Activités des services secrets

Ce projet est très discutable et il ne me semble pas que nous devions l’approuver sans discussion. Les mesures qui sont proposées sont souvent très lourdes. Il y a intervention dans la sphère privée des gens, ce qui est très grave et cela ne peut pas se faire sans un maximum de précautions. On peut se demander si c’est toujours proportionné. En particulier quand on dit qu’une simple supposition peut justifier une surveillance. Les compétences des organes d’exécution pour établir correctement les limites entre le maintien de la sûreté intérieure et les droits à la liberté sont mises en doute. Le fait qu’on puisse ne pas communiquer à la personne qu’elle fait l’objet d’une recherche spéciale affaiblit la position de la personne par rapport à une procédure pénale. Le TAF ne peut pas vérifier si une mesure est justifiée car il ne dispose pas de tous les éléments. Une présomption d’innocence est remplacée par un soupçon général.

Le Conseil national n’est pas entré en matière par 91 voix contre 79 et les doutes ont traversé les esprits dans plusieurs partis. La Commission des affaires juridiques du Conseil national a proposé dans sa majorité de renvoyer le projet au Conseil fédéral en le chargeant de préciser quelques points et d’organiser une surveillance parlementaire plus efficace.

J’avoue que j’ai quelques doutes quant à l’opportunité d’une entrée en matière. Les bases légales actuelles pourraient être suffisantes. On pourrait renforcer la répression, en étendant la liste des actes tombant sous le coup de l’article 260bis du CP (actes préparatoires) et 260 ter (crime organisé). Les actes terroristes sont tout de même très rares dans notre pays et nous ne pouvons pas soupçonner tout le monde et restreindre les droits de tout le monde pour éviter un passage à l’acte éventuel et assez peu probable.

D’un autre côté, le danger terroriste n’est pas inexistant et les moyens que nous avons actuellement pour nous y opposer paraissent bien faibles. Il semble bien que les compétences de surveillance attribuées aux services secrets suisses ne soient pas tout à fait les mêmes que celles de certains autres services européens et que nos services soient par conséquent moins efficaces dans leur tâche de surveillance. Si la surveillance que nous exerçons est moins efficace que celles d’autres pays, nous courons le risque que la Suisse, et Genève en particulier, deviennent des lieux privilégiés pour la préparation d’actes répréhensibles, car on y trouve tous les contacts internationaux nécessaire et on y risque moins de surveillance qu’ailleurs.

Je penche donc plutôt pour une entrée en matière et un renvoi au Conseil fédéral pour examen de points encore insuffisamment traités.

Il faut examiner soigneusement la question de la constitutionnalité des moyens spéciaux qu’il est prévu d’instituer pour la recherche d’informations. Nous sommes là à la limite entre la protection des citoyens et la protection de la liberté individuelle. C’est bien à une pesée d’intérêt que nous devons nous livrer. S’il s’agissait de renforcer essentiellement notre action contre le crime organisé, les trafics d’armes, de drogues ou de personnes,  je serais assez favorable à une augmentation des moyens, car ce sont de vrais problèmes, qui touchent à la vie de très nombreux citoyens chaque année. Mais le terrorisme, n’est pas une raison suffisante, vu son très petit développement dans notre pays. Il faut y ajouter la traite des êtres humains et le trafic de drogues au moins. Pourquoi est-ce que ces deux trafics n’ont-ils pas été pris en considération et pourquoi parle-t-on de transfert de technologies illégal ? Est-ce vraiment si fréquent que cela ?

La double approbation, c’est la moindre des choses dans une question aussi délicate que celle-là, qui tient à la liberté et au respect de la sphère privée des citoyens. Je peux imaginer que ce soit parfois un peu difficile de l’obtenir rapidement, mais il faut qu’il y ait cette double approbation obligatoire dans tous les cas, sans cela on risque bien de toujours se trouver dans une situation « dite d’urgence », parce que c’est plus facile de ne pas demander que de demander et on aura rapidement des dérapages qui feront les gros titres des journaux…

Pourquoi renforcer la poursuite pénale, alors qu’elle dispose déjà de moyens suffisants ?

Il ne doit pas y avoir d’enquête préliminaire sans soupçon d’infraction.

Enfin, nous devons nous assurer que tout se fait dans le respect strict de la légalité et de l’individu. Il faut donc qu’il y ait une surveillance parlementaire plus efficace. La Délégation de la Commission de gestion peut accomplir un certain travail de surveillance, mais elle ne dispose que de peu de moyens. Elle doit tout faire elle-même. C’est un organe de milice. Il faudrait un système permanent et beaucoup plus efficace,  soit un « délégué à la sécurité de l’Etat », et non pas seulement des contrôles ponctuels.

Ca doit être une institution dotée de moyens, qui lui permettent de travailler efficacement. Il faut un équilibre. Si on étend les compétences des services de renseignements, il faut aussi améliorer la surveillance parlementaire et la surveillance administrative. Dans le cadre du projet que nous examinons aujourd’hui, les compétences des organes de la sécurité de l’Etat sont considérablement étendues, en particulier dans le domaine de la prévention et en dehors d’une procédure pénale. Cela signifie la surveillance de nombreux citoyens et citoyennes, qui ne sont que soupçonnés, mais dont les activités répréhensibles ne sont pas démontrées.  C’est très délicat. Nous savons à quel point les citoyens et citoyennes se méfient de ce genre d’activités des services de renseignement. Il faut donc qu’il y ait un délégué, indépendant, qui puisse se porter garant que tout se passe dans les règles de l’art.

Je vous propose donc d’entrer en matière et de renvoyer le projet au Conseil fédéral pour examen des différents points que j’ai cité et en particulier pour mise en place d’une surveillance parlementaire, au travers d’un rapport régulier au Parlement,  et la création d’un poste de délégué à la sécurité de l’Etat.

 

 

 

 

 

 

 

Motion de la commission :

Le Conseil fédéral est chargé d’élaborer les bases légales nécessaires au renforcement de la surveillance des activités des services secrets en particulier par

–      la création d’un poste de délégué à la sécurité de l’Etat, élu par l’Assemblée fédérale et chargé de contrôler les activités préventives des services secrets,

–      la remise du rapport annuel du délégué à la sécurité de l’Etat au Parlement.

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