Assurance Invalidité, et après?

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Assurance Invalidité, et après?

«Depuis les années 2000, le social va mal». Tel est le constat que pose Gisèle Ory, conseillère d’Etat neuchâteloise en charge de la santé et des affaires sociales. Pour elle, le durcissement de l’Assurance Invalidité trahit le refus de prendre acte du monde d’aujourd’hui, profondément différent de celui qui a vu naître les assurances sociales. L’avenir est à un système social plus global, et plus intégrant.

La VP: Avec le vote du 27 septembre dernier, va-t-on vers un assainissement de l’Assurance Invalidité (AI)?

Gisèle Ory: C’est une bonne chose que le peuple suisse ait accepté, mais pour «assainir» véritablement l’AI, il aurait fallu relever le taux de TVA de 0,8% plutôt que de 0,4%! L’arrêté fédéral soumis au vote visait donc surtout à offrir un ballon d’oxygène à l’AI.

Peut-on dire que la cinquième révision, comme la sixième qui est en cours, ont pour objectif de recentrer l’AI sur sa mission première, à savoir la réinsertion professionnelle?

On a surtout placé la barre plus haut pour y accéder, par des critères toujours plus stricts. L’AI verse moins de rentes. On croit ainsi avoir résolu le problème. Mais en réalité on est en train de l’accroître, puisqu’on sait qu’il se reporte en grande partie sur l’aide sociale des cantons.

La 5e révision de l’AI, c’était donc surtout un durcissement?

Cette révision a même constitué la première diminution d’une assurance sociale de notre histoire. Son seul point positif a été la mise en place des mesures de détection précoce, grâce auxquelles on ébauche des solutions de reformation et de replacement beaucoup plus tôt qu’avant.

En 15 ans, les maladies psychiques ont décuplé dans notre pays. Le durcissement de l’AI relève-t-il du refus de considérer ces nouveaux handicaps comme des maladies à part entière?

Avec 40% des rentes destinées au malades psychiques, c’est toute la perception de l’invalide qui est bousculée. On comprend qu’un tétraplégique ne puisse pas travailler, mais on a de la peine à accepter qu’une personne en bonne forme physique soit à l’AI. Alors que cette personne souffre, par exemple, d’un trouble bipolaire qui l’envoie régulièrement en clinique psychiatrique. En 2003, l’UDC a révélé la frustration larvée d’une partie de la population à travers sa campagne «Scheininvaliden» – les faux invalides. Entretemps, heureusement, des efforts d’information ont permis de faire comprendre que les troubles psychiques sont des maladies comme les autres. Il n’empêche que des dizaines de dénonciations de «profiteurs» sont arrivées sur le bureau de l’AI.

D’où vient cette fragilité psychique nouvelle?

Il y a plusieurs hypothèses, qu’il faut encore vérifier. Il y a  l’augmentation de la pression au travail*. Certains voient dans la chute du mur de Berlin un événement déclencheur, qui marquerait le triomphe du néolibéralisme: une «obligation de productivité accrue» des entreprises dans un monde débarrassé de ses barrières. Une deuxième hypothèse repose sur le rapport nouveau entre l’être humain et «la chimie». Quels sont les effets des différents produits chimiques que nous avalons chaque jour bon gré, mal gré, additifs alimentaires, médicaments, produits de toutes sortes ? Peuvent-ils avoir un effet sur l’équilibre de notre cerveau ? Par exemple, on a pu mettre en évidence un risque accru de schizophrénie chez les fumeurs de cannabis.

La santé des pays modernes est devenu un vrai casse-tête…

La situation est en effet très complexe. On est face à de nouveaux problèmes de société, qui n’ont plus rien à voir avec ceux qu’on a connu durant la phase d’ascendance économique de l’après-guerre. On doit retrouver ses marques dans un monde où les progrès, la science et l’accroissement des richesses ne sont pas parvenu à faire reculer la pauvreté et les maladies – de nouvelles n’ayant cessé de surgir parallèlement aux progrès de la médecine.

Quelles pistes envisager?

Il faut absolument éviter que les gens restent sur le carreau. Je plaide pour la création d’un deuxième marché du travail. Avec, au bout de la chaîne, des entreprises de transition qui forment et coachent leurs ouvriers en vue de les réinsérer dans la «vraie économie». Si ce modèle progressiste est déjà présent dans plusieurs institutions, tout l’enjeu va consister à inscrire les différents acteurs sociaux, de réinsertion et l’économie dans une gradation. A créer un continuum cohérent qui part de l’action sociale pour aboutir à la réinsertion professionnelle.

Propos recueillis par Pierre Alain Heubi

 

* Cf. « Les coûts du stress en Suisse», étude du Secrétariat à l’économie, septembre 2000.

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