Réinsertion professionnelle

Mesdames, Messieurs,

Merci de m’avoir associée à cette réflexion sur l’insertion professionnelle. Le souci de l’insertion professionnelle est partagé par plusieurs départements, l’économie, l’éducation et le département de la santé et du social. C’est dire que c’est une préoccupation importante. Il est aussi partagé, et vous en êtes les témoins, par de nombreuses associations et fondations privées et paraétatiques. Dans mon département, l’insertion sociale et professionnelle est essentiellement le fait du service de l’action sociale, qui travaille en partenariat avec plusieurs ateliers de réinsertion sociale et du service des établissements spécialisés, qui s’occupe plus particulièrement de la réinsertion professionnelle des personnes en situation de handicap.

L’insertion sociale et professionnelle est importante à plus d’un titre.

Tout d’abord, l’insertion a pour but de permettre à chacun de retrouver un travail sur le marché de l’emploi ordinaire. Avoir un emploi, cela signifie avoir un revenu qui permet de vivre, avoir un cadre de vie professionnel et un entourage, des collègues et créer quelque chose, c’est-à-dire être valorisé par ce que l’on produit. C’est donc très important pour la qualité de vie de chacun.

Cependant, ce n’est pas important que pour cela, mais aussi pour l’équilibre de la société. Nous voulons  que tous les membres de la société puissent participer dans la mesure de leurs moyens à la création et à la répartition des richesses et que personne ne soit exclu socialement ou économiquement.

Enfin, c’est important aussi pour l’équilibre de nos assurances sociales. Une personne sans travail est une charge pour les assurances sociales, une personne qui travaille participe au financement des assurances sociales. Or nos assurances sociales sont toutes en difficultés à l’heure actuelle. Je vous parlerai tout d’abord de l’AI, dont l’insuffisance de financement dépasse le milliard chaque année, la dette cumulée se monte à plus de 12 milliards de francs. Nous voterons le 21 septembre prochain pour l’augmentation de la TVA en faveur de l’AI, un projet sur lequel la plupart des partis gouvernementaux sont d’accord, mais cette augmentation de la TVA est très minime et ne suffira pas. En parallèle, nous devrons accroître encore les moyens mis à la disposition de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, afin de redonner une petite bulle d’air à l’AI.

En ce qui concerne l’aide sociale, vous ne serez pas étonnés qu’elle soit particulièrement mise à contribution dans le cadre de la crise très sévère que nous sommes en train de traverser. Les prévisions tirées de notre bilan budgétaire à fin juin indiquent un dépassement de notre budget d’aide sociale de 8,5 millions pour 2009. Le résultat de la fin de l’année pourrait être encore plus préoccupant et voisiner un dépassement budgétaire de près de 14 millions.  La crise projette dans la pauvreté des milliers de travailleurs précaires. L’aide sociale a réagi plus rapidement que prévu, car ces personnes qui touchent du chômage 80% de leur salaire, passent au-dessous du seuil de pauvreté et leur revenu doit être complété par l’aide sociale. Toutes ces personnes, déjà en situation précaire, risquent fort de se retrouver dans une situation inextricable avec la diminution du nombre d’emplois à disposition. Là, les mesures de réinsertion professionnelle prennent tout leur sens.

 Les récentes études (Da Cunha, Bonoli) réalisées en Suisse romande sur l’efficacité des mesures d’insertion socio-professionnelle (ISP) mettent en avant, de manière générale, une certaine efficacité des mesures sociales, mais cette efficacité est bien moindre en ce qui concerne les mesures professionnelles. A ce sujet, on constate les problèmes suivants :

Les assistants sociaux sont des généralistes, pas des spécialistes de l’insertion, de plus ils manquent de temps pour réaliser cette tâche ;

  • Le dispositif d’insertion, très fourni et complexe, dispose est finalement insuffisamment accessible ;
  • La dimension qualifiante des mesures d’insertion professionnelle est souvent insuffisante ;
  • Il manque un continuum des mesures proposées à une personne. La rupture résulte notamment de la sectorisation des intervenants et de la multiplication des intervenants. Nous l’avons vu tout à l’heure, la réinsertion est diluée dans plusieurs départements et plusieurs services de chaque département (formation, AC, AI, AS), ceci malgré les efforts de la Collaboration interinstitutionnelle (CII).

Ces constatations faites dans les cantons romands peuvent être également reprises pour Neuchâtel. La critique n’est donc pas propre à un système local mais résulte du développement des dernières années. On dénombre chaque année davantage de réformes dans le domaine de la lutte contre le chômage que dans n’importe quel autre champ de l’intervention publique.

Après l’expérience du Projet jeunes (le CE doit présenter un bilan au GC à fin 2009 ou au début 2010), on peut évoquer les pistes suivantes qui pourraient guider l’action à venir de l’Etat pour l’insertion des jeunes dans le canton de Neuchâtel.

  1. a.   Création d’une interface commune :

 Les dispositifs d’insertion de la formation professionnelle, de l’assurance-chômage, de l’assurance-invalidité et de l’aide sociale devraient être réunis via une interface commune.

Une structure commune, un « guichet unique » de l’insertion, implique que les services acteurs de la CII soient prêts à aller au-delà de la coordination. C’est le cas dans le canton NE où les services de la CII (emploi, invalidité, migration, formation professionnelle, action sociale) souhaitent à l’avenir développer un pôle unique d’insertion pour l’Etat.

On peut mettre en exergue les avantages suivants d’un guichet unique :

Prise en charge selon le profil et les difficultés de l’usager et non pas selon son « statut administratif » ;

  • Centralisation de l’offre de mesures d’insertion mais aussi des offres d’emploi et des candidatures ;
  • Meilleure lisibilité du dispositif, parce que l’information est canalisée et les partenaires mis en réseau ;
  • Il y a une fonction nouvelle et centralisée d’évaluation de la problématique de l’usager et d’orientation dans le dispositif.

La gouvernance même de la CII doit aussi être repensée, le Conseil d’Etat a d’ailleurs confié un mandat sur ce thème à la CII. En effet, après 8 années d’efforts de coordination, les services de l’Etat qui s’impliquent dans la CII voudraient franchir une étape supplémentaire et développer une vision encore plus homogène du domaine de l’insertion.

b.   une gestion de cas individualisée (case management) :

 Le domaine de la formation professionnelle du canton de Neuchâtel, sur l’impulsion de la Confédération (OFFT), a récemment mis sur pied un concept de case management pour les jeunes en rupture de formation. A l’avenir, ce concept pourrait encore être élargi et englober ainsi l’ensemble des jeunes en besoin d’insertion, qu’ils relèvent du chômage, de l’aide sociale, etc.

Avec une prise en charge individualisée, le case manager fait le lien entre l’usager et les membres du réseau, pour favoriser une vision globale de la trajectoire et des processus de réinsertion. La gestion de cas individualisée doit permettre de proposer des prestations qui existent déjà dans le dispositif, qui sont délivrées par les acteurs les plus compétents et qui sont précisément adaptées à la situation de l’usager, indépendamment de son statut administratif.

c.   le continuum des mesures

Avec cette nouvelle vision (propositions a + b), on évite la segmentarisation de l’intervention de l’Etat. Le travail d’insertion avec l’usager n’est pas refait à chaque intervention d’un service de la CII, il se déroule, au contraire, dans un continuum jusqu’à l’objectif final d’insertion du jeune dans le monde du travail.

Le continuum se décline ainsi : bilan, (re)qualification, placement, accompagnement et suivi individualisé. Les différents services de l’Etat annoncent à une seule entité responsable de l’insertion les besoins, c’est ensuite le case manager qui fait appel aux mesures appropriées du dispositif, met en réseau et assure le suivi du jeune jusqu’au bout. Et cela implique donc aussi un suivi au-delà de la signature d’un contrat d’apprentissage ou d’un placement en emploi, donc une intervention en entreprise.

Cette proposition, en terme d’organisation de l’activité étatique est réellement innovante. Elle suppose que les services délèguent la mission d’insertion. Actuellement, l’insertion relève de 5 services cantonaux et de 3 départements. Avec cette vision, c’est une véritable opération de décloisonnement qui est proposée. Ceci dans l’intérêt de la personne à insérer.

  1. d.   entreprises sociales

 La réflexion à propos des entreprises sociales doit être poursuivie et affinée dans le canton de Neuchâtel. Malgré un dispositif de mesures d’insertion étoffé, on doit admettre que certains usagers ne pourront pas retrouver facilement et durablement un emploi. Ceux qui ont des capacités partielles de rendement doivent pouvoir être intégrés dans le second marché du travail. Ceci permet notamment à l’usager d’augmenter son revenu et de cotiser aux assurances sociales, cela permet aussi de diminuer les coûts de prise en charge par l’aide sociale.

J’aimerais tenter à Neuchâtel, la création d’une entreprise de transition, selon le modèle que j’avais proposé dans le cadre du débat parlementaire sur la cinquième révision de l’assurance invalidité. La personne est prise en charge par une entreprise, qui fait un bilan de compétences, prend la personne en emploi dans l’atelier qui lui convient, au rythme qui lui convient, l’accompagne vers une amélioration de ses capacités. Si cette personne atteint le niveau exigé par le marché du travail, l’entreprise de transition cherche avec elle une place à l’extérieur, mais continue à assurer le paiement du salaire et des assurances sociales et à accompagner la personne dans son nouvel emploi. Au bout de six mois, le nouvel employeur doit dire s’il garde ou non la personne placée. S’il le fait, la personne entre dans un emploi ordinaire et  l’entreprise de transition reçoit une prime de placement, destinée à l’encourager à placer des personnes sur le marché du travail et à ne pas les garder chez elle pour améliorer sa rentabilité.

L’Etat peut engager des réformes qui relèvent de sa sphère de compétence. Les pistes actuelles en discussion dans le canton de Neuchâtel devraient mener à la création d’un unique pôle d’insertion et à l’amélioration de la gouvernance dans ce domaine.

A noter que ce sujet doit encore faire l’objet d’un examen du Conseil d’Etat (probablement en octobre). Un rapport sera présenté au CE et au GC. Il contiendra deux volets : a) bilan du Projet Jeunes (où Job Service était impliqué), b) Suite – propositions pour l’insertion des jeunes (case management).

Mais, faut-il le rappeler, l’enjeu essentiel de l’insertion réside surtout dans l’amélioration des possibilités de placement sur le marché primaire de l’emploi. Et pour cela, un nécessaire partenariat entre le public et le privé doit se développer :

  • l’économie doit s’ouvrir davantage aux considérations et à la responsabilités sociales
  • le social doit accepter de prendre en charge les risques encourus par les entrepreneurs qui engagent des personnes en difficultés d’insertion.

Inutile de préciser que le défi est majeur, surtout dans une période économique aussi difficile que celle que nous traversons actuellement.

 

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