Le point sur la « liberté de contracter »

Liberté de contracter

Propositions pour sortir de l’impasse

Les résultats de la procédure de consultation sur le projet de la Commission santé/social du Conseil des Etats (CSSS-E), concernant la liberté de contracter, sont clairs. Les obstacles et les effets pervers, qui sont relevés par les organisations consultées, sont plus nombreux que les avantages, si bien que les avis vont du scepticisme à l’opposition. Ce projet est donc mort. J’avais déjà eu l’occasion lors de la séance de la CSSS-E du 14 octobre 2007 de détailler tous les problèmes qui seraient à résoudre si l’on voulait éviter les principaux effets pervers de ce système. En limitant la liberté de contracter à certaines catégories de médecins (médecins spécialistes, par exemple), on ne change pas le problème.

En même temps, le « gel des admissions » (blocage des ouvertures de nouveaux cabinets médicaux) ne peut être prolongé indéfiniment, dans son état actuel. Les médecins y sont très opposés.

Cet article est cependant très important pour le contrôle des coûts de la santé. La CSSS-E en est consciente et ne veut pas l’abroger sans précaution. Il a certainement évité une explosion des coûts de la santé, en empêchant la multiplication des cabinets médicaux, en particulier suite à l’introduction de la libre circulation des personnes. Les cantons auraient aussi pu l’utiliser comme instrument de planification sanitaire ambulatoire, mais ils ne l’ont que très peu fait.

Lors de la session de mars, le Conseil national a pris une décision qui met le Conseil des Etats sous pression et oblige la CSSS-E à trouver une solution nouvelle. Il veut que le gel des admissions ne soit prolongé qu’à condition que l’on soit en train d’étudier un autre projet crédible.

Lors de sa séance du 14 avril, la CSSS-E a examiné plusieurs solutions et a retenu un modèle de liberté de contracter limitée aux médecins spécialistes. Cependant, lors de sa séance suivante, le 13 mai, elle y a déjà renoncé, estimant que ce concept est inapplicable et la définition du médecin spécialiste sujette à de nombreuses interprétations.

La CSSS-E s’est alors penchée sur deux nouveaux projets, le projet Gutzwiller (Helsana) et le projet Fetz (Cantons). Cependant, aucun de ces deux projets ne peut faire l’unanimité, ni même peut-être une majorité, du moins dans leur état actuel.

Il y a donc lieu de revenir aux prémisses de la réflexion.

Quels sont les éléments sur lesquels nous pouvons nous entendre ? Comment pouvons-nous définir nos priorités ? Quelles nouvelles pistes de réflexion pouvons-nous proposer ? Et premièrement, que voulons-nous atteindre par la liberté de contracter, par le gel des admissions et par le managed care (réseaux de soins) ?

  1. La qualité : nous voulons un système de santé qui tend vers la meilleure qualité possible, des prestataires de soins qui soient formés au mieux, qui suivent des formations continues régulières et se tiennent au courant des nouvelles découvertes de la science et nous voulons éliminer les moutons noirs, ceux qui travaillent mal.

 

  1. L’accessibilité : nous voulons un système de santé accessible à tout le monde, quelle que soit sa fortune et dans toutes les régions de notre pays.

 

  1. L’économicité : nous voulons maîtriser les coûts de la santé et éviter l’explosion des primes.

 

  1. L’efficacité : nous voulons un système de santé qui tend vers l’efficacité, soit vers une organisation qui privilégie les meilleurs soins aux moindres coûts et qui cherche continuellement à s’améliorer.

 

 

La qualité 

 

Pour assurer la qualité des soins, l’assureur n’est pas a priori le partenaire le plus crédible. L’assureur, qui a le pouvoir de choisir ses fournisseurs de prestations, a tendance à choisir les moins chers, pour autant qu’ils répondent aux exigences légales de qualité. Du moins un certain nombre d’assureurs pourraient agir ainsi, sans se préoccuper de savoir quel est le contenu de la prestation, la relation entre le prestataire et le patient par exemple. Pour assurer la qualité, il faut favoriser la création de réseaux de soins. Les réseaux de soins exigent un haut niveau de qualité, en particulier en ce qui concerne la formation continue.

 

Pour atteindre cet objectif, nous avons une possibilité, qui avait déjà été proposée par Raggenbass en 1996, pour les médecins comme pour les pharmaciens et les autres prestataires, c’est de modifier les art. 36, al. 1 et 37, al. 1LAMal, et d’ajouter une condition pour être fournisseur de prestations :

 

Propositions

 

Modifications des Art. 36, al. 1 et 37, al. 1 LAMal

 

«… et répondant aux critères d’un système de contrôle de qualité reconnu par la Confédération. »

 

L’article 38 est formulé différemment, je pars de l’idée qu’il pourrait suffire de modifier l’ordonnance pour aller dans le même sens.

 

Avec ces modifications, on reconnaît l’effort actuel des réseaux de soins intégrés, qui ont des systèmes de contrôle de qualité. Ces systèmes de contrôle devraient être reconnus par la Confédération. Il faudrait que la définition de ces systèmes de contrôle soit suffisamment large pour s’appliquer aux réseaux de soins, mais aussi à des prestataires, qui ne seraient pas dans un réseau, mais qui seraient prêts à remplir les mêmes conditions. Je pense par exemple à des prestataires qui seraient isolés géographiquement.

 

Introduire cela dans les article 36, 37 et éventuellement 38 LAMal, précise ce que l’on veut en matière de qualité. Pour être admis, il faut avoir les titres, mais aussi remplir des critères de qualité. De cette manière, les mauvais prestataires et les moutons noirs sont éliminés.

 

 

L’accessibilité

 

Le deuxième point, c’est l’accessibilité. Nous voulons que les patients aient accès facilement au système de santé, partout dans notre pays. Nous savons qu’il y a trop de cabinets médicaux en ville et qu’il en manque dans certaines régions décentrées. Avec la liberté de contracter, on n’apporte pas de solution à ce problème. L’assureur va choisir ses prestataires en fonction de leur économicité et de leur qualité, mais il n’est pas responsable de la politique sanitaire territoriale. De même, les réseaux de qualité risquent de se constituer là où c’est le plus facile de trouver des partenaires, soit dans les villes.

 

Si on veut gérer la répartition territoriale, il faut que le canton ait une possibilité d’agir. On a deux possibilités pour répondre à cette question : soit on donne aux cantons le pouvoir de refuser l’installation d’un fournisseur à un endroit où il y en a déjà trop en modifiant l’article 55a, soit on lui donne la compétence  d’allouer des incitations aux prestataires de soins pour qu’ils s’installent dans des régions périphériques.

 

Proposition

 

Modification de l’Art. 55a, al. 1 LAMal

 

« Les cantons délivrent aux fournisseurs de prestations une autorisation de pratiquer à charge de l’assurance obligatoire des soins au sens des articles 36 à 38. Ils peuvent faire dépendre cette autorisation d’une planification sanitaire cantonale et de conditions de répartition territoriale ».

 

L’article 55a doit répondre à une situation d’urgence. Jusqu’à maintenant, il a été peu utilisé par les cantons comme instrument de politique sanitaire. Ils seraient de cette manière fortement poussés à le faire.

 

Maintenant, si l’on veut abandonner complètement l’article 55a, on n’a qu’une autre possibilité de convaincre les gens de s’installer à la campagne, c’est de leur proposer des mesures d’incitations économiques. Encore faut-il les mettre en place et se donner les moyens de les financer. La première idée qui m’était venue, c’était de travailler avec des points tarmed différents: si le médecin s’installe à la campagne, on lui donne un point tarmed plus élevé, mais dans ce cas les assureurs auraient avantage à ce qu’il y ait le moins possible de médecins à la campagne ou que les patients aillent le moins possible chez eux, puisqu’ils coûteraient plus cher. Les patients de ces médecins seraient aussi pénalisés.

 

En ce qui concerne les incitations financières, au niveau fédéral, il n’est pas facile de trouver de bonne solutions, c’est pourquoi, quant à moi, je préfère une modification de l’article 55a.

 

J’ai pourtant une petite piste : on pourrait imaginer une modification de l’article 18 LAMal, qui permettrait au Conseil fédéral de confier à l’institution commune des tâches plus étendues, comme par exemple le versement d’incitations favorisant une répartition territoriale équilibrée, la qualité ou des économies. On répondrait ainsi en même temps à la volonté d’améliorer l’économicité et l’efficience.

 

Proposition

 

Modification de l’article 18 LAMal – adjonction d’un article 18, al. 3bis

 

« Le Conseil fédéral peut confier à l’institution commune la tâche de rémunérer des activités d’intérêt public fournies par des prestataires de soins ou des groupes de prestataires. Sont notamment réputés d’intérêt public, le fait de combler une insuffisance d’approvisionnement régionale confirmée par le canton, d’améliorer la qualité générale des soins ou leur caractère économique d’une façon qui ne peut être rétribuée d’une autre manière ».

 

Modification en conséquence de l’article 18, al. 6

 

« Le Conseil fédéral.…. en application de l’article 3 et 3bis ».

 

L’économicité

 

L’article 18 pourrait être une source de financement des activités d’intérêt public ayant pour objectif l’amélioration de l’efficience ou de l’économicité.  On pourrait rétribuer par cette institution ceux qui s’engagent dans des cercles de qualité, mais qui ne peuvent facturer leur travail et ne voient par conséquent pas le résultat économique de leur travail et ceux qui mettent sur pied des réseaux de soins sans garantie d’être récompensés. Ce serait une mesure incitative à l’économicité très intéressante et une bonne mesure d’encouragement des réseaux de soins.

 

Par exemple, quand un réseau de soins génère des économies importantes, mais ne peut pas facturer ses prestations à ses clients, il faudrait qu’il puisse être récompensé, car il assume une tâche d’utilité publique importante, mais n’en retire aucun avantage financier. Les caisses ne peuvent assumer cette tâche, car elles ne sont pas responsables de l’intérêt général. Le seul qui peut s’en occuper c’est l’Etat.

 

Article sur les réseaux de soins

 

Au-delà de ces réflexions, il faut encore définir le réseau de soins. Selon moi un système de réseau de soins intégrés efficace doit être :

 

–        un réseau complet qui comprend la totalité des acteurs, sans quoi ils se passent les patients lourds pour éviter les frais.

–        La totalité du fonctionnement doit être transparent, notamment le règlement pour l’acceptation et le refus de fournisseurs de prestations dans le réseau et la manière dont les prestations sont coordonnées et rémunérées à l’intérieur du réseau (cf meconex).

–        La responsabilité budgétaire, si elle est prévue, doit distinguer clairement entre les montants destinés au salaire et ceux destinés aux soins, éviter les incitations dangereuses pour le patient.

–        Il faut un mécanisme de contrôle de la qualité validé. Une auto-déclaration est insuffisante. Il faut donc que les modèles fassent toujours l’objet d’une approbation de l’autorité compétente. Il en va de la qualité de la prise en charge et de la sécurité du patient.

 

En outre, il faut absolument sortir du piège qui veut montrer les réseaux de soins intégrés comme un modèle de médecine bon marché. Les réseaux sont en fait les garants de la qualité et de l’efficience. Pour attirer les meilleurs fournisseurs de prestations dans les réseaux, il est important de mettre en place des incitations financières. Il faut qu’ils puissent faire du bon travail et gagner correctement leur vie. Il faut aussi qu’ils aient les moyens d’investir dans l’innovation, le perfectionnement et la recherche d’une meilleur efficacité.

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