Pédocriminalité

Mesdames, Messieurs,

Au niveau du Parlement, je peux dire que la pédocriminalité n’est pas une question tabou. Le monde politique a fait quelques progrès dans la prise en compte du problème et dans la volonté de le traiter, mais nous sommes encore loin du compte.

L’initiative de la Marche Blanche a certainement contribué à réveiller le monde politique et à mettre ce sujet à l’agenda. Encore faudrait-il maintenant concrétiser les mesures à prendre.

J’ai fait le tour des archives du Parlement pour me donner une idée des propositions de députés qui avaient été déposées ces 4 dernières années. J’en ai trouvé une vingtaine. Un fait est intéressant : elles viennent de gauche comme de droite. Elles sont évidemment un peu différentes, certains privilégiant la prévention, les autres le suivi des délinquants ou l’aggravation de la répression.

Dans ces textes, sont abordés les problèmes de la violence au sein de la famille, de la protection de la jeunesse contre la pornographie, de la pornographie directement accessible aux jeunes, via les téléphones portables, du tourisme sexuel à l’étranger  et de la pédophilie liée à l’usage d’internet. La palme revient à cette dernière préoccupation : la toile est évidemment un nouveau champ qui doit être pris en compte.

Les députés ont ainsi demandé au Conseil fédéral de mieux former parents et éducateurs à la gestion de la toile, d’améliorer la transmission des informations au niveau intercantonal et international, de rendre punissables certains actes nouveaux, comme les abus virtuels commis sur des enfants sur la toile (on vise en particulier Second life, où certains joueurs peuvent violer des enfants virtuels) ou de mieux protéger les enfants contre le harcèlement et les contraintes sexuelles qu’ils peuvent subir sur les forums de discussion, de sévir contre les sites qui font du prosélytisme pour la pédophilie et enfin, d’impliquer fournisseurs et hébergeurs dans le contrôle de la légalité des pages offertes sur la toile.

Ces propositions ont en tout cas l’avantage de lancer le débat sur la pédocriminatité au Parlement, ou auraient dû avoir cet avantage, parce qu’en réalité, la plupart n’ont pas encore été traitées par les conseils et celles qui ont été traitées ont été plutôt mal traitées, rejetées ou classées sans discussion.

J’avoue qu’après avoir fait ce tour d’horizon, j’étais un peu perplexe… Je me suis demandé si on pouvait parler de malaise ou de manque de volonté politique.

J’ai lu les réponses du Conseil fédéral à ces propositions et elles ne sont guère encourageantes. Le Conseil fédéral accepte d’examiner si le fait de proposer un rendez-vous à un enfant par internet, peut être punissable ou s’il faut que la personne se présente au rendez-vous pour que ce soit punissable.  Plusieurs états, dont le Canada, la Grande-Bretagne et l’Australie ont modifié leur législation dans ce sens.

Il s’est déclaré prêt à préparer une modification de l’article 197 CP, pour rendre punissable la consommation intentionnelle de pornographie dure sur internet, mais il refuse en revanche d’élaborer un plan d’action visant à sécuriser les pages web et d’impliquer fournisseurs et hébergeurs. (Cette dernière motion a été acceptée par le CE et le CN).

Il reconnaît le manque de moyens du service de coordination de la lutte contre la criminalité sur internet, mais il refuse d’améliorer les conditions de travail et renvoie la balle aux cantons, estimant qu’ils ne font pas leur part…

Il estime ne pouvoir agir pénalement contre un site internet qui fait du prosélytisme pour la pédophilie.

Il pense que soumettre à une interdiction la diffusion de pornographie douce via les téléphones portables est une mesure qui ne permettrait pas d’améliorer la protection de la jeunesse et qu’il serait disproportionné d’interdire à l’ensemble des adultes l’accès à la pornographie douce, dans le seul but de protéger la jeunesse… Il propose donc de rejeter la motion.

En ce qui concerne le tourisme sexuel, le Conseil fédéral souligne que la police judiciaire fédérale possède  un commissariat « pédophilie, traite des êtres humains  et trafic de migrants », qui recueille les indices en relation avec le tourisme pédophile. Il estime donc qu’il n’est pas nécessaire d’en faire plus et il rappelle que la nouvelle partie du CP, entrée en vigueur le 1.1.2007 offre une bonne base à la lutte contre le tourisme pédophile. Il est désormais possible (art. 5) de punir des personnes ayant commis une infraction grave, dès lors qu’elles ont leur domicile en Suisse, indépendamment de leur nationalité et du droit étranger.

Il rappelle que le protocole à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution et la pornographie mettant en scène des enfants a été ratifié par la Suisse le 19 septembre 2006, et qu’on a ainsi étendu la définition de la traite d’êtres humains et augmenté les peines.

J’avoue que tout cela m’a laissé une impression étrange. J’ai donc attendu la séance de la Commission des affaires juridiques du Conseil national qui devait se réunir les 17 et 18 janvier et qui avait mis à son ordre du jour une série d’interventions parlementaires sur cette question.

Eh bien, Mesdames et Messieurs, ça a été un peu décevant…

L’initiative parlementaire Darbellay demandant l’interdiction d’exercer une profession en rapport avec les enfants pour les auteurs d’actes pédophiles, l’initiative Simoneschi visant l’obligation d’exiger un extrait du casier judiciaire des personnes travaillant avec les enfants et l’initiative Freysinger demandant la non radiation des condamnations pour pédophilie du casier judiciaire ont été traitées, mais la commission a décidé de ne pas y donner suite, estimant « que les mesures proposées ne sont pas applicables ou présentent d’importantes lacunes et que leurs effets sont disproportionnés ».

La commission a également classé une initiative Abate, qui demandait l’allongement de la peine prévue par l’article 187 CP. La commission a estimé que l’adoption des nouvelles dispositions relatives à l’internement à vie des délinquants  très dangereux, en décembre 2007, y répond déjà.

Enfin, la commission a aussi examiné l’initiative populaire déposée par l’association marche Blanche pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine et a proposé d’approuver le contre-projet indirect du Conseil fédéral et d’accorder aux victimes un délai de réflexion plus long pour porter plainte. Le délai de 15 ans pour ces délits ne commencerait qu’à partir du jour où la victime atteint sa majorité, ce qui permettrait à celle-ci d’intenter une action en justice jusqu’à ses 33 ans. C’est la réglementation qui correspond à celle qui est en vigueur dans la quasi-totalité des Etats européens.

On le voit, le bilan du Parlement est en demi teinte : un intérêt de certains députés, quelques propositions, de longs délais d’attente avant traitement, une majorité de classements sans suite… On peut parler d’une volonté politique peu claire.

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