Interview pour le journal de Caritas

100514 Caritas 01

Rencontre dans le cadre de Caritas, Maison des Associations, Neuchâtel

Madame Gisèle Ory, conseillère d’Etat et cheffe du département de la santé et des affaires sociales.

Pauvreté

 

  • Selon vous, que signifie être pauvre en Suisse aujourd’hui ?

 

La pauvreté, ça va plus loin qu’un manque d’argent. Elle est bien sûr souvent due à un salaire insuffisant pour entretenir la famille, mais elle est aussi liée à des problèmes de santé, au manque de formation et au chômage, au divorce, à l’impossibilité de donner ses enfants à garder pour aller travailler, à l’isolement social. L’ accumulation de ces conditions difficiles conduit à la pauvreté. Beaucoup trop de familles monoparentales ou avec plusieurs enfants sont confrontées à cela. Ce n’est pas acceptable dans un pays aussi riche que le nôtre.

 

  • Comment est-il possible que la Suisse compte plus d’un million de      pauvres selon les chiffres de Caritas Suisse[1] ?  Qu’en est-il plus précisément dans notre      canton ?

 

Outre les diverses causes de pauvreté dont je viens de parler, nous traversons aujourd’hui une crise qui aggrave le phénomène. On peut aussi parler d’une évolution de la société. Les exigences professionnelles augmentent. Tout le monde ne peut pas suivre ce rythme et certains sont laissés pour compte.

 

Pour ce qui est du canton de Neuchâtel, nous manquons d’éléments statistiques. Nous n’avons que l’étude réalisée par le professeur Hainard, de l’université de Neuchâtel, dans les années 90.  Cependant, Avec un revenu disponible parmi les plus bas de Suisse, un taux de chômage très élevé et un taux de divorce record, le canton de Neuchâtel réunit malheureusement toutes les conditions qui favorisent la pauvreté.

 

  • Que propose le canton de Neuchâtel pour réduire le nombre de      personne confrontée à cette situation ?

 

L’aide sociale demeure le dernier filet de sécurité. Elle doit permettre d’assurer le minimum vital. Cette aide ne devrait être que temporaire et subsidiaire, or elle est progressivement devenue durable. Le taux d’aide sociale dans le canton de Neuchâtel est parmi les plus élevés du pays. Ces constats doivent nous inciter à « travailler en amont ». Il faut développer des aides ciblées pour que les personnes ne doivent pas recourir à l’aide sociale. Parmi les mesures préventives, on peut relever les bourses d’études, la formation professionnelle, l’aide à l’insertion, tous les outils de politique familiale (conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale). En matière de politique sociale, la piste des allocations familiales, selon le modèle tessinois par exemple, mérite d’être explorée.

 

Working poors

 

Etre pauvre lorsque l’on n’a pas de revenu est une chose « compréhensible », être pauvre tout en exerçant un emploi l’est beaucoup moins. Pourtant cette situation touche un nombre considérable de personnes.

 

  • Selon l’office fédéral de la statistique[2],      il y avait 231’000 working poor en Suisse soit 7.4% des travailleurs âgés      de 20 à 59 ans et occupant un emploi. Comment cela est-il possible ?

 

Les salaires neuchâtelois ne sont pas très hauts. Un seul revenu ne suffit pas toujours à faire vivre une famille avec plusieurs enfants. Les revenus féminins, à temps partiel, par exemple sont souvent bien maigres et ne permettent pas de joindre les deux bouts.

 

  • A bien des égards, ces situations heurtent notre sentiment de      justice. Qu’en pensez-vous ?

 

Oui, bien sûr ! Toute personne qui travaille à plein temps devrait pouvoir en vivre et ne pas devoir recourir à l’aide sociale pour atteindre le minimum vital.

 

  • Selon vous, le canton de Neuchâtel est-il particulièrement touché      par ce phénomène ?

 

Il n’existe pas de statistique officielle  permettant de mesurer le phénomène des travailleurs pauvres dans le canton de Neuchâtel. Une étude réalisée en 2007 par l’Institut de recherches économiques de l’Université de Neuchâtel estimait le taux de travailleurs pauvres pour le canton de Neuchâtel à environ 5% des personnes ayant une activité à plein temps. L’étude faisait remarquer que le canton se situait « assez nettement au-dessus du taux national » mais ce dernier était considéré à 4,2% et non pas 7,4% comme l’évoque la statistique de l’OFS. N’entrons cependant pas dans une querelle de chiffres et retenons qu’avec sa structure industrielle et sa position de canton frontière, Neuchâtel compte un taux de travailleurs pauvres important.

 

  • Que pensez-vous de l’introduction d’un salaire minimum qui permette      à tous les travailleurs de vivre en dessus du seuil de pauvreté ?

 

Ce serait bien sûr magnifique en soi. C’est une question qui doit être étudiée. Cependant, cela peut aussi avoir des effets pervers, qui doivent être évalués.

 

Formation/insertion

 

  • La crise que nous traversons, en particulier sur le plan de l’emploi, pourrait-elle être une opportunité pour augmenter les qualifications des travailleurs et par ce biais de réduire le risque de pauvreté ?

 

La formation est un bon moyen de réduire le risque de chômage prolongé. Paradoxalement c’est souvent au moment où le chômage arrive que des mesures de formations sont mises en place, notamment par le biais de l’assurance-chômage.  Le mieux serait incontestablement  de pouvoir agir préventivement.

 

En outre, les entreprises ont souvent tendance à favoriser le perfectionnement des personnes qui sont déjà les plus qualifiées, alors qu’il faudrait aussi penser aux collaborateurs les moins qualifiés.

 

Dans ce cadre, et pour essayer de rompre ce cercle vicieux, le canton de Neuchâtel a mis depuis plusieurs années un dispositif en place, via le service de l’emploi, visant à encourager les entreprises à perfectionner leurs travailleurs peu qualifiés, au travers d’une participation financière.

 

Cette action préventive, pratiquement unique en Suisse, permet de renforcer les chances de conserver son emploi, accroit les possibilités de progression vers un autre poste ou de mobilité vers une autre entreprise et contribue à réduire la durée de chômage s’il devait y avoir licenciement.

 

Malgré tout nous restons dépendant des capacités et des besoins du marché de l’emploi. Aussi notre objectif est de permettre aux travailleurs (ou demandeurs d’emploi) d’arriver à exploiter au mieux toutes les opportunités qui se présenteront.

 

 

  • Quel sont les projets du canton de Neuchâtel dans ce domaine ?

 

Avec la crise le canton de Neuchâtel a renforcé les mesures de soutien aux travailleurs peu qualifiés, notamment en encourageant les entreprises pratiquant la « réduction de l’horaire de travail (RHT) à développer des formations durant les heures chômées. Bien que la mise à disposition des heures non travaillées pour faire de la formation ait été encouragée par la Confédération dès le début de la crise, ce n’est que depuis début 2010 que des financements pour des formations ont été mis à disposition. 

 

Le canton de Neuchâtel a fait œuvre de pionnier en renforçant son dispositif cantonal décrit ci-dessus durant la RHT, sans attendre la Confédération. Aujourd’hui, le canton entend combiner les mesures fédérales et cantonales pour soutenir au mieux, en termes de formation, les entreprises et les travailleurs en RHT.

 

Dès la rentrée scolaire 2009, le canton a lancé une grande offensive en matière de stage professionnel (premier emploi) pour des jeunes ayant achevé leur formation (CFC ou degré supérieur), celle-ci se poursuit actuellement.

 

En effet lorsqu’on parle d’augmentation de qualification, il serait faux de ne penser qu’aux seules mesures de formation, l’acquisition d’expérience pratique (sous forme de stage par exemple) est également très importante. Le dispositif des mesures de marché du travail (MMT) développé par le service de l’emploi a également été renforcé et fait l’objet d’une adaptation constante en fonction des besoins des demandeurs d’emploi et du marché du travail.

 

Ainsi, en plus des mesures d’analyses et de diagnostic (Cours TRE, bilan de compétences, tests de langue, coaching, etc..), il existe des cours de mise à niveau (français pour les non francophones, alphabétisation, initiation aux nouvelles technologie de l’information et de la communication, etc..), des cours de perfectionnement (bureautique, langues étrangères, etc.), des mesures de qualification (horlogerie, anglage, aide-serrurier, auxiliaire de santé, aide mécanicien, cariste, caissière, possibilité de faire des CFC, etc..), des mesures d’acquisition d’expérience (stage en entreprise, programme d’emploi temporaire, entreprise d’entrainement, etc..), sans oublier des cours qui peuvent s’organiser en fonction des besoin de recrutement de tel ou tel employeur.

 

Le canton de Neuchâtel participe également au projet de la Confédération sur la validation des acquis. On peut ainsi obtenir un CFC grâce à l’expérience acquise. Actuellement des expériences sont menées dans le cadre du CFC d’assistant socio-éducatif et du CFC d’employé de commerce. Des possibilités pour les CFC de mécapraticien et d’assistant en soin et santé communautaire sont également ouvertes grâce à des collaborations avec les cantons de Berne et du Jura.

 

 

Journée de la Pauvreté

Cf annexe

 

  • Le Réseau Caritas propose de réduire la pauvreté de moitié d’ici à      2020, qu’en pensez-vous ?

L’action sociale est l’affaire de tous et ne dépend pas uniquement des collectivités publiques. C’est donc heureux que des organismes comme Caritas sensibilisent la population à des problèmes de société comme celui de la pauvreté. Soyons ambitieux et relevons ensemble le défi! Et pourquoi ne pas se fixer comme but d’éradiquer complètement la pauvreté ?

 

 

 



[1] Carlo Knöpfel, Almanach social 2009, Editions Caritas, 2009

[2] « Les working poor en Suisse », Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2004.

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