Etat du dossier de l’hôpital cantonal

Où va l’Hôpital neuchatelois?

 

Gisèle Ory, l’Hôpital neuchâtelois est dans la tourmente. La population a le sentiment que le dossier Hôpital neuchâtelois piétine. Alors, faites-vous du surplace?

Je ne trouve pas. Lors de mon entrée en fonction en 2009, la politique hospitalière était complètement bloquée. Une série d’initiatives contradictoires avaient été déposées. J’ai mis sur pied les états généraux de la santé. Le groupe de pilotage qui en est issu a élaboré les orientations qui structurent l’avenir de la politique hospitalières. Ces idées et solutions, parfois très innovantes, ont été avalisées par le Conseil d’Etat en septembre 2010. Il a demandé à la direction de l’HNE de faire un plan stratégique, sur cette base.

 

Il l’a fait, mais vous l’avez refusé. Pourquoi ?

En juin dernier, l’HNE a livré un plan stratégique incomplet : c’est un excellent travail de diagnostic et il propose des pistes intéressantes. Mais il n’est pas suffisant pour répondre aux initiatives et donc amener à leur retrait. J’avais d’ailleurs averti la direction que le plan stratégique serait rejeté par le Grand Conseil s’il ne répondait pas aux initiatives. Ils ont voulu le présenter aux commissions. Et ce que j’avais prédit est arrivé: les critiques ont fusé et elles ont été très dures et très nombreuses et émanait aussi bien du Haut que du Bas. C’est bien la preuve que tant le Conseil d’Etat que le Grand Conseil ont une vision claire de ce qu’ils veulent. La mission de l’HNE, c’est de s’approprier cette vision et d’en donner les détails, car c’est leur métier de le faire.

 

La démocratie, ne serait-ce pas de soumettre les initiatives au vote ?

Toute la stratégie que je défends, et le Conseil d’Etat avec moi, c’est justement d’épargner au canton ces votes potentiellement explosifs. Il est indispensable d’aboutir à un consensus.

 

Le groupe interpartis de La Chaux-de-Fonds estime que, sans la chirurgie stationnaire, le site deviendra inévitablement un hôpital de seconde zone. Info ou intox ?

C’est parfaitement juste. C’est une simple question médicale. Prenons, par hypothèse, le cas où La Chaux-de-Fonds accueillerait uniquement la chirurgie orthopédique. Si la chirurgie stationnaire n’est pas sur le même site, donc sans service d’urgence sur place, en cas de problème lors d’une opération programmée en orthopédie, il faut descendre le patient en urgence à Neuchâtel, au moment où c’est le plus dangereux pour lui. De même, un service orthopédique travaillant sur rendez-vous, et donc de jour uniquement, ne programmera plus aucune opération l’après-midi, de crainte de devoir assumer des complications le soir. La conclusion, c’est que plus personne n’acceptera plus de se faire opérer à La Chaux-de-Fonds. Donc ne pas avoir de chirurgie stationnaire à La Chaux-de-Fonds, c’est bien le premier pas vers la fermeture du site.

 

Les infrastructures actuelles permettraient-elles d’accueillir la totalité des urgences du canton à Pourtalès?

Non.

 

Le deal centre femme-mère-enfant à Neuchâtel contre chirurgie stationnaire à La Chaux-de-Fonds est-il plus dispendieux qu’un regroupement du tout à Neuchâtel?

C’est le contraire qui est vrai. Tout regrouper à Neuchâtel nécessiterait de construire un nouvel hôpital. Sinon, qu’on m’explique où l’on mettra les 200 lits de La Chaux-de-Fonds. Or un nouvel hôpital, c’est 200 millions au bas mot, tout ça pour disposer d’une infrastructure moins efficiente que ce que l’on pourrait faire en construisant un établissement hospitalier aux dernières normes pour un prix certes élevé, mais avec des perspectives d’économies importantes!

 

Votre chiffre paraît bien élevé… A Neuchâtel, le bruit circule qu’il suffirait de rehausser Pourtalès de deux étages.

C’est une légende urbaine ! Cela est techniquement extrêmement difficile, voire impossible.Et en plus, cela coûterait tout aussi cher. Construire en pleine ville, cela prendrait 10 ans au bas mot et provoquerait des perturbations difficilement supportables pour les patients et le personnel durant la construction. A l’inverse, regrouper une grande partie de la chirurgie à La Chaux-de-Fonds, ce serait utiliser de manière efficiente les infrastructures actuelles.

 

On assiste pourtant à ce que beaucoup dans les Montagnes dénoncent comme un démantèlement sournois du site chaux-de-fonnier, avec pour conséquence une surcharge du site de Neuchâtel… Info ou intox?

Les faits sont têtus. Pour créer le centre unique femme-mère-enfants, en plus d’un investissement d’une dizaine de millions, il a fallu trouver en urgence des locaux supplémentaires. Pourtalès a occupé le bâtiment du Conservatoire, posé des conteneurs sur le toit et rénové un bâtiment proche. Bientôt, il faudra remettre le Conservatoire à l’Etat. Et il faudra bien enlever ces conteneurs. Installer un centre de chirurgie important à La Chaux-de-Fonds, cela permet de décharger Pourtalès.

 

En somme, ce n’est pas le Haut qui réclame, c’est le Haut qui vient au secours du Bas…

On peut le dire comme ça, en effet. On ne peut pas tout faire partout et on ne peut matériellement pas tout faire à Neuchâtel. Il faut donc des centres médicalement cohérents sur les deux sites de Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds. C’est ce qui est le plus économique.

 

Pourtant, le projet révélé il y a une année est bien de construire, pour 2022 un nouvel hôpital de soins aigus  unique . N’est-ce pas à la fois contradictoire avec la répartition en deux sites et disproportionné par rapport aux moyens du canton?

Absolument pas. La répartition des missions qui doit être mise en œuvre au plus vite doit anticiper les développements futurs. L’idée est de disposer de deux sites bien organisés assurant des missions de force équivalente, avec des concentrations d’activités cohérentes et une organisation en réseau, de manière à pouvoir transférer ces centres déjà fonctionnels, dans le futur hôpital unique de soins aigus. Il faut s’ôter de l’idée que la répartition des missions que nous essayons de mettre en place sera figée pour l’éternité. C’est au contraire une étape.

 

Mais qu’apporterait un tel hôpital unique ?

La proposition d’un nouvel hôpital découle de l’analyse de vers quoi tend aujourd’hui la médecine moderne.

 

Justement, où va-t-elle, cette médecine hospitalière?

Elle est à un tournant. La population se fait une image de l’hôpital qui ne correspond plus à la réalité. Autrefois, l’hôpital accueillait les malades, les traitait et les gardait jusqu’à complète guérison. Aujourd’hui déjà, on tend à réduire au maximum la durée des séjours. Les progrès de la médecine, l’organisation des services le permettent, les coûts d’hospitalisation l’imposent. L’hôpital est en train de prendre le virage ambulatoire.

 

C’est-à-dire ?

On sépare les soins aigus des soins ultérieurs, réhabilitation, rééducation, convalescence. L’hôpital de demain, ce sera de plus en plus d’ambulatoire, suivi d’un court séjour hospitalier, puis un renvoi dans un centre de réhabilitation ou à domicile. L’hôpital unique de soins aigus pour le canton, c’est la réponse la plus rationnelle à cette nouvelle donne. Si on ne le construit pas, le virage ambulatoire se fera quand même, mais nous devrons alors réinvestir massivement sur les sites actuels. Et ce, sans disposer de l’outil idéal.

 

Ah bon? les locaux actuels ne conviennent pas ?

Les hôpitaux du futur sont planifiés, partout en Europe sur une architecture «en étoile», et non plus en blocs contigus et/ou superposés comme à la fin du XXe siècle. Cette nouvelle structure engendre d’énormes gains de temps pour le personnel médical et pour l’administration par rapport à une structure «en ligne» ou de longs couloirs desservent les chambres et les bureaux. La norme a aussi évolué en terme de lits par unité de soins aigus.

 

Vous venez de dire qu’on renverrait de plus en plus les gens se faire soigner à domicile?

C’est vers quoi on se dirige. Cela permet des économies considérables. Si nous renoncions à prendre ce virage ambulatoire, il nous faudra alors accepter que nos coûts hospitaliers restent très élevés. Mais il faut parallèlement bien sûr prévoir un très grand développement, quantitatif et qualitatif, des soins à domicile. Les économies faites dans la rationalisation hospitalière le permettront.

 

Mais les coûts sont-ils à notre portée?

Les évaluations  sur lesquelles nous nous sommes basés pour le scénario « nouveau bâtiment » prévoient que l’investissement serait de l’ordre de 250 à 300 millions. Soit 25 à 50% de plus que la construction d’un nouvel hôpital à Neuchâtel ou que le réhaussement de Pourtalès. La différence, c’est que nous aurions un outil considérablement plus performant et que les économies réalisées dans l’exploitation autorisent à estimer que cet investissement serait amorti en une dizaine d’années. Tous ces chiffres, c’est vrai, ne sont pour le moment que des estimations grossières, à évaluer précisément dans une phase ultérieure.

 

Justement, quelle est la feuille de route ?

La première étape, c’est la remise au Conseil d’Etat du plan stratégique de l’HNe, à la fin de ce mois. Nous étudierons ce plan avant de le présenter au Grand Conseil. S’il répond de manière cohérente et satisfaisante aux besoins et aux promoteurs des différentes initiatives pendantes, ce à quoi nous veillerons, bien sûr, les députés l’avaliseront. Dès ce moment, nous lancerons l’étude sur le futur site unique. Elle devra être confiée à un bureau – ou à un pool de bureaux – spécialisé. Elle permettra de prendre des décisions sur la base d’une comparaison chiffrée. Nous pourrons alors décider en toute connaissance de cause si le nouveau site unique est la meilleure solution ou s’il faut tout regrouper sur un des sites actuels ou continuer sur deux sites en renonçant au nouveau site unique. Qui n’est d’ailleurs pas si nouveau : en 1985, il avait été question de construire un nouvel hôpital au Val-de-Ruz. C’est finalement Neuchâtel qui a été choisi.

 

La direction d’HNE doit rendre sa copie le 31 octobre. Que ferez-vous si elle ne répond pas à vos exigences ? Accorderez-vous un nouveau délai ?

C’est exclu. Si la direction de l’HNE n’y parvient pas je proposerai que ce soit le Conseil d’Etat qui fixe la répartition des missions. Il n’est plus possible d’attendre encore. Il faut passer à autre chose, éteindre la vaine polémique Haut-Bas et aller de l’avant.

 

Mettre un grand hôpital au Val-de-Ruz, cela mettrait fin à la polémique Haut-Bas…

En tous cas, ce que j’essaie de montrer, c’est que ces ridicules bringues entre La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel n’ont aucun sens si l’on prend de la hauteur et que l’on pense à l’avenir de la planification hospitalière. Nous devons nous donner les moyens pour maintenir une structure à la pointe du progrès pour avoir notre mot à dire lorsque les hôpitaux seront en concurrence. Les querelles d’arrière-garde et les combats régionalistes n’ont qu’un seul effet : retarder voire rendre impossible les décisions nécessaires.

 

Dans le haut du canton, tout le monde a fait son deuil : le centre femme- mère-enfants ne remontera jamais à La Chaux-de-Fonds. C’est aussi votre avis?

Evidemment. On pourrait en théorie toujours décider de le retransférer. Mais cela coûterait aussi cher que cela a coûté de le descendre.

 

C’était pourtant le plan initial du Conseil d’Etat…

Oui. Mais l’ancienne direction de l’HNE a joué un drôle de jeu. Côté face, elle déclarait se soumettre à la décision. Côté pile, elle investissait 10 millions de francs à Pourtalès pour accueillir ce centre. Comment raisonnablement revenir en arrière?

 

Quelles sont les forces qui empêchent qu’une solution d’intérêt général puisse être trouvée?

Quelques personnes, peu nombreuses, mettent les bâtons dans les roues à toute bonne solution. Le dialogue entre les médecins est difficile. Les uns disent que A est bien et que B est impossible, les autres prétendent l’inverse. Comment se faire une bonne opinion de l’expertise médicale dans ces conditions?

 

Qu’a apporté concrètement le nouveau conseil d’administration, choisi par vous-mêmes?

Une vue plus équilibrée des deux sites et une volonté affirmée de rétablir une bonne entente entre les services, pour établir un meilleur dialogue au sein de l’hôpital.

 

Quel est son point faible?

Un esprit de corps reste à construire, une vision commune.

 

Des têtes vont tomber, comme celles de MM. Authier et Rubin?

Je n’ai pas la compétence, ni la volonté, de faire comme vous dites «tomber des têtes». Mon but, qui est celui du Conseil d’Etat et je crois pouvoir le dire, également celui de la majorité du Grand Conseil, est de parvenir à une solution de consensus pour aller de l’avant. Si MM. Authier et Rubin ne sont plus là, ce n’est d’ailleurs pas, comme cela a été écrit, parce que j’ai «coupé des têtes». La décision de ne pas renommer le Conseil d’administration pour une nouvelle législature, je le rappelle, a été prise suite à des difficultés de communication constatées tant par le Grand Conseil que par le Conseil d’Etat. Ces dirigeants ne partageaient pas notre vision. Les députés ont bien vu que cela n’allait pas et en ont tiré les conséquences.

 

Quelles sont les limites imposées à l’action de l’Etat dans ce dossier?

D’une part, le montage institutionnel, avec un Conseil d’administration qui fait courroie de transmission entre l’exécutif et la direction manque d’efficacité. D’autre part, de nombreuses contraintes existent : la loi sur l’EHM, la nouvelle loi sur le financement hospitalier, bien sûr. Le pouvoir d’action du Conseil d’Etat dans ce domaine, comme dans d’autres, est restreint. La contrainte principale, c’est toutefois la nécessité de maîtriser les coûts de la santé. On y est à peu près : depuis quelques années, nous maintenons les hausses des primes au-dessous de la moyenne nationale. Mais ce n’est pas gagné et HNE doit continuer ses efforts en matière d’économies.

 

Après ces mois de réflexion, comment expliquer que surgisse d’un groupe de travail de l’HNE une solution comme celle de la transformation du site chaux-de-fonnier en centre unique de réhabilitation ?

Quatre groupes de travail ont présenté chacun une série de propositions dans leur domaine. L’un d’eux est parti sur cette idée de faire un seul centre de traitement et de réhabilitation. Or la question à résoudre n’était pas celle-là : il s’agissait pour ce groupe de répondre, justement, à l’exigence du maintien à Couvet d’un CTR qui soit reconnu par la FMH, en le complétant, en l’améliorant. Il s’agit de pérenniser le site du Val-de-Travers en en faisant un centre de compétence dédié à la gériatrie.

 

La proposition vous a paraît-il fâchée…

C’est vrai, j’étais très fâchée, car cette proposition n’est pas réalisable, ni techniquement, ni politiquement, ni économiquement, et j’attendais des propositions plus fondées. Le fait de conserver quatre CTR dans le canton est un acquis qui date d’avant la fondation de l’HNE, il n’a jamais été envisagé de les regrouper sur un seul site. Alors oui, cette idée tombée du ciel m’a fâchée! Aucun des sites n’a suffisamment de lits pour absorber tous les besoins CTR. Ensuite, la loi nous interdit une telle solution qui nécessiterait la fermeture de quatre sites de l’HNE, or les quatre sites sont expressément fixés dans la loi. Une modification de la loi à ce sujet n’a aucune chance d’obtenir une majorité au Grand Conseil. Enfin, réaliser un tel projet aurait un coût énorme.

 

La population du haut a-t-elle des raisons de craindre un démantèlement?

Ce n’est en tous cas pas la volonté politique. Les solutions actuellement recherchées vont dans le sens d’une revitalisation de nos deux sites de soins aigus pour pouvoir affronter avec une certaine sérénité la concurrence du Jura, de Bienne et d’Yverdon. Un démantèlement du site chaux-de-fonnier entraînerait la perte de nombreux patients en faveur d’autres hôpitaux extracantonaux.

 

D’aucuns vous accusent de vouloir la peau de l’hôpital de La Providence. C’est vrai?

Non, bien au contraire. J’apprécie le travail que fait La Providence, mais le canton a proposé à La Providence d’entrer dans l’HNE au moment de sa constitution, puis en 2008. La Providence a clairement dit non. Elle a donc choisi le statut de clinique privée et elle ne peut pas jouer sur tous les tableaux, vouloir les avantages du privé et du public. La LAMal demande aux cantons de revoir leur planification hospitalière au plus tard jusqu’au 1er janvier 2015. Nous reverrons donc pour cette date notre planification pour la psychiatrie et la réadaptation. Pour les soins aigus, nous avons décidé de faire une planification provisoire pour les années 2012 à 2015. Pour que cette planification se fasse en toute transparence, nous avons défini des critères selon lesquels l’Etat choisira quelles sont les prestations hospitalières qu’il achètera aux hôpitaux et cliniques. Ces critères visent la sécurité du patient, la qualité des prestations, un volume suffisant d’activités dans chaque domaine, l’économicité et les conditions de travail entre autres. Les hôpitaux, tous, et pas seulement La Providence, ont été priés de postuler pour figurer sur la liste des soins aigus. Si cela intéresse La Providence, elle devra postuler, comme tous les autres. Pour toutes les prestations que l’Etat achètera, il fixera les conditions dans un contrat de prestations. Pour toutes les prestations reconnues par l’Etat, ce-dernier payera les 55% du tarif SwissDRG et les assureurs prendront les 45%. Selon toute vraisemblance, La Providence remplit les critères pour quelques-unes de ses prestations et obtiendra donc un contrat de prestations pour celles-ci, mais peut-être pas pour toutes ses activités, ce qui la contrarie évidemment. La LAMal révisée prévoit qu’hôpitaux et cliniques peuvent être en concurrence. Ce sera certainement le cas d’HNE et de La Providence pour certaines prestations d’orthopédie. En effet, La Providence voudrait faire un centre cantonal de l’appareil locomoteur. HNE veut aussi développer des prestations d’orthopédie. La Providence, évidemment, préférerait ne pas avoir de concurrence…

 

Interview réalisée par Claude Grimm

 

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