Coût réel de l’énergie nucléaire

La Suisse se trouve maintenant à un carrefour. Nous devons décider de notre avenir énergétique et les décisions que nous allons prendre vont nous engager pour longtemps. La consommation d’électricité a augmenté régulièrement ces dernières années, malgré l’encouragement aux mesures d’économie. Si nous n’agissons pas, nous allons être confrontés à l’obligation d’importer toujours plus de courant de nos pays voisins.

 

Nous sommes à la croisée des chemins, car plusieurs possibilités très différentes s’ouvrent devant nous.

 

–       Nous pouvons ne rien faire et acheter de plus en plus de courant à nos voisins, pour autant qu’ils ne soient pas dans la même situation que nous.

–       Nous pouvons favoriser les économies d’énergie, par une politique volontariste, qui fixerait des valeurs de consommation énergétique limites pour les machines industrielles ou les appareils électroménagers et interdirait le chauffage électrique direct.

–       Nous pouvons miser sur les énergies renouvelables et investir dans la recherche et le développement de ces nouvelles ressources.

–       Nous pouvons tenter d’imposer de nouvelles centrales, qu’elles soient à gaz ou nucléaires.

 

Pour pouvoir choisir en toute connaissance de cause, nous devons savoir quels sont les avantages et les inconvénients de ces différentes solutions. Si nous voulons comparer le coût réel du kilowattheure en provenance de chaque type de source d’énergie, il faut intégrer dans ce prix toutes les variables internes et externes liées à chaque source d’énergie.

Le Conseil fédéral prévoit de garder l’option nucléaire ouverte. Cependant, les évaluations que nous avons en matière d’énergie nucléaire sont particulièrement peu transparentes. Nous n’avons pas d’étude approfondie sur les coûts du nucléaire à long terme, et pour cause.

 

Aucune centrale suisse, si ce n’est Lucens partiellement, n’a été  désaffectée pour le moment. Le coût du démantèlement ne nous est donc que très mal connu. Nous ne pouvons nous appuyer que sur quelques expériences faites aux Etats-Unis, qui démontrent que cette opération est très onéreuse. Le coût du démantèlement du réacteur nucléaire Yankee Rowen dans le Massachusetts avait été estimé à 120 millions de dollars, mais le coût final a dépassé les 450 millions, car une partie des bâtiments avaient subi une irradiation et n’ont pu être démontés que par des robots.

 

Il est des plus aléatoires de calculer ce que coûtera l’entreposage des déchets pour les quelques milliers d’années à venir. Leur retraitement en vue d’une nouvelle utilisation n’apporte pas de solution non plus, tant les risques sont élevés.

 

Nous ne savons pas non plus ce que pourrait coûter un accident. En pratique, on effectue une analyse des risques à chaque étape du processus de production. Le projet ExternE a permis d’évaluer le coût d’un accident grave, type Tchernobyl à environ 14 centimes d’Euro par kilowatt produit. La Convention de Paris sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire a calculé la responsabilité économique maximale des opérateurs nucléaires dans 15 pays européens. Bien que celle-ci ait été portée en 2004 à 700 millions d’euros (NEA, 2004), ce montant ne serait certainement pas suffisant pour faire face à une catastrophe majeure.

 

Selon un article de l’astrophysicien Hubert Reeves dans le Monde, que je cite : « De nombreux organismes de recherche et de conseils en énergie ont conclu qu’en tenant compte des frais réels, le nucléaire est beaucoup plus coûteux (et hasardeux) que tous les autres modes de production d’électricité (www.rmi.org). Les estimations réalistes du coût du kilowattheure (intégrant les frais de démantèlement des réacteurs et de la gestion des déchets) découragent les compagnies privées. De surcroît, les compagnies d’assurances refusent d’assurer les réacteurs. D’où un fait hautement significatif : partout où existe un marché compétitif de l’énergie, aucun pays n’investit dans le nucléaire. Seuls les pays à monopole (la France, le Japon et quelques autres) continuent dans cette voie. Résultat : l’énergie totale émise par les réacteurs n’a pas augmenté de plus de 6% pendant les dix dernières années (moins de 1% par année). »  Fin de citation.

 

Le coût du kilowattheure nucléaire est très fortement tributaire de l’espace temps dans lequel nous calculons les coûts. Ne prenons-nous en considération que la production, ou devons nous aussi tenir compte de la recherche, du développement, des investissements, du démantèlement, du stockage des déchets à long terme et des prestations publiques ?

 

Pour pouvoir faire une comparaison valable, il faudrait que tous ces éléments soient connus pour tous les types d’énergie.

 

Je suis cependant étonnée que le Conseil fédéral me donne une réponse aussi vague. Mes questions étaient pourtant précises. Pourrait-on supposer que nous n’avons pas de chiffres, alors que cinq réacteurs sont déjà en fonction depuis des années ? Ont-ils été construits et exploités sans que l’on se préoccupe de leurs coûts réels ? Si nous n’avons pas de chiffres, il est urgent de faire une étude approfondie sur cette source d’énergie considérée par les uns comme prometteuse et par les autres, comme la plus coûteuse financièrement. Vu l’importance et l’urgence de disposer de ces chiffres, je prie le Conseil fédéral de nous les fournir au plus vite, soit au plus tard jusqu’à la fin de cette année, que ce soient des chiffres exacts ou des évaluations aussi proches de la réalité que possible.

 

 

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