheid.

 

Nous cultivons l’espoir que de tels gouvernements racistes et totalitaires, ne puissent plus exister, que ces événements tragiques servent de leçons, pour les générations actuelles et à venir. Il le faut.

La Suisse est riche d’une très longue tradition démocratique. Les droits de l’homme et les libertés élémentaires constituent les valeurs fondamentales de notre organisation sociale. Nous les avons acquis de haute lutte. Ils forment aujourd’hui un héritage précieux, que les générations futures devront sauvegarder et perpétuer. Elles devront rester attentives, car nous aurions tort de croire que tout  cela va de soi. Notre pays n’est pas forcément à l’abri.

N’oublions pas qu’au début du 20ème siècle encore, l’armée tirait aussi chez nous sur la foule des grévistes. Rien n’est jamais acquis définitivement. Notre monde reste instable. Les ennemis de la démocratie n’ont pas tous disparu. Le combat est permanent. La campagne entamée par M. Blocher contre la norme sur le racisme doit nous mettre en garde. C’est déjà une dérive très grave. Ceux qui font semblant de parler vrai, dissimulent en réalité leurs intentions derrière le bouclier de la liberté d’expression, mais on ne peut être libre de martyriser les autres. Il y a là une perversion de la notion de liberté. La liberté ne va pas sans le respect.

Nos voisins européens le savent aussi. Ils sont encore marqués dans leur chair et leur terre par la folie des hommes. Ces temps ne sont pas si éloignés, où l’on construisait en Europe, des camps de concentration pour éliminer un peuple entier, où l’ex-Yougoslavie était dévastée par la guerre et vivait une sorte de nettoyage ethnique opéré par des viols systématiques. Cette ex-Yougoslavie qui nous est si proche, puisque ses ressortissants forment la plus grande communauté étrangère de notre pays.

La Suisse peut se prévaloir d’une longue tradition humanitaire, née dans la foulée de l’Etat moderne et de la constitution de 1874. Numa Droz, deuxième conseiller fédéral neuchâtelois, et premier chaux-de-fonnier, affirmait d’ailleurs à l’époque que « l’un des droits les plus précieux pour la Suisse, c’est le droit d’asile ».

«La Suisse, terre d’accueil pour les réfugiés : telle est notre tradition » : cette inscription figurait sur un mur de l’une des salles de l’Exposition nationale de Zurich, en 1939.

C’est cette Suisse-là que nos ancêtres ont construite. C’est celle-là que nous voulons perpétuer. Une Suisse ouverte sur le monde, généreuse, humaniste. Pour cela, les paroles et les beaux discours ne suffisent pas, il faut des actes. Et de ces actes, Mesdames et Messieurs, c’est vous demain qui en déciderez.

Vous connaîtrez probablement des conflits entre vos valeurs et vos intérêts. Ce sera à vous de choisir. Certains d’entre vous estimeront peut-être que tout cela ne vaut pas la peine qu’on s’en préoccupe, qu’ils ne sont qu’un grain de sable au bord de la mer, balloté par les vagues, et qu’ils ne peuvent rien faire. Ne rien faire pour s’opposer à l’intolérable, c’est déjà en être complice.

C’est sans doute là que se trouve la plus extraordinaire leçon apportée par ces jeunes lycéens de Soweto, par ces femmes et ces hommes, qui par leur courage et leur ténacité, ont défié le pouvoir et fait vaciller l’injustice.

Que ces événements dramatiques qui ont fait l’histoire du monde, marqué nos deux pays, restent présents dans nos esprits, qu’ils servent les réflexions des nouvelles générations et qu’ils alimentent les liens d’amitiés et de coopération, que souhaitent entretenir nos deux pays au moment où nous  commémorons ce 30e anniversaire.

Merci à l’Ambassade sud-africaine, à l’association Imbewu et au Centre de loisirs, d’avoir jeté un pont entre le passé et l’avenir, pour que rien ne s’oublie, entre les jeunes d’Afrique du Sud et ceux de Neuchâtel, car les défis qui vous attendent seront les mêmes. Toutes et tous, ensemble, vous serez, vous êtes déjà, les garants des droits de l’homme et de la liberté de tous et de toutes.

Merci de votre attention

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