Discours du 1er mars à Prilly

 

Mesdames, Messieurs, Chers Amis Neuchâtelois et Neuchâteloises de Prilly, des environs et peut-être d’ailleurs,

 

J’ai le plaisir de vous apporter les salutations du Grand Conseil et des autorités neuchâtelois.

 

D’habitude, je fête le 1er mars en me levant de bon matin, en mettant mes chaussures de marche et en imitant nos ancêtres, en bravant le vent et la pluie et en descendant à Neuchâtel, à pieds pour conquérir le Château. La différence, importante, avec nos ancêtres, c’est qu’en général, il y a un arrêt à la Vue-des-Alpes pour le thé et un pique-nique à Boudevilliers et on est reçu au Château, non pas par des canons, mais avec des bouteilles de Neuchâtel qui sont déjà au frais…

 

Je vous remercie de me permettre cette année de fêter le 1er mars avec vous, encore mieux si c’est le 2…. Je suis contente d’être ici pour au moins trois raisons : d’abord parce que j’ai le plaisir d’être avec vous, bien sûr, ensuite parce que pour moi, c’est une seconde fête, et qu’on ne fête jamais assez, enfin parce que votre 1er  mars est moins fatigant que celui d’hier, qui use les souliers, et en plus, nous sommes bien au chaud.

 

J’ai bien pensé à venir jusqu’à Prilly à pieds, pour respecter la tradition du 1er mars. Finalement je me suis contentée de marcher depuis le parking. C’est moins glorieux, mais ça convient aussi à une journée comme celle-ci. Donc, Chers Amis de Prilly, pas de danger, avec des révolutionnaires comme moi, votre …. (j’allais dire votre château, mais y a-t-il un château dans les environs ?) n’est pas encore près de tomber… et la seule chose qui reste encore à examiner, c’est de voir si le blanc vaudois vaut bien celui du château de Neuchâtel.

 

Mesdames et Messieurs, vous avez quitté votre canton pour des raisons diverses, mais si vous êtes là ce soir, c’est que vous ne l’avez pas oublié. Mais… le reconnaîtrez-vous quand vous reviendrez pour les vacances ? Notre bon vieux canton change à toute vitesse ! Il y a les zébrures dans notre paysage, dues à nos nouvelles autoroutes ! Vous les connaissez déjà certainement. Vous êtes sans doute de ceux qui se réjouissent de chaque inauguration de tronçon entre Yverdon et Neuchâtel.

 

 

Le visage politique du canton a aussi profondément changé il y a deux ans. Le canton a basculé à gauche, avec une double majorité au Conseil d’Etat et au Grand Conseil.  Plusieurs caractéristiques politiques qui paraissaient immuables, il y a quelques années encore, ont volé en éclats. La très élégante ville de Neuchâtel  a passé à gauche depuis quelques années. En 2003, l’UDC a récolté 27% des voix dans ma bonne ville de La Chaux-de-Fonds, traditionnellement de gauche. En même temps, les Neuchâtelois ont envoyé deux socialistes au Conseil des Etats, une première suisse, quatre ans seulement après y avoir envoyé un radical et un libéral pendant douze ans sans interruption. Le PDC se propose, tel un phénix, de ressusciter de ses cendres. Christophe Darbellay a fait le déplacement de Neuchâtel pour assister à cette naissance.

 

Bref, tout cela nous oblige à renvoyer toutes nos certitudes au vestiaire. Les élections fédérales de cet automne seront certainement pleines de surprises.  Il y a quatre ans, la gauche avait obtenu 5 sièges sur 7. Sera-t-il possible de réitérer cet exploit ou la droite neuchâteloise retrouvera-t-elle l’unité qui avait fait son succès autrefois ?

 

 

Au Grand Conseil, le consensus à la Neuchâteloise, dont nous étions si fiers,  a laissé la place à des affrontements difficiles et à des bras de fer sans fin. Les séances de Grand Conseil se sont souvent transformées en pugilat verbal et les résultats de votations en frustrations. Il est très difficile de présider le Grand Conseil par les temps qui courent, car les deux blocs de gauche et de droite sont à égalité : 57 contre 57, ce qui m’oblige à départager régulièrement et à me faire autant d’ennemis jurés que de déçus dans la salle !

 

Et puis, finalement, prenez l’éternelle concurrence entre le haut et le bas du canton ! Vous pensiez que cela au moins était immuable. Jamais, pensiez-vous peut-être, les Neuchâtelois ne sortiraient du brouillard, et jamais, les Chaux-de-fonniers ne connaîtraient l’été. Comme c’était rassurant de savoir qu’il y avait des gens, juste à côté de chez vous, dont vous pouviez parler sans jamais tarir, qui avaient tous les défauts ou presque et qui étaient responsables de tous vos problèmes… Eh bien voyez-vous, même ce bastion de la culture neuchâteloise est en train de s’effondrer. On lui avait déjà donné un sérieux coup de tunnelier en creusant un tube sous la Vue-des-Alpes. Cette percée ne pouvait qu’amener un peu de brouillard à La Chaux-de-Fonds et quelques flocons à Neuchâtel.

 

Mais maintenant, il y a pire, il y a le RUN. Le RUN, pour Réseau Urbain Neuchâtelois, a l’ambition de faire de nos deux métropoles une seule agglomération. Qu’allons-nous devenir ? De quoi allons-nous parler ? A-t-on pensé aux longues heures que nous devrons passer au Grand Conseil à nous congratuler les uns les autres, en nous appelant chers concitoyens ? Heureusement, il nous reste encore à décider si nous voulons desservir notre réseau urbain par un train ou par un métro, le « transrun » occupe toutes les conversations. Ouf ! Nous avons passé à deux doigts de l’ennui !

 

Heureusement que nous pouvons encore parler de notre équilibre budgétaire ! A l’équilibre budgétaire ! Est-ce un rêve ou un mirage ? L’équilibre budgétaire se profilera-t-il bientôt à l’horizon ?…. (Petite parenthèse : qu’est-ce que l’horizon ? Selon le dictionnaire,  c’est une ligne virtuelle qui s’éloigne à mesure que l’on s’approche, ce qui correspond assez bien à l’équilibre budgétaire…). En attendant, nous avions près de 100 millions de déficit et la République était sous le choc. Les députés échangeaient des dizaines de courriels, y allant chacun de sa recette : trois cuillères d’économies structurelles, une louche de frein à l’endettement et un nappage rose à la maîtrise des finances…

Et le miracle s’est produit. Pour la première fois depuis 16 ans, nos comptes sont positifs. L’année 2006 a permis de rembourser 237 millions de notre dette et de dégager un solde positif de quelques millions. Et tout cela en desserrant les mesures anti-sociales qui avaient été décidées en 2005.

 

Nos outils de maîtrise des finances auront au moins un avantage, c’est le retour au consensus à la neuchâteloise. En effet, les décisions concernant les dépenses importantes doivent désormais se prendre à la majorité qualifiée. Comme les groupes politiques sont à égalité, impossible d’obtenir une telle majorité sans convaincre ses adversaires politiques, c’est-à-dire sans négocier et s’entendre. Enfin quelque chose de positif ! Ou bien nous nous entendrons, ou bien nous ne dépenserons plus rien… A votre avis, qu’est-ce qui est le plus difficile pour une personnalité politique ?

 

 

Le 1er mars est une tradition, mais cette tradition ne serait rien sans ceux et celles qui la font vivre année après année. Merci à vous tous et toutes, responsables ou simples bénévoles qui savez si bien faire la fête, qui savez vous rappeler vos origines et qui aimez toujours votre vieux canton. Merci de votre invitation et merci de votre accueil.

Ce 1er mars, c’est pour les Neuchâtelois, un temps d’arrêt, un temps de fête, un temps où l’on se rencontre, où l’on se rappelle. Prendre le temps de dialoguer avec l’autre, de l’écouter, de nous pencher sur notre histoire, se rappeler ce que nos ancêtres ont fait pour nous et réfléchir à ce que nous pouvons faire pour nos descendants.  A l’heure où il est de plus en plus question de polarisation, de duel, de confrontation, à l’heure où l’émotion se vend mieux que la réflexion, le véritable dialogue, celui qui cherche à établir un consensus, ce dialogue là est appelé à devenir vertu.

 

Qui sommes-nous, nous Neuchâtelois, anciens Neuchâtelois de l’extérieur ou Neuchâtelois depuis peu ? A travers une vaste réflexion sur la « Neuchâtelitude », si vous me permettez ce néologisme digne de M. Couchepin, à travers les nombreuses manifestations liées au projet Neuchâtoi, nous nous sommes interrogés durant l’année 2006 sur notre identité neuchâteloise. Le canton de Neuchâtel est constitué aujourd’hui de 25% d’étrangers, de 45 % de Confédérés et de 30% de Neuchâtelois. Nous nous interrogerons encore une fois, le 17 juin prochain, où la population sera appelée à voter au sujet de l’éligibilité des étrangers aux plans communal et cantonal.

Je suis persuadée que l’esprit de la fête, que vous continuez à cultiver, vous Neuchâtelois de l’extérieur, à travers ce 1er mars, a un grand rôle à jouer. Celui de nous rapprocher, en nous ouvrant aux autres. Merci d’y contribuer.

 

Nos ancêtres nous ont fait un cadeau merveilleux. C’est l’occasion, en ce 1er mars, de nous rappeler de la valeur de nos institutions démocratiques et de remercier en pensée ceux qui, par leur action, nous permettent aujourd’hui, de vivre dans une république de liberté et de solidarité. Nous devons aussi nous rappeler que rien n’est jamais acquis et que le combat pour la liberté et la démocratie doit recommencer chaque jour. Nous devons rester attentifs, refuser le fanatisme, utiliser nos institutions, car elles ne s’usent que si on ne s’en sert pas ! Et nous rappeler aussi que nous avons une chance que bien d’autres peuples n’ont pas. C’est un trésor. Gardons-le précieusement !

 

Mais pour l’instant, je veux me souvenir de Louis Pasteur, qui disait « qu’il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres », alors passons aux actes. Je lève mon verre à nos ancêtres qui sont descendus à Neuchâtel malgré la neige, à vous tous qui perpétuez cette tradition, à l’avenir de notre canton, que je veux plein de succès.

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