Insertion professionnelle et emplois à bas prix

Mesdames et Messieurs les députés,

En période de chômage élevé et de difficultés économiques marquées, il peut paraître paradoxal, voire incohérent, de s’opposer à une proposition d’extension des solutions d’insertion pour les personnes à l’aide sociale. C’est pourtant ce que le Conseil d’Etat a l’intention de faire en réponse à cette motion 10.127, et ceci tout simplement parce qu’une bonne idée est quelquefois beaucoup plus difficile à réaliser qu’on ne le croit.

Tout d’abord, il faut rappeler ici les efforts qui sont réalisés par l’Etat au quotidien en matière d’insertion dans le domaine de l’action sociale.

Il n’existe pas moins de 15 programmes d’insertion socio-professionnelle s’adressant aux bénéficiaires de l’aide sociale. Les activités y sont variées et touchent des domaines très divers tels que la maintenance immobilière, la restauration de jouets, l’entretien du linge, l’horticulture, la mécanique, la serrurerie, la cuisine, la confection d’habits, pour ne citer que quelques exemples.

En plus de ce cadre proposé, des placements individuels en vue d’une réinsertion peuvent être opérés auprès d’employeurs du premier marché du travail.

En 2010, 200 contrats ont été conclus avec des PME ou des services de collectivités ou d’institutions publiques. En 13 ans de pratique, on a ainsi recensé plus de 650 lieux d’insertion dans le marché du travail neuchâtelois.

Vous pouvez donc être assurés sur ce point : la diversité des mesures d’insertion est bien présente dans le canton de Neuchâtel.

Et dans ce rapide tableau qui vient d’être brossé, afin de rester concis, nous n’avons pas abordé les autres secteurs de l’Etat, qui sont également actifs en matière de réinsertion, que ce soit au DEC avec le service de l’emploi, le service des migrations et l’office AI, ou au DECS, avec le service des formations postobligatoires et le projet Jeunes. Tous ces acteurs sont d’ailleurs regroupés au sein de la Collaboration interinstitutionnelle pour coordonner leur action au mieux.

L’insertion a toujours été une priorité dans notre canton et nous continuons d’en faire une priorité.

Après ces remarques liminaires indispensables, revenons-en à la proposition des motionnaires de créer des places d’insertion comme contrôleurs dans les transports publics.

C’est déjà du côté des bénéficiaires de la mesure d’insertion que les doutes sont permis. Il n’est pas aisé d’incarner l’autorité, d’autant plus quand celle-ci contrôle et sanctionne. Nier ceci ne serait pas judicieux au regard des expériences faites dans le passé.

Disons-le clairement : on ne s’improvise pas contrôleur du jour au lendemain. Dans la société actuelle où le respect de l’autorité n’est plus une vertu cardinale et compte tenu des profils des bénéficiaires de l’aide sociale, la mesure proposée risque fort, de l’avis des partenaires concernés, d’être contre-productive.

Même si la tâche de contrôle des titres de transport n’est pas en soi une tâche de sécurité, et donc même s’il n’est pas nécessaire d’être un agent de sécurité pour contrôler des billets, force est d’admettre que cette fonction requiert quand même une formation, des connaissances et des compétences individuelles particulières.

Ne nous voilons pas la face sur la réalité vécue dans les transports publics : le contexte de travail est exigeant et rendu difficile par des relations parfois tendues avec les usagers. Ainsi, les personnes qui seraient pressenties pour accomplir cette tâche devraient être préparées psychologiquement et formées à l’intervention. Un encadrement adéquat est une condition sine qua non à ce genre de projet. De plus, vu la durée de la formation requise, les entreprises de transport ne pourraient vraisemblablement pas engager du personnel pour de courtes périodes, comme c’est généralement le cas pour les personnes en mesure de réinsertion socio-professionnelle, c’est seulement quelques mois, il faut s’en rappeler. Cela risque de coûter cher à la collectivité pour peu de places possibles et peu de temps possible.

Dans les expériences similaires, en matière de projet d’insertion avec les compagnies de transport, il faut évidemment citer le programme des grands frères à l’attention des personnes en situation de chômage. Les CFF, à l’origine du projet, on décidé de nettement distinguer les fonctions de grands frères de celles de contrôleurs. Les grands frères sont des médiateurs, ils ne sont pas investis d’une autorité officielle et ne doivent donc pas intervenir dans une relation de contrôle, voire de sanction.

Malgré un concept intéressant, cette mesure d’insertion mise en place en collaboration avec la Croix Rouge et les CFF peine à trouver des intéressés. Dans le canton de Neuchâtel, on ne recense que quelques candidats chaque année.

Plutôt que de lancer un nouveau projet, comme le demandent les motionnaires, le Conseil d’Etat est d’avis qu’il convient d’examiner comment redynamiser le concept de grands frères, en l’étendant par exemple à des entreprises de transport du canton de Neuchâtel et à des bénéficiaires de l’aide sociale.

Enfin rappelons tout de même que cette mesure nécessite d’abord et avant tout, l’accord des principaux partenaires que sont les entreprises qui accueilleraient des bénéficiaires de l’aide sociale pour la mission de contrôle des titres de transports.  Et là, il convient de rappeler que l’Etat commande l’offre de transports publics aux entreprises et prend en charge leurs frais non couverts. Cependant ce sont les entreprises qui sont responsables de la production de l’offre. Le contrôle des titres de transport est dès lors sous leur responsabilité. Sur le plan juridique, se pose donc la question de savoir dans quelle mesure l’Etat peut imposer au TN ou au TRN par exemple la façon dont les contrôles seraient effectués.

Dès le mois d’avril, et suite à l’acceptation de la LACI, nous savons que plusieurs centaines de personnes arriveront au terme de leurs indemnités de chômage et qu’elles seront prises en charge par l’aide sociale. Nous devrons améliorer notre offre de places de réinsertion. Ce seront des personnes qui ont encore une bonne capacité de travail, mais qui ne retrouvent plus de place à cause de leur âge, de leur spécialité ou de lacunes de formation. Nous creusons maintenant plutôt la piste de la création d’entreprises sociales, du second marché du travail, pour leur donner une chance de retravailler, d’avoir à nouveau un salaire et d’accéder un jour au premier marché du travail. Il nous faudra bien plus que 5 ou 10 places de contrôleurs, je peux vous l’assurer. Nous reviendrons bientôt avec un projet dans ce domaine et nous espérons bien sûr que vous le soutiendrez.

En conclusion, nous ne pouvons que saluer votre préoccupation pour la réinsertion des personnes qui sont à l’aide sociale. C’est une priorité, vous avez raison. Le Conseil d’Etat partage votre souci et est en train de mettre en place un projet de grande envergure pour redonner du travail aux personnes qui sont à l’aide sociale grâce à leur insertion dans des entreprises sociales. En outre, vous avez déjà accepté le projet Jeunes, qui est bien sûr surtout orienté en faveur des jeunes qui ont des lacunes de formation. Nous avons là deux pistes très prometteuses pour la réinsertion des personnes à l’aide sociale.

Dans la perspective des projets actuellement en cours de réalisation ou

à l’étude, le Conseil d’Etat ne souhaite pas entrer dans la démarche proposée, qu’il juge problématique à plus d’un titre et qui ne permettra pas de mettre à disposition beaucoup de places.

Tout en vous assurant qu’il partage votre souci, le Conseil d’Etat combat cette motion et vous propose de la rejeter.

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