Financement de l’Orchestre de Chambre de Neuchâtel

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, c’est l’OCN qui doit renoncer à un concert de son programme, faute de moyens. A la fin janvier, le Grand Conseil devra définir l’avenir des classes professionnelles dans le canton. Peut-on s’en passer ? Doit-on vraiment ne faire qu’un calcul financier. Je vais prêcher par l’absurde. C’est évident, ne pas avoir d’orchestre, c’est moins cher que d’en avoir un. Ne pas avoir de formation professionnelle, c’est moins cher que d’en avoir une. De même il est moins cher aussi de ne pas avoir de piscines ou de stades, de ne pas avoir de théâtre, ni de culture. Jusqu’où veut-on aller avec cette spirale du pire ?

Quelle est la vision d’avenir de nos autorités ? Quelle est l’attractivité d’un canton où les institutions culturelles les plus prestigieuses disparaissent les unes après les autres ?

Aujourd’hui, c’est la tradition musicale de notre canton qui est en cause, et cela non pas parce qu’elle n’est pas de qualité, ou parce qu’elle n’intéresse personne. Bien au contraire. Il est démontré que l’OCN fait un travail professionnellement excellent et qu’il a un public attaché, intéressé, connaisseur. De même, la qualité des enseignants du conservatoire n’est pas remise en cause. Elle est reconnue loin à la ronde. Le niveau de qualité est très élevé.

Ce que l’on aura détruit aujourd’hui ne se recréera pas si facilement, car la qualité se nourrit de tout un environnement. Les jeunes doivent baigner dans un terreau musical de qualité pour acquérir leur virtuosité. Il faut que ce terroir existe pour que les talents soient suscités, pour qu’ils puissent se révéler, pour qu’ils puissent être reconnus et s’épanouir. Les synergies sont importantes et fondent même la richesse du terreau. Les orchestres vivent de leur synergie avec le conservatoire, qui les nourrit de jeunes talents. Le conservatoire se nourrit aussi des orchestres, au sein desquels les jeunes talents peuvent prendre de l’expérience, se confronter avec le public, devenir de vrais professionnels. Si tout cela disparaît, si les enseignants vont s’installer ailleurs, s’il n’y a plus de jeunes en formation, si le public se déshabitue, il faudra tout reconstruire. On ne peut séparer formation et production. C’est le même débat.

Nous avons un urgent besoin que le Conseil d’Etat prenne ses responsabilités, arrête de faire une politique du porte-monnaie, sans réfléchir à  l’importance de ce qu’il détruit. Il y a eu assez d’atermoiements dans ce dossier. Il faut maintenant avancer, mais on sent que le Conseil d’Etat freine et tente par tous les moyens à échapper à ses responsabilités. Qu’aurons-nous gagné si nos finances vont mieux, mais que nous avons détruit une part importante de la vie culturelle de notre canton, et cela pour longtemps ? Le Conseil d’Etat devra-t-il être félicité pour sa grande clairvoyance ? J’en suis d’autant moins convaincue que l’amélioration des finances neuchâteloises risque bien de nous coûter cher en termes de politique régionale ou de péréquation financière…

Le 27 juin 2006, le Grand Conseil neuchâtelois s’exprimait clairement. Il voulait une formation musicale de niveau professionnel dans notre canton et mandatait le Conseil d’Etat de poursuivre les démarches en vue de l’accréditation HES par 59 voix contre 45. Le dossier d’accréditation a été constitué et envoyé à la Confédération le 16 avril 2007, mais celle-ci l’a renvoyé en précisant qu’elle imaginait deux sites de formation seulement, Lausanne et Genève, et éventuellement des lieux d’enseignement décentralisés, sous la conduite de Lausanne et Genève. C’est la seule petite ouverture laissée à Neuchâtel, mais le Conseil d’Etat la refuse. Dans son rapport au Grand Conseil, qui sera discuté fin janvier, il conclut en disant que son mandat donné par le Grand Conseil est devenu irréalisable.

Je ne suis pas de cet avis. Il faut seulement qu’il montre la volonté d’agir. Il faut qu’il négocie avec Genève.  Il a des responsabilités budgétaires, mais il en a aussi envers la population neuchâteloise. Il a aussi la responsabilité de faire de ce canton un canton attractif, plein de vie, culturellement intéressant, rayonnant. Mais il faut en avoir l’ambition. Il faut avoir une vision d’avenir. Il faut en vouloir, comme on dit ! Une vision d’avenir ne peut pas être que comptable.

Avec le lieu d’enseignement décentralisé, on préserve le principal : la vie musicale, la présence de jeunes, le maintien de la tradition et du savoir-faire, la synergie avec les orchestres.

Cette situation d’incertitude coûte cher au conservatoire. Le nombre d’élèves professionnels a diminué ces deux dernières années, passant de 167 à 143, puis à 124. La rentrée 2008 est remise en cause. Avec une volée de moins, les enseignements d’ensembles deviennent très problématiques, car il manque des instruments.

Quant aux éventuelles possibilités d’investir l’argent économisé dans la formation professionnelle dans d’autres projets culturels musicaux, cela est du domaine du vœu pieux. On n’en connaît pas à l’heure actuelle ni l’adéquation avec la demande, ni la faisabilité, ni l’économicité. Il en est ainsi par exemple de la formation de musicien intervenant dont parle le Conseil d’Etat et qui n’a pour l’instant aucune consistance. De toute façon, quelle que soit la pertinence des propositions que pourrait faire le Conseil d’Etat, elles ne pourront pas remplacer la perte du niveau artistique due à l’abandon des classes professionnelles.

La formation professionnelle et les orchestre ne sont pas toute la musique neuchâteloise, mais ils la nourrissent, lui fournissent de jeunes talents. Pour diriger une fanfare, un chœur de quelque ampleur, il y a des musiciens professionnels, qui ont fait leurs classes au conservatoire. Sans eux, c’est bien vers un affaiblissement de la musique populaire aussi que l’on irait. C’est une grande méconnaissance du tissu culturel qui permet au Conseil d’Etat d’écrire que l’on peut augmenter la diversité culturelle tout en tuant la plus haute école que l’on ait… Nos jeunes talents iront se former à Genève ou ailleurs (ce que nous paierons au prix fort). Beaucoup ne reviendront pas et la musique disparaîtra de nombre d’événements publics, car il ne sera plus possible de faire appel aux jeunes en formation, proposant une bonne qualité d’interprétation à des prix étudiants… Quant à imaginer que des jeunes d’ailleurs viendront travailler bénévolement à Neuchâtel et en animeront la vie culturelle, je vous laisse en juger…

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