Situation des personnes avec handicap psychique

 «Toujours plus de malades psychiques ne reçoivent pas les soins nécessaires»

 

Gisèle Ory, directrice de Pro Infirmis Neuchâtel, est directement confrontée aux conséquences des problèmes de financement de l’AI. La conseillère aux Etats socialiste neuchâteloise demande davantage de compréhension et des traitements plus accessibles pour les malades psychiques.

 

Mme Ory, quelles sont vos liens avec la psychologie ?

Gisèle Ory: Depuis quelques années, Pro Infirmis Neuchâtel prend en charge les malades psychiques et leur offre le conseil social. Il faut savoir que 40% des nouvelles rentes sont liées à ce genre de maladies. J’ai donc eu l’occasion de constater que de nombreuses personnes, qui souffrent de graves maladies psychiques, ne reçoivent pas les traitements dont elles auraient besoin.

 

Pratiquement, comment cela se manifeste-t-il?

Il arrive régulièrement que des personnes, qui se présentent à Pro Infirmis Neuchâtel,  ne soient pas soignées comme elles le devraient. Il s’agit souvent de personnes qui souffrent de dépressions graves, de troubles anxieux ou de schizophrénie, de personnes qui, de peur d’être hospitalisées dans une clinique psychiatrique, renoncent à aller consulter un spécialiste. Il arrive aussi que des personnes souffrant de graves maladies psychiques, omettent de payer leur prime d’assurance, se retrouvent en suspension de prestations, et n’osent plus, de ce fait, se rendre chez un médecin ou n’obtiennent plus les médicaments dont elles ont absolument besoin.

 

Comment Pro Infirmis Neuchâtel réagit-elle dans ces cas-là?

Nous essayons toujours de trouver une solution en faveur du patient. Nous pouvons offrir différentes aides financières, des possibilités de désendettement et d’aide à la gestion du budget. Ce qui me touche particulièrement, c’est que les personnes qui ne peuvent pas travailler à cause de leur maladie et qui n’ont en même temps pas droit à une rente se retrouvent dans des situations financières très difficiles et en souffrent beaucoup.

 

L’augmentation des nouvelles rentes pour des questions d’ordre psychique est un thème qui fait la « une » des médias …

Nous devons apprendre à connaître les maladies psychiques et à reconnaître les conséquences qu’elles entraînent. Ce n’est pas le cas pour les maladies somatiques: on accorde une rente à une personne qui se trouve en chaise roulante, alors que pour quelqu’un qui souffre de maladie psychique grave, on a des réticences et des préjugés. On se heurte à ces réticences – ou à cette incompréhension, parce que l’on manque de connaissance des maladies psychiques. On trouve ces difficultés  même chez les professionnels qui prônent la réinsertion.

 

Raison pour laquelle on parle dans les débats des « faux invalides »…

En effet, pour certains de mes collègues en politique, il n’y a handicap que si quelqu’un se déplace en chaise roulante ou que l’invalidité physique est bien visible. Souvent, les maladies psychiques graves sont confondues avec les problèmes mentaux et insignifiants de tous les jours, qui devraient pouvoir disparaître si la personne « y met assez de bonne volonté ». Il n’est d’ailleurs pas rare que l’on accuse les malades psychiques de « manquer de volonté » et d’être « douillets ». Ils deviennent ainsi suspectsy< aaux yeux de la société. On les accuse de demander et de recevoir des prestations AI à tort. Ce débat montre que les maladies psychiques et leurs conséquences ne sont pas encore bien comprises par la société.

 

Quelles expériences faites-vous concrètement avec la 5e révision de l’AI?

Le postulat le plus important de la révision, c’est la réinsertion dans le monde du travail. D’après mon expérience, la réinsertion est particulièrement difficile pour les malades psychiques. Il faut prendre beaucoup de précautions si nous voulons que cette démarche réussisse. La présence au travail et les prestations peuvent varier fortement en fonction de la maladie. Contrairement au handicap physique, que l’on peut partiellement pallier par des moyens auxiliaires,  il n’existe pas de solution technique pour résoudre ce genre de problème. Il faut davantage de compréhension pour les troubles psychiques que sont la dépression, les troubles anxieux ou la schizophrénie. Concrètement, beaucoup de responsables n’arrivent pas à comprendre que des personnes qui souffrent de graves troubles psychiques ne viennent pas au travail, souvent sans raison facilement reconnaissable ou ne participent pas aux mesures de réinsertion. Il s’agit là d’une différence essentielle d’avec les maladies somatiques où les «mesures de soutien technique » comme l’aide au transport, les moyens auxiliaires pour la vision ou la lecture contribuent, du moins partiellement, à pallier la cause du déficit.

 

Le 17 mai 2009 le peuple votera pour un financement de l’AI limité dans le temps au moyen d’une augmentation de la TVA …Comment réagissez-vous à cette interminable discussion sur le financement de l’AI?

L’AI souffre d’un déficit de plus d’un milliard de francs par année. Les personnes qui, pour des raisons de maladie, ont besoin d’une rente sont les victimes de ce déficit, car l’accès à la rente est de plus en plus difficile. Ce ne sont plus le degré d’invalidité et ses conséquences pour la personne qui déterminent le recours à l’assurance invalidité, mais les difficultés financières de l’assurance. Pro Infirmis Neuchâtel participe activement à la campagne en faveur de la proposition d’augmentation de la TVA, qui n’est d’ailleurs qu’un compromis minimal. Le besoin d’économies continuera à se faire cruellement sentir, même si la TVA est acceptée, car la question de la dette n’est toujours pas résolue. Cela se fera au détriment des prestations aux personnes qui souffrent de handicaps.

 

Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?

Trop de personnes qui devraient pouvoir bénéficier des prestations de l’AI n’y ont plus accès aujourd’hui. Pour beaucoup de personnes concernées et leurs familles, cette situation est déjà trop restrictive: les personnes qui souffrent de dépression grave ou de troubles anxieux, par exemple, doivent aujourd’hui apporter la preuve qu’elles souffrent en plus d’autres maladies et handicaps pour pouvoir obtenir une rente complète ou une rente partielle. Beaucoup de gens n’arrivent pas à faire face à cette situation, ne trouvent pas de travail à cause de leur maladie, passent entre les mailles du filet des assurances sociales et se retrouvent à l’aide sociale et marginalisées. En tout dernier ressort, elles s’adressent à des organismes privés pour trouver un peu d’aide. C’est pourquoi je demande instamment à la population helvétique d’approuver cette variante minimale du financement de l’AI pour ces prochaines années en faveur de leurs concitoyens handicapés ou qui souffrent de maladies chroniques invalidantes.

 

Passons à un autre sujet: Vous venez de vous engager au Conseil des Etats pour qu’une LPsy voie le jour aussi rapidement que possible…

Comme je l’ai dit, je constate un immense besoin d’action en faveur de la santé psychique de la population, mais je constate aussi que les professionnels qui connaissent le mieux la psyché des gens et qui l’ont étudiée pendant cinq ans à l’Université ne sont pas  reconnus comme ils devraient l’être. Vous conviendrez qu’il y a là quelque chose qui ne joue pas ! Nous avons besoin de psychologues compétents et facilement accessibles.

 

Abordons encore un dernier sujet: L’article constitutionnel sur la recherche sur l’être humain touche aussi à la recherche dans le domaine de la psychologie. Quelle est votre position en matière de recherche sur des personnes qui n’ont pas leur capacité de discernement?

J’ai représenté une solution plutôt restrictive au sein de la commission chargée de cette question, et ceci pour une question d’éthique. Je suis contre toute recherche imposée de force. Cependant, la situation des adultes qui n’ont pas leur capacité de discernement est un peu différente de celles des enfants. Dans ce dernier cas, la décision appartient aux parents. Si la recherche n’implique aucun risque, ni aucun stress pour l’enfant et qu’elle peut être directement utile à d’autres enfants qui se trouvent dans la même situation, elle doit pouvoir se faire.

 

Interview: Daniel Stern, Daniel Habegger

 

 

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