30 ans du Centre écologique Albert Schweizer

Allocution de Mme Gisèle Ory

Conseillère d’Etat et Cheffe du DSAS

30 ans Centre Ecologique Albert Schweitzer

 

Monsieur le conseiller communal,

Monsieur le Président du Conseil de Fondation,

Madame la vice-directrice de la DDC,

Mesdames, Messieurs,

Mon rêve vient de se réaliser: j’avais toujours espérer vivre une vie de nomade au sein d’une caravane pour aller à la rencontre des autres, partager nos expériences, s’entraider mutuellement. Mon vœu est exaucé puisque je suis arrivée ici comme passagère d’une caravane… si ce n’est que les dromadaires ont été remplacés par des voitures hybrides! Eh oui, c’est une caravane à la mode occidentale. Mais sa mission, dont nous donnons le coup d’envoi aujourd’hui, est tout aussi noble: permettre aux citoyens de se réunir, d’échanger, d’être solidaires, de réfléchir sur le devenir de notre planète. Cette Caravane verte, créée à l’occasion des 30 ans du Centre Ecologique Albert Schweitzer, réjouit la cheffe des affaires sociales du canton que je suis et la citoyenne écologiste que je m’efforce d’être. Je tiens vivement à féliciter les promoteurs pour leur action innovante et originale.

Au-delà des actions qui seront organisées à chaque halte de la caravane et des informations transmises, le fait même de faire se rencontrer les gens et de leur faire prendre conscience de leurs forces communes est, à lui seul, une action en faveur du développement durable.

Oui, Mesdames et Messieurs, c’est au travers de relations humaines faites de respect, de partage et d’empathie que nous assurons un avenir durable à notre société, aux jeunes pousses d’aujourd’hui et à celles en devenir. A ceux qui ont faim, à ceux qui sont démunis, à ceux qui sont fragilisés par la vie. Comme le biologiste et écrivain français Albert Jacquard, je suis convaincue que, « désormais, la solidarité la plus nécessaire est celle de l’ensemble des habitants de la Terre ».

Mais développement durable signifie aussi efficacité économique et protection de l’environnement.

Car, oui, même si dans l’esprit de certains « économie rime avec capitalisme », il faut savoir que la mission première de l’économie est de couvrir les besoins de l’humanité. Il s’agit de satisfaire les besoins fondamentaux tels que nourriture, santé, eau, habitat mais aussi les besoins non matériels (instruction, culture, etc…).

Mais qui dit économie efficace – durable – dit pérennité du système, de génération en génération, et intégration des besoins des générations futures. Chaque génération est responsable de transmettre aux autres un capital naturel équivalent à celui qu’elle a utilisé.

Enfin, pour une économie durable, c’est l’ensemble de la terre qui doit être pris en compte avec les besoins de tous ses habitants, avec toutes ses ressources et ses capacités de régénération. Du point de vue écologique, une économie durable ne vit que des intérêts du capital naturel. Elle implique des modes d’exploitation des ressources (forêts, poissons, minerais, etc…) qui respectent les capacités de régénération de l’environnement (il ne faut pas couper plus de bois qu’il n’en repousse) et des rejets dans l’environnement qui ne dépassent pas la capacité d’absorption des écosystèmes. Du point de vue social, une économie durable est capable de couvrir les besoins fondamentaux de tous les êtres humains, elle implique une répartition équitable des richesses et des processus démocratiques de participation.

Pour illustrer cela, permettez-moi de vous conter une petite histoire exotique. Dans la forêt de Sarawak en Malaisie, un chasseur Iban suit les traces d’un sanglier barbu. Quand il l’aperçoit enfin, il lève son fusil et c’est alors qu’il voit que le sanglier est une femelle qui attend des petits. Il baisse son arme. Il réfléchit. S’il abat le sanglier, il ramènera de la viande fraîche à sa famille, pour le prix d’une matinée d’efforts et d’une cartouche. Mais il sait aussi qu’en tuant le sanglier, il tuera les petits et qu’il y aura encore moins de sangliers. Depuis une quinzaine d’années, les sangliers se font de plus en plus rares dans cette région de Batang. Mais il n’y a pas de famine. Les villageois élèvent des cochons et des poulets. Donc, le chasseur n’a pas besoin de tuer le sanglier. Mais s’il ne le tue pas, quelqu’un d’autre risque de le faire à sa place et le chasseur sera deux fois perdant. Que faire?

L’histoire du chasseur Iban fait ressortir deux questions importantes: premièrement, c’est à lui de choisir s’il va agir ou non dans le sens d’un avenir durable. Il peut vivre pour aujourd’hui ou il peut vivre pour demain. Deuxièmement, ses intérêts sont liés aux actions des autres et ils en dépendent. Si aucun chasseur ne tue le sanglier et ses petits à naître, leur nombre augmentera pour le profit de tous.

Mesdames et Messieurs, nous ne sommes pas chasseurs Iban, certes. Mais, aujourd’hui, nous sommes tous aussi placés devant de tels choix: nous avons le choix de dépenser notre capital naturel ou de tenter de vivre de ses intérêts uniquement, et de le préserver ainsi pour les générations futures.

Oui, à l’image du chasseur Iban, nous sommes tous responsables de la société dans laquelle nous vivons et nous pouvons tous faire quelque chose. Nous pouvons être attentifs à l’énergie que nous utilisons, et dans la mesure du possible utiliser des énergies renouvelables. Nous pouvons veiller à générer moins de déchets, choisir des objets recyclables ou peu polluants. Nous pouvons aussi nous préoccuper de savoir si nos baskets ont été fabriquées par des enfants dans des conditions sociales catastrophiques. En tant que consommateurs, nous avons déjà une possibilité d’orienter le marché.

Cependant, cela ne suffit pas, parce qu’il est très difficile d’informer tout le monde sur tout et de coordonner les décisions de consommation de millions de personnes. Il est nécessaire d’instaurer toute une série de mesures qui peuvent être mises en place par l’Etat. L’Etat peut ainsi créer un cadre propice à l’avènement du développement durable.

Pourquoi est-il nécessaire d’instaurer de tel cadre? Voici quelques chiffres…

Aujourd’hui, au niveau planétaire, un habitant sur cinq n’a pas accès à l’eau potable; quatorze espèces vivantes disparaissent toutes les vingt-quatre heures, de sorte que la biodiversité pourrait disparaître dans les trente prochaines années; seul le 30 % des déchets sont traités; moins d’un quart de la population mondiale consomme les trois quarts des matières premières et produit 75 % des déchets solides. D’après les prévisions, la planète devrait compter en 2050 environ 9 milliards d’habitants.

Au niveau suisse, un mètre carré de sol est bétonné chaque seconde. En un siècle, le 90% des zones alluviales ont disparu, ce qui fait que la biodiversité ne cesse de s’appauvrir. Si tous les pays consommaient autant de ressources que la Suisse, il faudrait par ailleurs cinq planètes pour satisfaire l’ensemble de la population mondiale, ce qui signifie que pour mettre un terme à cette fuite en avant, notre pays devrait réduire de trois à huit fois sa consommation actuelle d’énergie, en eau et en matière première. J’espère que ces quelques exemples vous auront convaincu qu’il faut agir à l’échelle planétaire.

C’est précisément ce qu’a fait la Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement. En 1987, elle a rendu un rapport contenant la définition d’une nouvelle notion, le développement durable, et des propositions pour le mettre en pratique. Le Sommet de la Terre a réuni 182 états en 1992 à Rio de Janeiro pour discuter de ces propositions. La Suisse a signé à Rio les Conventions sur le climat et sur la diversité biologique et elle a adopté l’Agenda 21, un catalogue d’actions concrètes pour le développement durable.

Avec l’Agenda 21, il s’agit de « permettre aux générations actuelles de satisfaire leurs propres besoins sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs ».

Ce texte rappelle également le rôle fondamental que les autorités locales ont à jouer dans la mise en oeuvre du développement durable, notamment par la diversité de leurs tâches et leur proximité avec les citoyens. Les décisions prises au niveau local ont, en effet, des répercussions au niveau mondial et réciproquement.

La Constitution fédérale charge ainsi la Confédération et les cantons d’oeuvrer en faveur du développement durable. La Constitution de la République et Canton de Neuchâtel reprend ce principe, en précisant que, je cite, « l’Etat et les communes doivent privilégier les intérêts des générations futures et prêter une attention particulière aux exigences du développement durable ainsi qu’au maintien de la biodiversité ». Le canton de Neuchâtel s’est doté d’un Agenda 21 en octobre 2006 avec l’acceptation, par le Grand Conseil, de la loi y relative.

Certes, Mesdames et Messieurs, l’Etat doit s’engager, déterminer un cadre et montrer l’exemple. Mais, comme je l’ai dit précédemment, nous avons tous un rôle à jouer en tant que citoyen de la planète Terre. Nous avons un état d’esprit à acquérir en matière de développement durable.

Nous pouvons mener de « petites » actions à notre échelle, – les petits ruisseaux font les grandes rivières dit le dicton -, comme le tri des déchets ou encore consommer l’eau du robinet et non pas en bouteille, ainsi que les trois organisations suisses de consommateurs l’ont récemment recommandé, lors de la Journée mondiale de l’eau.

Il y a aussi des projets plus ambitieux. Je citerai ici PlanetSolar, le premier tour du monde en bateau à l’énergie solaire. Pour son créateur, le Neuchâtelois Raphaël Domjan, « les générations de demain ont leur regard tourné vers nous, nos choix marqueront le futur de l’humanité. » Dans le même esprit, citons encore Solar Impulse, cet avion solaire qui effectuera le tour de monde avec à son bord notamment le psychiatre et aéronaute suisse Bertrand Piccard.

Et, bien sûr, je rends ici hommage au Centre écologique Albert Schweitzer – créé ici à Neuchâtel -, et notamment à ses trois fondateurs, véritables visionnaires qui su allier protection de l’environnement et lutte durable contre la pauvreté en Afrique.

Mesdames et Messieurs, le terreau neuchâtelois, le terreau suisse est fertile en idées ingénieuses. Il est riche en esprits créatifs et innovateurs. C’est ce qui fait sa force. C’est ce qui l’aidera à affronter les défis qui l’attendent, notamment en cette période de disette financière et d’épuisement des ressources fossiles.

Je réitère mes sincères remerciements au Centre Ecologique Albert Schweitzer et je souhaite bon vent à sa Caravane verte. Je forme tous mes vœux pour que, durant son périple romand, elle réveille l’esprit écologique qui sommeille en chacun de nous. Pour offrir un Hymne à la terre que nous nous devons de chérir, la terre qui, comme l’a écrit Emile Zola, « seule demeure l’immortelle, la mère d’où nous sortons et où nous retournons. »

 

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