Interview pour l’Illustré

Comment dort-on à la veille d’annoncer son départ du Conseil d’Etat?

J’ai surtout très peu dormi. En fait, j’ai préparé une partie du contenu de la conférence de presse du lendemain, rédigé des lettres pour mes collègues du gouvernement, pour les dirigeants du parti socialiste et pour tous mes collaborateurs. Du point de vue émotionnel, annoncer son départ, c’est comme une accélération de l’histoire. Dès l’instant où vous énoncez votre retrait, il devient réel et vous ne pouvez plus revenir en arrière.

Vous avez parlé de «fatigue», de «pression»; y-a-t-il aussi du soulagement quand on prend une telle décision ?

Oui, bien sûr. Même si ma décision était murie depuis longtemps, je voyais bien que je devenais aussi plus usée. Le rythme au Conseil d’Etat est extrêmement soutenu; une séance chasse l’autre avec des thèmes souvent très complexes.

Vous n’étiez plus à l’aise dans votre rôle de conseillère d’Etat ?

Je dirais plutôt que c’est certainement un rôle qu’il est difficile d’assumer tous les jours à toutes les minutes. Humainement, la pression est énorme et je vais me permettre de dire qu’elle est encore plus forte sur les femmes que sur les hommes.

Vraiment ?

Oui, parce qu’il y a davantage de critiques contre les femmes que contre les hommes. Beaucoup estiment encore qu’une femme, par définition, fera faux.

A l’annonce de votre départ vous avez dit « je pourrai à nouveau vivre pleinement ». Ne vit-on pas justement pleinement en tant que membre du gouvernement, là où l’on a le pouvoir, où l’on a prise sur les choses, la possibilité de faire évoluer la marche d’un canton ?

Je vais peut-être vous décevoir mais en tant que conseiller d’Etat on a plus de contraintes que de pouvoir… Et l’une d’entre elles, qui n’est pas forcément facile à vivre, est l’impossibilité de dire parfois ce que l’on pense vraiment. Quand vous êtes dans un gouvernement, vous devez vous tenir à la décision du collège, qui n’est pas forcément la vôtre. Le Conseil d’Etat a une parole et non pas cinq. Par ailleurs, le temps pour soi, pour ses loisirs, est quasiment inexistant. On met une partie de soi en veilleuse. Pour moi la musique, le vol à voile. C’est à cette plénitude-là que je faisais référence. Quand vous êtes engagé aussi fortement en politique, il y a toute une part de soi que l’on met entre parenthèses.

Etiez-vous taillée pour ce rôle ?

Il y a une partie de moi que j’ai dû pousser pour faire ce métier. Au départ, je suis plutôt quelqu’un de timide, pas forcément à me mettre en avant. J’ai dû apprendre à me positionner sur le devant de la scène. En politique, on doit souvent se vendre soi et pas seulement les idées que l’on a. J’ai dû un peu sortir de moi-même pour occuper ce rôle-là.

Que retiendrez-vous de ces quatre ans au Conseil d’Etat ?

Ce qui m’a le plus touché est certainement les rencontres avec les gens, la population. Les votations populaires gagnées sont par exemple des moments de communion forts.

Et votre pire souvenir ?

On a vécu un début de législature avec des conflits au sein du Conseil d’Etat avec l’affaire Hainard. Ce furent des moments très difficiles à vivre.

Vous étiez une politicienne expérimentée, ancienne présidente du grand Conseil, ancienne conseillère aux Etats, ex-présidente du PS, avez-vous été surprise par la violence du Conseil d’Etat ?

Oui, j’ai été surprise par la dureté des relations entre les gens. La dureté de tous ceux qui attendent et exigent quelque chose de l’Etat. C’est un métier rude, avec une pression énorme.

Avez-vous sous-estimé cette pression, cette dureté en acceptant cette fonction ?

Je l’ai certainement sous-estimée, oui. Au niveau du Conseil d’Etat, on sent des inimitiés se créer sans qu’on sache comment elles se sont construites. On est aussi plus loin de la population que dans un exécutif communal et on gère des dossiers extrêmement complexes où il n’y a pas de bonnes solutions mais où l’on recherche la moins mauvaise. Mais même la moins mauvaise suscite toujours d’intenses critiques à même de faire voler en éclat le difficile consensus que l’on avait péniblement obtenu.

J’ai l’impression qu’à ce poste vous avez été blessée dans votre humanité, dans vos valeurs, je me trompe ?

Quand je suis arrivée, j’avais vraiment la volonté et l’ambition de trouver des solutions constructives, de parvenir à mettre les gens ensemble, à fédérer les individus autour de solutions communes. Mais j’ai dû constater qu’il y a un certain nombre de personnes qui ne veulent pas trouver de solutions ensemble et qu’il faut accepter et faire avec. C’est un métier où le jour où tout roule n’existe pas. Il n’y a jamais de répit. Je suis entrée au Conseil d’Etat avec des valeurs très fortes, des valeurs de respect de chacun, d’ouverture à la discussion, de respect des positions des uns et des autres qui, malheureusement, ne m’ont pas toujours été rendues.

Il y a eu le départ forcé de Frédéric Hainard en 2010, le départ à la BNS de Jean Studer et le vôtre aujourd’hui : qu’est-ce qui ne va pas au Conseil d’Etat neuchâtelois ?

Les différends sont malheureusement fréquents dans nombre de gouvernements. Les conseillers d’Etat ne se choisissent pas et ce sont de fortes personnalités. Les départs forcés ne sont pas rares non plus… Il faut aussi un peu de chance pour que la mayonnaise prenne.

Mais votre départ, ajouté aux autres, n’est-ce quand même pas un aveu d’échec du gouvernement neuchâtelois ?

Cela montre en tout cas que tout n’a pas été facile. Mais malgré l’affaire Hainard, le bilan du gouvernement n’est pas si noir. Au niveau de la réforme de l’Etat, on a vraiment bien avancé avec, par exemple, une refonte totale de la fiscalité des entreprises, une baisse significative de la taxation des personnes physiques. Par ailleurs, la loi sur l’accueil des enfants a permis d’augmenter considérablement les places et la loi sur les aides à la formation va permettre aux étudiants sans ressources de ne pas dépendre de l’aide sociale. On peut y ajouter le plan stratégique des institutions sociales, qui est très innovant, etc.

Certes, mais aux problèmes du Conseil d’Etat s’est ajouté le refus du Transrun. Franchement, cela ne donne pas une image très dynamique et ambitieuse du canton…

C’est vrai, c’est dommage, on a échoué au poteau à trois cents voix près. Cela suscite beaucoup de frustration de la part d’une partie du canton et il faut absolument en tenir compte et proposer de nouveaux projets ambitieux. On a peut-être dans ce coin de pays une légère tendance à l’auto-flagellation, ça doit être notre côté protestant. Les Neuchâtelois sont vraiment des gens extraordinaires car on a eu une situation économique très fluctuante et les gens d’ici ont toujours su repartir, rebondir. Alors les Neuchâtelois devraient davantage croire en eux.

Au Conseil d’Etat, on se retrouve à devoir composer quotidiennement avec des gens qui ont une autre vision du monde que soi. La situation neuchâteloise illustre-t-elle le fait que quand on est trop différent cela ne fonctionne pas ?

(…) Ce qui est frappant c’est que ce ne sont pas forcément les idées politiques semblables qui permettent de mieux collaborer mais plutôt les personnalités qui aiment, ou non, chercher le consensus ensemble.

Vous quittez le Conseil d’Etat après quatre ans, mais vous aviez déjà pris la décision de ne pas faire de seconde législature après deux ans seulement : cela parait un peu court, non ?

Je me suis intérieurement dit que je ne me représenterais pas pour échapper à la pression de décisions prises par opportunisme électoral. Après, si vous vous présentez finalement ou non est une autre affaire, mais, au moins, vous n’aurez pas pris de décisions politiques dans cette optique. Ensuite, il faut observer d’une manière générale que la durée des mandats politiques s’est beaucoup réduite. Une réduction à mettre en relation avec les pressions toujours plus grandes que subissent les ministres, lesquels s’usent plus vite qu’autrefois, et une exigence plus élevée de la population qu’il est difficile de satisfaire. J’ai l’impression d’avoir donné ce que je pouvais donner. Ce n’est certes que quatre ans au Conseil d’Etat mais c’est dix-sept ans d’engagement politique avant. C’est ce cycle-là qu’il faut considérer.

Ce que vous nous dites c’est qu’à la longue, ça use…

Oui, cela use, je me sens un peu fatiguée.

Mais pas malade ?

Non, mais je dois gérer le sommeil, et ce n’est pas facile. Ce n’est pas un rythme très raisonnable mais si je l’ai fait, c’est que je le voulais et que j’avais du plaisir ! C’est l’envie de vivre cela tout le temps qui a été usée.

Etre toujours sous le regard public et le jugement des autres, cela pèse finalement ?

Oui et non. Il est surprenant et parfois un peu difficile à vivre de constater l’immense distance entre l’image publique et la personne réelle. Tous ceux qui ont une image publique vivent cela. Je ne me reconnais pas dans l’image que l’on donne de moi. On m’a par exemple souvent décrite comme émotionnelle alors que je suis exactement le contraire, hyper rationnelle.

Mais le jugement public, le fait d’imaginer que vous ne seriez peut-être pas réélue en 2013, a-t-il joué un rôle dans votre décision d’arrêter ?

Non, c’est l’investissement personnel dans une campagne électorale que je ne souhaitais pas. Une non-élection j’en ai déjà vécue, au Grand Conseil en 1997, et je ne m’en suis pas plus mal portée après.

 

 

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